Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 août 2016, R.G. 2015/AL/608
Mis en ligne le vendredi 30 décembre 2016
Cour du travail de Liège, division Liège, 9 août 2016, R.G. 2015/AL/608
Terra Laboris
Dans un arrêt du 9 août 2016, rendu en matière de revenu d’intégration sociale, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle le contenu de l’obligation de motivation formelle d’une décision administrative ainsi que l’étendue du contrôle judiciaire.
Les faits
Madame A. bénéficie du revenu d’intégration sociale. Elle fait l’objet, en janvier 2015, d’une sanction, étant une suspension de la prestation pendant une durée de 3 mois. Pour le C.P.A.S., il ressort d’un rapport de l’Auditorat du travail qu’elle aurait eu une activité en août 2014, consistant en la vente de métaux, activité qu’elle n’aurait pas déclarée.
Dans l’instruction du dossier, il apparaît que ceci est inexact, l’activité en cause ayant bien été exercée, mais antérieurement à l’octroi du revenu d’intégration.
Pour le premier juge, qui a été saisi de cette question de période, il y avait dans la décision un défaut de motivation formelle. Il a conclu à l’annulation. Il s’est cependant considéré compétent pour se substituer au C.P.A.S. pour apprécier s’il fallait infliger la suspension.
Se fondant sur d’autres éléments, étant que le rapport d’enquête sociale avait relevé une cohabitation avec son ex-époux (cohabitation non déclarée), il avait été conclu à ce qu’elle bénéficiait de ressources eu égard à l’activité de ce dernier. Vu le problème d’omission de déclaration des ressources, le premier juge avait maintenu la sanction, sur la base de l’article 30, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 26 mai 2002.
L’intéressée a interjeté appel.
Avis de Madame l’Avocat général
Le Ministère public est d’avis que la cour doit accueillir l’appel, dans la mesure où, une fois épuisé le pouvoir de juridiction du tribunal vu l’annulation prononcée, celui-ci ne peut infliger une nouvelle sanction.
La décision de la cour
La cour reprend le texte de la loi du 26 mai 2002, sur la sanction en cause : si l’intéressé omet de déclarer des ressources dont il connaît l’existence ou en cas de déclarations inexactes ou incomplètes ayant une incidence sur l’octroi de la prestation, celle-ci peut (la cour souligne) être suspendue partiellement ou totalement pendant 6 mois (maximum) ou, en cas d’intention frauduleuse, de 12 mois (maximum).
Renvoyant à la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs, la cour rappelle que motiver formellement c’est expliquer la décision, c’est-à-dire exposer dans celle-ci le raisonnement en droit et en fait qui lui sert de fondement.
Le but de la mesure est de permettre au citoyen, qui est destinataire de celle-ci, d’en comprendre la portée. La cour relève que, si la loi ne précise pas ce qu’il faut entendre par « considération de droit et de fait », la décision doit indiquer la base en vertu de laquelle l’autorité agit, ainsi que les éléments qui se dégagent du dossier et qui justifient l’acte. La base constitue les considérations de droit et les éléments dégagés du dossier sont les considérations de fait.
La cour rappelle encore les conditions de la motivation, étant qu’elle doit être adéquate, c’est-à-dire être suffisamment étayée, et figurer dans l’acte lui-même.
En l’espèce, la cour s’écarte de l’appréciation du tribunal, considérant que la décision répond aux exigences de motivation formelle requises. Le seul élément contestable est l’erreur de date (2014 au lieu de 2011), mais ceci ne contrevient pas en soi à l’obligation de motivation formelle. Cette erreur a pour seul effet que l’infraction ne sera pas établie.
En outre, sur la sanction, la cour rappelle que l’article 30 vise la possibilité de suspendre, étant que le législateur a conféré au C.P.A.S. un pouvoir discrétionnaire d’appréciation sur la nécessité de cette sanction. Dès lors qu’elle est annulée par le juge, que ce soit pour défaut de motivation ou parce qu’il n’y a pas d’infraction, celui-ci ne peut se substituer à l’administration.
La cour déclare dès lors l’appel recevable et fondé.
Intérêt de la décision
Dans cet arrêt, le C.P.A.S. avait renvoyé à un arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2005 (Cass., 27 juin 2005, n° S.04.0187.N). Pour le conseil du C.P.A.S., en cas d’annulation d’une décision administrative illégale, le juge a le devoir de se substituer à l’administration, en dépassant le constat de nullité pour réexaminer les conditions de fond et statuer sur le droit au revenu d’intégration.
La cour du travail a répondu à cet argument que l’enseignement de cet arrêt de la Cour suprême n’est pas applicable au présent litige, dans la mesure où, à la différence de celui-ci, il concerne non la légalité d’une décision ayant infligé une sanction (ce qui relève du pouvoir discrétionnaire du C.P.A.S.), mais bien d’une décision administrative frappée de nullité vu la violation de l’obligation de motivation formelle, décision concernant les conditions d’octroi de l’aide sociale. La Cour de cassation avait relevé que cette problématique relève d’une compétence liée et non discrétionnaire et que le juge exerce sur la décision du C.P.A.S. un contrôle de pleine juridiction qui lui permet d’apprécier les faits et de statuer sur le droit au minimum de moyens d’existence et sur le droit à l’aide sociale.