Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 28 janvier 2019, R.G. 2017/AL/586
Mis en ligne le vendredi 30 août 2019
Cour du travail de Liège (division Liège), 28 janvier 2019, R.G. 2017/AL/586
Terra Laboris
Par arrêt du 28 janvier 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle l’obligation du préalable administratif dans la matière des fermetures d’entreprise, le Fonds devant impérativement être saisi d’une demande et celle-ci ne pouvant être formée pour la première fois devant les juridictions du travail.
Les faits
Une société est mise en liquidation volontaire en mars 2007. Aucune provision n’est constituée pour couvrir le passif social. Le liquidateur licencie les travailleurs aussitôt et ceux-ci lui envoient des déclarations de créance. Dans les sommes réclamées, figure notamment une indemnité due à une clause de sécurité d’emploi. Celle-ci est prévue par une convention collective et suppose une procédure de concertation en cas de crise dans l’entreprise. Cette procédure n’a pas été respectée et l’indemnité supplémentaire est ainsi due, indemnité correspondant au délai de préavis lui-même.
Le liquidateur s’adresse au Fonds de Fermeture des Entreprises et remplit les formulaires ad hoc pour les intéressés. Les demandes comprennent des arriérés de rémunération et de frais, une libéralité et une indemnité compensatoire de préavis. Elle n’inclut pas l’indemnité pour sécurité d’emploi. Le Fonds de Fermeture fait, en gros, droit aux demandes.
Se pose ensuite la question de cette indemnité prévue par la clause de sécurité d’emploi, dont le paiement est refusé tant par le liquidateur que par le Fonds de Fermeture.
Une procédure est initiée devant le Tribunal du travail de Liège, qui, par jugement du 12 mai 2011, condamne la société à payer celle-ci. Ce jugement n’a pas été frappé d’appel. Le liquidateur a, suite à cette décision, saisi de nouveau le Fonds de Fermeture, qui a refusé son intervention.
Une requête est alors introduite devant le Tribunal du travail de Liège pour 13 travailleurs, contre le Fonds de Fermeture. Celui-ci est condamné par jugement du 19 septembre 2017 à payer lesdites indemnités.
Il interjette appel.
La position du Fonds de Fermeture devant la cour
Le Fonds de Fermeture considère que la demande relative au paiement de l’indemnité de sécurité d’emploi est contraire à une norme d’ordre public. Il renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 (Cass., 24 juin 2004, n° S.03.0110.N) rendu en matière de faillite et fait grief au premier juge d’avoir considéré que la liquidation volontaire ne peut être assimilée à une faillite. Il rappelle qu’il y a lieu de respecter le préalable administratif (la première série de demandes d’indemnisation n’ayant pas donné lieu à une contestation) et il fait également valoir les plafonds d’indemnisation (article 24 de l’arrêté royal du 23 mars 2007 portant exécution de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise).
Quant aux travailleurs, ils renvoient à un autre arrêt de la Cour de cassation, du 10 novembre 2003 (Cass., 10 novembre 2003, n° S.01.0178.F), faisant valoir que la saisine initiale suffit à rencontrer l’exigence du préalable administratif.
La position du Ministère public
Dans son avis, le Ministère public revient longuement sur la notion de préalable administratif. Pour son Office, seul les travailleurs qui ont formé une demande portant sur le bénéfice de la clause de stabilité d’emploi sont recevables à formuler une demande à ce sujet devant le tribunal du travail. Pour les autres, leur recours originaire aurait dû être déclaré irrecevable.
Pour les premiers, les conditions de prise en charge sont remplies. L’Avocat général s’écarte de la position du Fonds à propos de la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle la clause en cause n’est pas opposable au curateur, et ce au motif des différences majeures entre la faillite et la liquidation volontaire. Cette clause liait donc le liquidateur.
La décision de la cour
Sur la question du préalable administratif, la cour rappelle l’article 5 de la loi du 30 juin 1967 portant extension de la mission du Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise. En vertu de cette disposition, le Fonds est saisi de la demande de paiement à l’initiative du travailleur et le Roi détermine les modalités d’introduction de cette demande, de même que les informations à lui communiquer. Un formulaire conforme est prévu par l’arrêté royal du 6 juillet 1967 (article 1er). Le respect de ce formalisme est indispensable pour que le Fonds soit valablement saisi. La cour renvoie ici à divers arrêts de la Cour de cassation, dont celui du 20 décembre 1983 (Cass., 20 décembre 1983, Pas., 1982, I, p. 487).
Le principe du préalable administratif ne s’oppose pas à une extension subséquente de la demande sur pied de l’article 807 du Code judiciaire. Il faut cependant que le Fonds ait été saisi d’une demande dont le refus a engendré le litige. Faute de saisine préalable, il n’y a ni demande, ni procédure administrative, ni grief, non plus que de recours possible devant les juridictions.
Pour ce qui est de la demande de 2007, elle est clôturée et il n’y a pas eu saisine du pouvoir judiciaire.
Certains des travailleurs concernés ont choisi d’initier une nouvelle procédure administrative. Seuls ceux qui l’ont fait peuvent prétendre bénéficier de l’indemnité en cause, et non les autres, pour lesquels le recours originaire est irrecevable.
En ce qui concerne le fond, les travailleurs dont l’action a été considérée recevable se fondent sur le jugement rendu le 12 mai 2011, jugement que le Fonds critique, estimant d’une part que la décision condamne la société représentée par son liquidateur et que, d’autre part, elle ne le lie pas.
La cour retient que le jugement n’a pas autorité de chose jugée vis-à-vis du Fonds, qui n’était pas à la cause. Cependant, elle reprend les principes en la matière, étant que ce jugement a une force probante certaine, étant admis en doctrine qu’il s’agit d’une présomption légale réfragable. Elle renvoie aux principes dégagés en la matière, tant par les auteurs que par la Cour de cassation dans une jurisprudence constante (dont Cass., 28 avril 1989, n° 6.247).
Le Fonds de Fermeture entend renverser la présomption de force probante, et ce par le renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 21 juin 2004. La cour estime que cette argumentation ne peut être suivie, reposant sur une assimilation erronée entre le liquidateur et le curateur. Elle rappelle notamment que le liquidateur est choisi par la société et qu’aucune exigence de formation, de capacité ou d’expérience n’est requise à son égard. Quant au curateur, il est désigné par le tribunal de l’entreprise (anciennement tribunal de commerce), seuls pouvant être désignés des avocats bénéficiant d’une formation et d’une compétence particulière.
La cour conclut que le jugement est opposable au Fonds, non au titre de l’autorité de la chose jugée mais au titre de la présomption qui s’attache à toute décision judiciaire, même à l’égard des tiers.
Restera à vérifier la question du plafond d’indemnisation.
Quant aux intérêts, dans la mesure où il n’y a pas eu de sommation de payer, ceux-ci sont dus à partir de l’introduction de la requête devant le tribunal.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Liège, bien charpenté, reprend deux principes en la matière, étant d’une part la distinction à opérer entre le curateur et le liquidateur volontaire d’une société commerciale, avec les incidences de celle-ci sur leur rôle respectif dans l’hypothèse d’une fermeture d’entreprise, et d’autre part la question plus générale de la force probante d’une décision judiciaire à l’égard des tiers. Celle-ci ne peut avoir d’autorité de chose jugée qu’entre les parties mais constitue une présomption réfragable vis-à-vis de ceux-ci. Ils peuvent – comme le Fonds a tenté de le faire en l’espèce – renverser cette présomption et l’on notera que, si tel n’a pas été le cas pour la question du préalable administratif, la cour a admis ce renversement sur la question des intérêts.
L’arrêt est également l’occasion de rappeler l’importance de la saisine du Fonds de Fermeture, aux fins d’ouvrir le droit à l’indemnisation réclamée. La particularité de l’espèce était de déterminer si, eu égard à une saisie ancienne et pour laquelle aucune contestation n’est intervenue à l’époque, une extension de la demande pouvait être admise.
Pour la cour, une extension est conforme à l’article 807 du Code judiciaire… à la condition cependant qu’une demande ait été formée auprès du Fonds, ce qui, en l’espèce, n’était pas le cas pour l’ensemble des travailleurs mais uniquement une partie d’entre eux.