Terralaboris asbl

Personnel de cabine de l’aviation civile : loi applicable

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, sect. Charleroi, 4 novembre 2013, R.G. n° 11/5.322/A

Mis en ligne le mardi 17 juin 2014


Tribunal du travail de Charleroi, section Charleroi, 4 novembre 2013, R.G. n° 11/5.322/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 4 novembre 2013, le Tribunal du travail de Charleroi se déclare incompétent pour connaître d’un litige concernant du personnel de cabine au service d’une société commerciale irlandaise spécialisée dans le transport « low cost » de passagers.

Les faits

Un employé, membre du personnel de cabine d’une société d’aviation « low-cost » est engagé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il s’agit d’un contrat établi en anglais et signé en Irlande. Les dispositions de ce contrat définissent les fonctions. Il s’agit dans un premier temps de celles habituelles pour le travail de bord (embarquement, contrôle, vente à bord, etc.). Le contrat prévoit que le travailleur est basé en Irlande, les avions de la compagnie y étant enregistrés et le travailleur accomplissant ses tâches sur ces avions.

L’intéressé est basé principalement à l’aéroport de Charleroi et, le contrat prévoit qu’il peut l’être à tout autre endroit que la société peut raisonnablement exiger pour l’accomplissement de ses tâches. En conséquence de ce qui précède, la relation de travail est régie par les lois irlandaises et les tribunaux irlandais sont compétents.

Le contrat prévoit par ailleurs le paiement de la rémunération sur un compte en banque irlandais.

La demande en justice

Une citation est introduite demandant au Tribunal du travail de Charleroi une régularisation salariale, ainsi que divers montants au titre de pécule de sortie, de salaire garanti, de frais de transport, et autres sommes annexes.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal s’interroge, en premier lieu, sur sa compétence, eu égard au règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

En ce qui concerne le contrat de travail, l’article 19 du Règlement prévoit que, si un employeur a son domicile sur le territoire d’un Etat membre, il peut être attrait devant les tribunaux de celui-ci ou encore dans un autre Etat membre, étant, dans cette seconde hypothèse qu’il peut s’agir du tribunal où le travailleur accomplit habituellement son travail (ou de celui du dernier lieu où il l’accomplissait) et, s’il n’accomplit pas (ou pas habituellement) son travail dans un seul pays, devant le tribunal du lieu où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur.

Des dispositions sont prévues par le Règlement, permettant de déroger à ces règles. Des conventions attributives de juridiction peuvent en effet être admises mais à la double condition que (i) elles soient postérieures à la naissance du différend ou (ii) elles permettent au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux autorisés ci-dessus.

Se pose en outre la question de déterminer dans le cadre du Règlement ce qu’il faut entendre par domicile de l’employeur, s’agissant d’une société commerciale : c’est soit le siège statutaire, soit l’administration centrale, soit le principal établissement. En droit irlandais, le siège statutaire est le « registered office » ou, en l’absence de celui-ci, le « place of incorporation » (que le tribunal traduit comme le lieu de d’acquisition de la personnalité morale) ou, à défaut, le lieu selon la loi duquel la formation, c’est-à-dire la constitution de la société a été effectuée.

En l’espèce, le tribunal constate que les parties n’ont pas produit de clause d’attribution de compétence valable, que l’employeur n’a pas de domicile en Belgique et que le lieu où était établie la société qui a embauché le travailleur se situe en dehors du territoire belge.

Reste, dès lors, pour le tribunal à voir si, sur le plan de sa compétence, celle-ci peut se justifier au motif que l’aéroport de Gosselies serait le lieu où le travailleur a accompli habituellement son travail, au sens de l’article 19.2. du Règlement.

Le tribunal est dès lors amené à examiner divers arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la question, dans la mesure où cette définition existait déjà dans la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Le tribunal rappelle que le juge national est lié par l’interprétation faite par la Cour de justice des dispositions de la Convention quand celles du Règlement sont rédigées dans des termes identiques ou similaires.

Il renvoie dès lors à deux arrêts de la Cour de justice (Aff. Mulox IBC, 13 juillet 1993, n° C-125/92 et Aff. Rutten, 9 janvier 1997, n° C-383/95). La Cour de Justice y a été amenée à préciser que, si un travailleur preste dans plus d’un état contractant, le lieu où l’obligation caractérisant le contrat a été (ou doit être) exécuté est celui où (ou à partir duquel) le travailleur s’acquitte principalement de ses obligations à l‘égard de l’employeur. Le lieu habituel d’accomplissement du travail est dès lors celui où le travailleur a établi le centre effectif de ses activités professionnelles. Pour déterminer concrètement ce lieu, il faut voir où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail, étant de savoir s’il a un bureau à partir duquel il organise ses activités pour le compte de son employeur et où il retourne après chaque voyage professionnel à l’étranger (arrêt Rutten). Le tribunal relève que dans les deux arrêts ci-dessus, tel était bien le cas et que le juge disposait ainsi d’un facteur de rattachement précis permettant de déterminer l’endroit à partir duquel le travailleur s’acquittait de l’essentiel de ses obligations.

Le tribunal passe ensuite en revue d’autres décisions plus récentes, étant les arrêts Weber (Aff. Weber, 27 février 2002, n° C-37-00) ainsi que Koelzsch (Aff. Koelzsch, 15 mars 2011, n° C-29/10) et Voogsgeerd (Aff. Voogsgeerd, 15 décembre 2011, n° C-384/10). Tout en relevant que les deux derniers arrêts sont rendus dans le cadre de l’article 6, § 2 de la Convention de Rome, le tribunal considère qu’ils sont instructifs et peuvent être utilisés comme outils d’analyse.

Le Cour y a plus précisément constaté, dans l’hypothèse d’un chauffeur routier international domicilié en Allemagne et engagé par une société luxembourgeoise, dans le cadre d’un contrat signé à Luxembourg (la société étant la filiale d’une société danoise et faisant appel à des camions stationnés en Allemagne), que le pays dans lequel le travailleur accomplit habituellement son travail doit être déterminé en tenant compte de l’ensemble des éléments spécifiques à l’activité exercée. S’agissant de missions de transport (transport de fleurs et de plantes à partir du Danemark en général vers l’Allemagne), il faut établir dans quel état est situé le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, reçoit les instructions sur celles-ci et organise son travail ainsi que le lieu où se trouvent ses outils de travail. Le juge doit également vérifier quels sont les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement ainsi que celui où il rentre après ses missions.

Le second de ces deux derniers arrêts (Voogsgeerd) concerne la même problématique, à propos d’un chef mécanicien citoyen néerlandais ayant conclu avec une société luxembourgeoise et travaillant à bord de deux navires et dont le travail était organisé à partir d’Anvers.

Le tribunal reprend dès lors les éléments qui lui sont soumis, eu égard à l’exécution journalière de l’activité.

Les éléments avancés par le demandeur (résidence à Charleroi, début et fin des prestations à l’aéroport de cette ville, obligation d’enregistrement au bureau de la société à Charleroi, présence de ses outils de travail dans cet aéroport, ainsi qu’organisation de formations et de tests de capacité à cet endroit, notamment) font cependant l’objet d’une contestation globale de la part de la société, pour qui toute l’organisation est décidée à Dublin (programme de vol mis à disposition sur internet, …). Pour la société, même si quelques activités marginales sont organisées en Belgique, il n’y a pas d’équipe de gestion ou d’organisation de l’activité sur ce site, indépendante du siège social.

Le tribunal va dès lors constater que les éléments produits et non contestés ne sont pas suffisants pour permettre de déterminer que la Belgique est le pays dans lequel le membre du personnel de cabine accomplit habituellement son travail. Il revient à l’arrêt Koelzsch, pour conclure qu’il faut prouver quel est l’état à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, où il reçoit les instructions sur ses missions et où son travail est organisé, ainsi que, encore, le lieu ou se trouvent ses outils de travail.

Le tribunal indique encore que doivent être approfondies d’autres questions, étant de déterminer les lieux où le transport est principalement effectué, les lieux de déchargement, ainsi que celui où le travailleur rentre après ses missions.

Il conclut que, vu les éléments produits, la Belgique n’est pas prépondérante et que, en conséquence, sa compétence n’est pas établie.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Charleroi reprend les principes sur la question. Il investigue assez longuement les règles mises en avant par la Cour de Justice dans divers arrêts, dans lesquels elle a toujours souligné le rôle du juge national dans l’appréciation des critères fournis, considérant qu’il faut tenir compte de l’ensemble des éléments spécifiques à l’activité exercée.

C’est en réalité vu les éléments de fait produits, que le tribunal aboutit à une conclusion de rejet de la demande.

Nul doute que s’il avait pu fonder sa compétence, ce litige (loin d’être isolé) aurait ouvert la porte à d’autres demandes, peut-être même en grand nombre.

Le jugement n’est pas définitif.


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