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Secteur de la construction : règles spécifiques relatives à l’existence d’un contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 avril 2018, R.G. 2017/AB/22

Mis en ligne le mardi 12 février 2019


Cour du travail de Bruxelles, 25 avril 2018, R.G. 2017/AB/22

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 25 avril 2018, la Cour du travail de Bruxelles examine les critères de l’arrêté royal du 7 juin 2013, pris en exécution de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, relatifs au secteur de la construction. La cour dégage également la méthode d’examen.

Les faits

Quatre personnes décident de fonder une société (SPRL), dans laquelle elles ont chacune le statut de cogérant. Le secteur d’activité est celui de la construction (placement de systèmes de protection contre l’incendie).

Cette constitution date de février 2013. Huit mois plus tard, un nouvel associé est admis. Il possède 5 parts sociales sur 186. Il n’est pas cogérant.

Quelques mois après son entrée dans la société, il a un accident du travail sur un chantier dans lequel la société travaille en sous-traitance. Il cesse ses prestations pour le compte de la société et ses 5 parts sont cédées à un tiers.

Suite à une enquête menée par l’O.N.S.S. à l’initiative de l’auditorat, le rapport conclusif considère que les relations professionnelles se sont mues dans le cadre d’un contrat de travail. Les déclarations trimestrielles à l’O.N.S.S. sont corrigées. L’intéressé fait ensuite l’objet d’un assujettissement d’office.

La société conteste la décision de l’O.N.S.S. et introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Sa demande est déclarée non fondée par jugement du 26 décembre 2016 et elle interjette appel, demandant à la cour d’annuler la décision d’assujettissement d’office de l’intéressé.

La décision de la cour

La cour reprend le cadre légal, étant d’une part la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et d’autre part la loi-programme (I) du 27 décembre 2006.

Elle procède également au rappel de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en ce qui concerne le lien de subordination, qui est la caractéristique du contrat de travail. Celui-ci existe dès qu’une personne peut, en fait, exercer son autorité sur les actes d’une autre.

Elle reprend également les règles en matière de requalification.

Par ailleurs, la loi-programme du 27 décembre 2006 a fixé des critères généraux permettant d’apprécier l’existence d’un lien d’autorité et, par ailleurs, elle renferme un mécanisme de présomption applicable aux relations de travail dans le cadre de travaux immobiliers.

Il y a des critères pour l’application de la présomption et ceux-ci sont dans la loi au nombre de neuf. En outre, la loi prévoit que des critères spécifiques peuvent être prévus pour plusieurs secteurs d’activité et ceux-ci viennent alors remplacer ou compléter les critères de la loi elle-même.

Pour les travaux immobiliers (secteur de construction), l’arrêté royal du 7 juin 2013 est venu concrétiser ces mesures spécifiques.

La cour reprend longuement les critères en cause. En l’occurrence, les critères de la loi sont ici remplacés par des critères plus adaptés. Ils visent le risque financier, l’absence de responsabilité et de pouvoir de décision (moyens financiers de l’entreprise, politique d’achat et politique des prix, etc.), garantie du paiement d’une indemnité fixe quels que soient les résultats, absence de possibilité d’engager du personnel ou de se faire remplacer, absence d’identification de l’intéressé comme étant une entreprise (logo, lettrage, etc.), travail principal et habituel pour un seul contractant, travail dans des locaux hors chantier ou avec du matériel dont il n’est pas le propriétaire ou le locataire et, enfin, absence de travail autonome vis-à-vis des équipes de travail du cocontractant ou de l’entreprise au sein de laquelle l’intéressé a le statut d’associé actif.

Cette présomption est réfragable. Pour la cour, il faut d’abord vérifier son application et ensuite voir si elle coïncide avec les critères généraux en vue du renversement éventuel de la présomption issue de la majorité des critères.

Elle passe dès lors en revue les éléments de l’espèce.

Pour ce qui est des parts sociales (5 parts détenues sur 186), la cour constate que ceci ne signifie pas une participation personnelle et substantielle (la cour soulignant ce dernier terme) dans les gains et pertes de l’entreprise. Il n’y a pas de risque financier ou économique dans le chef de l’intéressé.

Ceci fait qu’il ne disposait pas d’un pouvoir de décision, celui-ci relevant de la responsabilité des gérants. La cour reprend les règles contenues dans le Code des sociétés en ce qui concerne le pouvoir de décision concernant les moyens financiers de l’entreprise, rappelant que, dans une SPRL, l’organe de gestion dispose des pouvoirs internes les plus larges en vue de la réalisation de l’objet social, à l’exclusion de ceux réservés à l’assemblée générale par la loi (nominations, vote des comptes annuels, affectation des bénéfices, décharge des gérants et modification des statuts).

En l’espèce, l’intéressé n’avait pas 10% des droits de vote. Pour la cour, il n’avait ainsi nullement la possibilité d’influer sur les décisions ni même la faculté d’intenter l’action minoritaire contre les gérants (article 290 du Code des sociétés).

Il avait un fixe mensuel, qui répond, pour la cour, à la condition de « garantie du paiement d’une indemnité fixe quels que soient les résultats de l’entreprise ou le volume des prestations fournies ».

Les autres critères sont également rencontrés, tant sur l’absence de pouvoir d’engager du personnel que de l’absence d’entreprise personnelle dans le chef du travailleur. Il en va encore de même pour la condition d’occupation principale ou habituelle pour un seul cocontractant et pour ce qui est du matériel mis à disposition.

La présomption doit donc jouer et la société doit, si elle entend renverser celle-ci, établir que les critères généraux repris dans la loi (les quatre critères fondamentaux) ne sont pas remplis. Ceci n’est pas fait. Il s’agirait, en effet, d’établir qu’il n’y a pas contrat de travail, vu que (i) la volonté des parties était autre, dans la convention et dans son exécution, (ii) l’intéressé avait la liberté d’organisation du temps de travail, (iii) ainsi que celle d’organisation du travail et (iv) la possibilité d’être soumis à un contrôle hiérarchique n’existait pas.

La présomption n’étant pas renversée, la cour confirme le jugement rendu par le tribunal du travail.

Intérêt de la décision

La question de la qualification de la relation de travail (contrat de travail/contrat d’entreprise) a fait couler beaucoup d’encre, avant l’adoption de la loi-programme (I), vu la jurisprudence ferme de la Cour de cassation, et, depuis l’adoption de cette loi, vu les critères définis par le texte. L’on peut rappeler qu’il s’agit d’abord de critères généraux (les quatre critères de l’article 333, § 1er), de neuf critères énumérés à l’article 337/2, § 1er, étant des critères permettant de retenir l’existence d’une présomption réfragable de contrat de travail, et, enfin, la possibilité pour le Roi de déterminer des critères spécifiques, par arrêté royal, qui viennent remplacer ou compléter les critères de l’article 337/2, § 1er.

La cour a donné la méthode d’examen de ces règles : il y a lieu de vérifier l’application de la présomption réfragable et puis, dans un second temps, de vérifier si elle coïncide avec les critères généraux en vue du renversement éventuel de la présomption issue de la majorité des critères (8e feuillet).


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