Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2013, R.G. 2012/AB/1.115
Mis en ligne le lundi 17 juin 2013
Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2013, R.G. n° 2012/AB/1.115
TERRA LABORIS ASBL
Dans un arrêt du 7 février 2013, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’inapplicabilité de la jurisprudence Antigone et Manon aux relations de travail et considère qu’il en va de même pour la jurisprudence de la Cour de cassation rendue en matière de sécurité sociale, s’agissant d’infractions tandis que le contrôle du juge dans le cadre de l’appréciation des relations de travail doit se faire conformément aux obligations contenues dans la loi du 3 juillet 1978 et dans les règles générales du Code civil.
Les faits
Lors des élections sociales de 2012, au sein d’un important organe de presse, un journaliste est présenté au conseil d’entreprise, catégorie « cadres » sur une liste indépendante des cadres (article 33, § 1er, alinéa 2 de la loi du 4 décembre 2007 relative aux élections sociales).
Au mois d’août une procédure est introduite par l’employeur, dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, demandant l’autorisation de le licencier pour motif grave. Il lui est essentiellement reproché de tromper son employeur, dans la mesure où il travaille à développer une activité professionnelle parallèlement à son contrat de travail. Pour celle-ci, il utilise l’adresse de courrier électronique mise à sa disposition par l’employeur. La société se fonde essentiellement sur des courriels.
Décision du tribunal
Par jugement du 5 novembre 2012, le tribunal du travail rejette la demande de la société considérant que les faits avancés ne constituent pas un motif grave. Appel est interjeté par celle-ci.
Décision de la cour
La cour constate qu’elle est saisie de la question de la légalité de la consultation de courriels dans la messagerie électronique de l’intéressé. Cette consultation est intervenue à l’initiative d’une collègue qui, ayant découvert l’existence de divers échanges, a transmis ceux-ci à la directrice des ressources humaines et au directeur du personnel.
La cour se livre à un long examen des principes en la matière. Elle considère en premier lieu que les courriels litigieux et leur contenu relèvent de la sphère de la vie privée de l’intéressé et que, en allant consulter lesdits courriels sans l’accord de celui-ci, sans non plus lui en communiquer les finalités et en l’absence de règles déterminées portées à sa connaissance, et qui autoriseraient cette consultation, il y a violation du droit au respect de la vie privée. La cour rappelle les articles 8 de la C.E.D.H. et 22 de la Constitution, ainsi que la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques (article 124) qui interdit de prendre connaissance de l’existence d’informations de toute nature transmises par voie de communication électronique, notamment. Elle renvoie également à la C.C.T. n° 81 du 26 avril 2002 relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communication électronique en réseau ainsi qu’à l’article 314bis du Code pénal.
Elle en conclut que la preuve a été recueillie de manière irrégulière.
En ce qui concerne les conséquences de l’irrégularité de la preuve, la cour rappelle qu’en règle celle-ci la rend inadmissible.
Elle examine ainsi les arrêts Antigone et Manon rendus par la Cour de cassation (Cass., 14 octobre 2003, P.030762.N et Cass., 2 mars 2005, P.041644.F), en vertu desquels il appartient au juge d’apprécier les conséquences de l’irrégularité ayant entaché l’obtention des moyens de preuve produits aux débats sur leur recevabilité.
La cour rappelle ensuite les débats en doctrine et en jurisprudence sur l’applicabilité de ces décisions, rendues en matière répressive, au droit du travail dans les litiges opposant un travailleur à son employeur (dont C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2007, R.G. n° 45.657).
En matière de chômage, la Cour de cassation est ensuite intervenue dans un arrêt du 10 mars 2008 (Cass., 10 mars 2008, R.G. S.070073.N), où elle a dit en substance que la preuve illicitement recueillie ne peut être écartée que si son obtention est entachée d’un vice préjudiciable à sa crédibilité ou qui porte atteinte au droit à un procès équitable. La Cour suprême a donné des éléments d’appréciation, dont notamment le caractère purement formel de l’irrégularité, sa conséquence sur le droit ou la liberté protégés, la circonstance que l’autorité compétente n’a pas commis l’irrégularité intentionnellement, … Tout en relevant que des décisions des Cours du travail de Mons, de Liège et d’Anvers ont considéré que l’enseignement de la Cour de cassation ci-dessus pouvait être applicable dans un litige relatif à la rupture de relations contractuelles, la Cour du travail de Bruxelles déclare ne pas partager cette position. Dans une motivation très circonstanciée, elle considère que les critères énoncés par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 mars 2008 sont conçus pour le droit pénal. Il s‘agit en effet de rechercher une infraction et la cour du travail conclut que la Cour de cassation n’a certainement pas voulu qu’un employeur puisse impunément porter atteinte à des droits et à des libertés aussi fondamentaux que ceux énoncés ci-dessus.
Elle cite un arrêt ultérieur de la Cour suprême (Cass., 10 novembre 2008, S.06.0029.F) selon lequel lorsqu’une partie entend produire en justice une lettre missive qui ne lui est pas destinée, il lui appartient de faire la preuve qu’elle est régulièrement entrée en possession de celle-ci. Il faut dès lors constater, pour la cour, qu’il lui est demandé d’apprécier des griefs concernant des fautes au sens de la loi sur le contrat du travail ou des fautes contractuelles (article 1382 C.C.) et nullement des infractions pénales ou des infractions commises en matière de sécurité sociale, où le type de sanction peut être considéré comme de nature pénale.
La cour considère dès lors que la réalité des faits n’est pas établie régulièrement. En outre, elle rejette la demande d’enquête, s’agissant d’établir des éléments recueillis par une preuve illégale.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, est certes important, la cour renvoyant elle-même à la célèbre jurisprudence des arrêts Antigone et Manon, ainsi qu’’à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de chômage, arrêts permettant au juge d’apprécier l’admissibilité de la preuve irrégulièrement recueillie. Pour la cour du travail, en matière de contrat, plus précisément en l’espèce dans l’appréciation d’un motif grave, il faut se référer aux fautes au sens de la loi du 3 juillet 1978 et aux règles générales du Code civil et non suivre la jurisprudence applicable en matière répressive, en ce compris celle rendue en sécurité sociale où existent des sanctions de nature pénale.