Terralaboris asbl

Incapacité de travail de plus de deux tiers existant avant l’entrée sur le marché du travail et droit aux allocations de chômage

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 23 avril 2013, R.G. 12/11.856/A

Mis en ligne le lundi 15 juillet 2013


Tribunal du travail de Bruxelles, 23 avril 2013, R.G. n° 12/11.856/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 23 avril 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles considère que le fait pour un travailleur de présenter une perte de capacité de plus de deux tiers sans que ceci ne soit la conséquence de l’exercice d’une activité professionnelle ouvre le droit aux allocations de chômage vu qu’il ne remplit pas les conditions pour bénéficier des indemnités AMI : c’est le mécanisme légal, même si ceci aboutit à admettre dans le secteur du chômage des travailleurs à capacité réduite.

Les faits

Bénéficiaire d’allocations de chômage, une assurée sociale est reconnue inapte temporairement à plus de 33% par le médecin agréé de l’ONEm, et ce pour une durée de deux ans. Dans le courant de celle-ci, elle tombe en incapacité de travail et est admise aux indemnités AMI. Elle est déclarée apte à reprendre le travail après trois mois et demi. Une première procédure va alors être introduite qui donnera lieu à une décision du tribunal définitive. C’est suite à celle-ci que sera introduit un second recours, faisant l’objet du jugement annoté.

Dans la première procédure, l’intéressée sollicite le bénéfice des allocations de chômage à titre provisoire, ce qui lui est accordé. Elle demande ensuite une dispense des obligations dans le cadre de la procédure d’activation du comportement de recherche d’emploi (présentant une inaptitude de 33% temporaire remplissant la condition de deux ans). La dispense est accordée suite à un examen médical.

Le tribunal du travail désigne un expert. Après dépôt de son rapport, le tribunal rend un second jugement ordonnant une expertise complémentaire, celle-ci étant confiée à un autre expert. Sa mission est de vérifier l’existence d’une capacité de gain et d’une incapacité supérieure à 66% avant toute insertion sur le marché général de l’emploi. Les deux experts concluent à l’absence de réduction de capacité de gain au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, l’incapacité de travail réduite de plus de deux tiers existant avant toute insertion sur le marché du travail.

L’intéressée conteste ces conclusions au motif qu’elle a travaillé et qu’elle a été admise au chômage suite à ses prestations de travail. Le tribunal du travail confirme cependant la position des deux experts, au motif que leurs rapports sont complets, détaillés et bien motivés. Il y a dès lors absence de capacité de gain dans le chef de l’intéressée. Celle-ci ne peut dès lors pas être reconnue incapable à plus de 66% au sens de l’article 100 de la loi coordonnée.

A l’issue de cette première procédure, le paiement d’allocations provisoires par l’ONEm est arrêté, les allocations perçues restant acquises jusqu’au jugement.

L’intéressé réintroduit une demande auprès de l’ONEm en vue d’être dispensée des obligations en matière d’activation vu son inaptitude temporaire au travail. Dans le cadre de l’examen médical organisé par l’ONEm, il est conclu à l’inaptitude à plus de 66% au sens de la réglemention AMI, l’intéressée présentant également une inaptitude au travail permanente d’au moins 33%. L’ONEm prend ensuite une décision administrative dans laquelle il considère que, pour pouvoir percevoir des allocations de chômage il y a lieu d’être apte au travail. Vu l’inaptitude constatée, l’ONEm décide de ne plus lui accorder d’allocations à partir du lendemain de la notification de la décision et la renvoie … vers sa mutuelle aux fins de solliciter les indemnités d’assurance maladie.

Un nouveau recours est introduit devant le tribunal du travail, qui statue par le jugement annoté, en date du 23 avril 2013.

Position des parties devant le tribunal

L’intéressée pose la question de savoir quel régime de sécurité sociale est applicable à son cas. Elle a été exclue du régime de l’assurance maladie invalidité en raison d’un état antérieur, vu qu’il a été considéré qu’elle n’a jamais eu de capacité de travail. Doit-elle dès lors bénéficier des allocations de chômage ou des allocations aux personnes handicapées ?

Le régime du chômage est, pour elle, le régime principal d’attribution de droits sociaux, le régime des allocations aux personnes handicapées étant résiduaire et par ailleurs particulièrement précaire. Elle demande, en conséquence, à bénéficier du régime principal de sécurité sociale. Elle fait encore valoir que la réglementation de chômage renvoie purement et simplement en négatif à la notion d’incapacité contenue dans la réglementation AMI. Il y a dès lors aptitude au sens de l’assurance chômage dès lors qu’il n’y a pas incapacité au sens de la réglementation AMI.

Quant à l’ONEm, il demande la confirmation de sa décision, au motif notamment que le jugement rendu antérieurement dans le cadre de la première procédure statue uniquement sur l’existence d’un état antérieur et ne précise pas si la réduction de la capacité de gain atteint ou non 66%.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal va rappeler, dans un premier temps, les articles 60 et suivants de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, soulignant qu’ils ne donnent pas de précision sur ce qu’il faut entendre par « apte ou inapte au travail » au sens de la législation relative à l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité. Il se penche dès lors sur celle-ci et rappelle les termes de l’article 100 de la loi cordonnée, qui définit l’incapacité de travail. Il relève avec la cour du travail (C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2009, R.G. n° 46.623) que l’article 60 n’exige pas que soit démontrée une capacité initiale de gain correspondant à celle qu’aurait une personne apte à 100%, sur le marché normal de l’emploi. Il exige une capacité d’au moins un tiers.

Pour avoir droit au chômage, le travailleur doit dès lors démontrer une capacité de gain de cette importance et ce par comparaison à une personne de même condition et de même formation, située dans le groupe de professions dans lesquelles se range l’activité professionnelle exercée par l’intéressé au moment où il demande le bénéfice des allocations ou dans les diverses professions qu’il aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle. Le tribunal rappelle également qu’une personne bénéficiant d’une allocation aux personnes handicapées n’est pas pour autant exclue du droit aux allocations de chômage, et ce à la condition de présenter moins de 66% d’incapacité de travail au sens de la réglementation AMI.

Après avoir ensuite repris l’évolution du texte de l’article 100 de la loi coordonnée, le tribunal cite la doctrine en la matière (P. PALSTERMAN, « Assurance obligatoire soins de santé et indemnités : la problématique de l’état antérieur dans l’octroi d’indemnités d’assurance maladie (régime des travailleurs salariées) », in F. ETIENNE et M. DUMONT (dir.), Regards croisés sur la sécurité sociale, Anthémis, 2012, n° 35 et 36, p. 908 et 909). Le tribunal va, sur ces bases, examiner de manière très approfondie l’ensemble des éléments du dossier. Il constate que dans le litige ayant opposé l’intéressée à la mutuelle, il a été conclu qu’elle ne réunissait pas l’une des trois conditions pour être reconnue incapable au sens de l’article 100 étant que, au moment de la cessation d’activité elle présentait déjà une incapacité de travail réduite de plus des deux tiers, celle-ci existant donc avant toute insertion sur le marché du travail. Cet état de choses ne peut être nié et n’est d’ailleurs pas rencontré par l’ONEm dans le cadre de la présente procédure.

Reste dès lors à décider si, alors que le médecin de l’ONEm a considéré qu’elle était incapable de travailler à plus de 66%, l’intéressée peut bénéficier des allocations de chômage. Le tribunal conclut par l’affirmative, dans la mesure où l’intéressée n’est pas inapte au sens de la réglementation AMI. Il s’agit pour le tribunal d’une solution qui s’inscrit dans la continuité de la protection sociale de l’assujetti social. Elle a pour effet d’admettre au bénéfice des allocations de chômage des personnes qui ne présentent qu’une aptitude très limitée et qui ne peuvent dépendre du régime de l’assurance maladie, dans la mesure où elles ne remplissent pas tous les éléments de la définition dans ce régime. Ces conditions ne sont cependant pas exigées dans le cadre de la réglementation du chômage.

Le tribunal fait dès lors droit à la demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement du tribunal du travail (jugement définitif) apporte une réponse logique à la situation jugée, vu l’absence de définition de l’aptitude au sens des articles 60 et 62 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La doctrine récente conclut – et certains auteurs sont expressément cités dans le jugement – que l’aptitude au sens de la réglementation de chômage est le négatif de l’inaptitude au sens de la réglementation AMI. Le régime des allocations aux personnes handicapées étant par ailleurs résiduaire, il ne trouve pas à s’appliquer d’office.


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