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Le point sur le droit pour les personnes handicapées de nationalité étrangère (extra-européenne) aux allocations prévues par la loi du 27 février 1987

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 14 septembre 2015, R.G. 2014/AL/567

Mis en ligne le jeudi 14 janvier 2016


Cour du travail de Liège (div. Liège), 14 septembre 2015, R.G. 2014/AL/567

Terra Laboris ASBL

Dans un arrêt du 14 septembre 2015, la Cour du travail de Liège fait le point sur le droit aux allocations aux personnes handicapées eu égard à la condition de nationalité vu les exigences de la loi du 27 février 1987, et ce au regard des récents arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne et des hautes cours belges.

Les faits

L’administrateur provisoire d’un assuré social forme une demande d’allocations en janvier 2012. Celles-ci sont refusées, au motif que la condition de ‘nationalité’ n’est pas remplie.

Il s’agit de la condition visée à l’article 4 de la loi du 27 février 1987 et de l’arrêté d’exécution du 27 juillet 2006.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de liège (division Huy), qui, par jugement du 26 septembre 2014, accueille la demande, visant à la fois une allocation de remplacement de revenus de catégorie B et une allocation d’intégration de catégorie 3.

L’Etat belge interjette appel.

La décision de la Cour du travail

La cour commence par souligner que l’intéressé est de nationalité togolaise et est régulièrement inscrit au registre des étrangers. Il obtenu la régularisation de son séjour pour raisons médicales (article 9 § 3 al3 ?). Il bénéfice ainsi d’un droit au séjour illimité.

La Cour est ainsi amenée à examiner les conditions mises par la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées eu égard à la condition de résidence, celle-ci renvoyant à diverses hypothèses dans lesquelles sont reprises d’une part des nationalités déterminées et d’autre part des situations spécifiques eu égard au droit des étrangers (apatrides, réfugiés).

La Cour rappelle que l’application de la loi peut être étendue par le Roi à d’autres catégories de personnes dans la mesure où elles ont leur résidence réelle en Belgique. C’est dans ce contexte qu’est intervenu l’A.R. du 17 juillet 2006, élargissant l’application de la loi aux bénéficiaires de certaines nationalités ainsi qu’à leur conjoint, leur cohabitant légal ou autres membres de la famille au sens du Règlement 1408/71. L’A.R. vise également les personnes inscrites comme étrangers au registre de la population. Ce dernier ajout est le fruit d’un A.R. du 9 février 2009, modifiant le précédent. Il fait suite à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 décembre 2007 (n° 253/2007), dont la Cour du travail rappelle qu’il en était le prolongement immédiat.

En l’espèce, aucune des conditions visées n’est remplie.

La Cour en vient alors à l’examen du caractère discriminatoire des dispositions ci-dessus. L’examen est fait dans un premier temps eu égard à l’article 14 de la C.E.D.H. et à l’article 1er, al. 1er du Premier Protocole additionnel à celle-ci.

Elle rappelle la jurisprudence bien acquise de la Cour européenne, selon laquelle le droit à une allocation sociale, même dans un régime non contributif, est un droit patrimonial dès lors qu’il s’agit d’un droit sanctionnable devant le juge national. Renvoyant également à la jurisprudence de la Cour de cassation, dont l’arrêt du 16 juin 2014 (Cass., 16 juin 2014, S.11.0074.F), elle reprend la règle de droit interne selon laquelle ces dispositions ne contreviennent pas à la Convention européenne dans la mesure où elles n’octroient pas les allocations aux étrangers inscrits au registre des étrangers suite à une autorisation de séjour à durée illimitée. Il n’y a pas non plus manquement à la Convention du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées, ceci ayant été dégagé par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 4 octobre 2012 (C. const., 4 octobre 2012, n° 114/2012), non plus qu’à la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne.

La cour du travail rappelle en effet que cette situation se caractérise par le critère du lien insuffisant pour que soit justifié l’octroi des allocations et qu’il y a dès lors des considérations très fortes au sens de l’article 14 de la C.E.D.H. pour que la norme nationale ait exclu le bénéfice de ces dispositions aux intéressés.

Cette solution est partagée par la Cour constitutionnelle dans divers arrêts. L’on ne peut dès lors admettre le droit à de telles prestations sur la base d’une discrimination.
La question de l’égalité de traitement avec les nationaux au regard de la Directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 peut cependant être questionnée. Cependant, son 9e considérant a en effet posé le principe que les ressortissants d’Etats tiers ou les apatrides autorisés à séjourner sur le territoire d’un Etat membre pour des raisons autres que le besoin de protection internationale mais à titre discrétionnaire, par bienveillance ou pour des raisons humanitaires, sont exclus de son champ d’application.

Par dérogation à la règle générale de l’article 28 de la Directive, selon lequel les Etats membres sont tenus d’assurer aux bénéficiaires du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire la même assistance sociale que celle de leurs ressortissants, il est permis aux Etats membres de limiter aux prestations essentielles cette assistance sociale pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire.

La question est dès lors de savoir si l’intéressé peut bénéficier du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire.

La première hypothèse est exclue ainsi que la seconde, celle-ci étant comprise comme la reconnaissance par un Etat membre d’un ressortissant d’un pays tiers en tant que personne pouvant bénéficier de ladite protection.

Aucun des deux fondements n’a servi en l’espèce à fonder le droit de séjour en Belgique, la cour posant quand même la question de savoir si une régularisation de séjour obtenue pour des motifs médicaux peut entrer dans la notion de protection subsidiaire. Elle répond par la négative, eu égard à la jurisprudence Abdida (C.J.U.E., 18 décembre 2014, C-562/13 – point 38) ainsi que M’Bodj (C.J.U.E., 18 décembre 2014, C-542/13 – points 27, 41 et 46).

En ce qui concerne les demandes fondées sur l’article 9ter, un ressortissant ayant introduit une telle demande n’entre pas dans le champ d’application de la Directive, et ce même s’il ne pourrait être éloigné au égard au fait qu’il est atteint d’une grave maladie.

La Cour relève que tel n’est pas le cas en l’espèce.

Quel que soit le fondement, les allocations ne peuvent pas être accordées.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend un rappel complet des décisions intervenues récemment sur la question et qui confirment la licéité au regard des règles de droit international et de droit interne de la condition de nationalité posée par la loi, dont les arrêts de la C.J.U.E. du 18 décembre 2014, qui ont fait le point sur la notion de protection subsidiaire.

Rappelons que, malgré l’exclusion des allocations spécifiques accordées dans le régime des prestations aux personnes handicapées, appel peut être fait à l’aide sociale générale et qu’il peut être demandé dans ce cadre de bénéficier de l’équivalent de celles-ci, l’octroi n’étant cependant pas automatique.


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