Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 août 2019, R.G. 18/1.779/A
Mis en ligne le mercredi 25 mars 2020
Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 août 2019, R.G. 18/1.779/A
Terra Laboris
Licenciement fondé sur un handicap et licenciement manifestement déraisonnable : un jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles
Par jugement du 2 août 2019, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles admet l’existence d’une discrimination fondée sur le handicap, dans l’hypothèse d’un licenciement intervenu sur le champ moyennant indemnité d’un travailleur prestant dans un établissement de travail adapté. Le tribunal alloue également une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ainsi que des dommages et intérêts pour abus de droit.
Les faits
Un travailleur, atteint d’un handicap, est occupé dans une entreprise de travail adapté. Il est capable de travailler mais a besoin d’un environnement adapté, ce qui est permis dans le cadre de cette institution.
Son temps de travail est réduit, vu qu’il a connu des crises l’ayant amené à suspendre ses prestations. Après son retour d’une période d’incapacité, une nouvelle crise intervient et une ambulance doit être appelée aux fins de le conduire au service des urgences d’un hôpital. Il est ensuite licencié le lendemain, moyennant paiement d’une indemnité de rupture.
Il demande, dans le délai fixé par la C.C.T. n° 109, à connaître les motifs du licenciement et l’institution lui répond, faisant essentiellement valoir des pertes de connaissance régulières et des chutes, ceci étant susceptible de le mettre en danger ainsi que les autres travailleurs.
UNIA est contactée et intervient dans un long courrier adressé à l’institution. Ce courrier pose notamment la question de l’identification des risques précis auxquels l’intéressé aurait été exposé. La question est posée de l’existence de l’analyse de risques ainsi que des aménagements raisonnables envisagés. L’institution répond longuement, dans un courrier en réponse. L’échange de courriers se poursuit, l’organisation syndicale du travailleur intervenant également.
Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 17 mai 2018 et le travailleur y postule condamnation de l’institution à l’indemnité de protection prévue par l’article 18 de la loi du 10 mai 2007, ainsi qu’à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et des dommages et intérêts réparant le préjudice moral causé par les fautes de l’institution.
La décision du tribunal
Le tribunal reprend le cadre légal et, notamment, les règles de preuve, celui qui se prétend victime d’une discrimination devant démontrer la réalité des faits qu’il invoque et ces faits devant permettre de présumer l’existence de celle-ci. Il souligne que, dans l’examen du caractère discriminatoire d’un acte, l’éventuel élément intentionnel de la personne ou de l’organisation qui a posé celui-ci ne joue aucun rôle. Il peut dès lors y avoir discrimination sans que l’employeur n’ait eu une quelconque intention en ce sens (renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles – C. trav. Bruxelles, 20 février 2018, R.G. 2016/AB/959).
Le tribunal poursuit en précisant qu’il doit vérifier si le demandeur démontre de tels faits, permettant de présumer que le licenciement est constitutif d’une discrimination fondée sur son handicap, et qu’il doit ensuite vérifier si l’institution apporte la preuve suffisante qui permet d’écarter la présomption d’existence de la discrimination, ce renversement pouvant passer par la preuve d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes justifiant le licenciement et la mise en place effective d’aménagements raisonnables.
L’intéressé considère que son licenciement est fondé exclusivement sur son handicap et, particulièrement, sur l’ultime crise qu’il a subie après son retour au travail, et ce d’autant que l’institution met en avant des motifs de sécurité liés à celle-ci. Pour le tribunal, les indices apportés sont suffisants, permettant de présumer un lien direct avec le handicap.
L’institution doit dès lors établir l’absence de ce lien ou que le licenciement est justifié par une obligation légale ou par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes. Celle-ci faisant valoir qu’elle était tenue de licencier pour des raisons légales (risques potentiels, malgré les aménagements maximums qu’elle aurait concédés), le tribunal retient qu’aucune mise en péril évidente n’est avérée, ni au niveau de la sécurité de l’intéressé ni eu égard à des risques à prévenir. Le tribunal retient par ailleurs qu’aucun élément sérieux quant à des exigences professionnelles essentielles et déterminantes qui permettrait de rendre le licenciement admissible n’est établi.
Il conclut dès lors sur ce point à l’existence d’une distinction directe opérée (mesure de licenciement), qui constitue une discrimination directe pour laquelle l’institution échoue à faire valoir valablement un quelconque élément de justification autorisé par la loi.
Est également invoqué un refus d’aménagements raisonnables, au sens de l’article 14 de la loi du 10 mai 2007. Tant pour le travailleur que pour UNIA, le licenciement révèle ce refus. Le tribunal rappelle que le licenciement est intervenu avec effet immédiat après la dernière crise du travailleur. Il considère qu’il y a eu précipitation, le nouveau contexte de l’occupation du travailleur (dans le cadre d’aménagements convenus antérieurement) ayant duré moins de deux jours. Le licenciement doit effectivement être assimilé à un refus d’aménagements raisonnables.
Sur le plan de la sanction, il alloue les six mois de rémunération réclamés par le travailleur et refuse la demande de réduction de l’indemnité forfaitaire à trois mois (sur la base de l’article 18, § 2, 2°, de la loi) sollicitée par l’employeur.
Vis-à-vis d’UNIA, qui réclame, au titre de réparation du préjudice subi, un forfait de 5.000 euros, le tribunal considère qu’elle n’établit ni une faute ni un dommage en lien causal avec une faute commise. L’association considérant que le montant postulé se justifie, vu qu’il serait nécessaire d’apporter une sanction effective à la violation de la loi, au risque de manquer aux exigences d’une transposition effective de la Directive européenne, le tribunal dit ne pas partager cette approche, la fixation du préjudice d’UNIA étant, dans cette optique, davantage punitive que réparatrice. Ceci n’est pas l’objet de la mise en cause de la responsabilité aquilienne. Le dommage est évalué ex aequo et bono à 1 euro.
Par ailleurs, sur le licenciement manifestement déraisonnable au sens de la C.C.T. n° 109, l’institution n’établit nullement les motifs qu’elle a invoqués (motifs de sécurité, pertes régulières de connaissance et chutes, mise en danger du travailleur et de ses collègues, etc.). Il y a licenciement manifestement déraisonnable et une indemnité est allouée de ce chef.
Pour ce qui est de l’abus de droit, le tribunal retient que le régime de sanction prévu par la convention collective n° 109 n’exclut pas l’application du régime de réparation d’un dommage résultant d’un abus de droit dans le cadre du licenciement.
Les circonstances invoquées par le demandeur sont la brusquerie, la disproportion totale entre l’avantage tiré par l’employeur et les inconvénients subis par le travailleur, la défense tout à fait excessive opposée par l’employeur à la question de la discrimination (opérant une stigmatisation inutile et vexatoire), ainsi que l’absence de consultation du conseiller en prévention-médecin du travail.
Pour le tribunal, l’ensemble des éléments prouvés au dossier indiquent que le demandeur a effectivement perdu une chance de voir examiner son dossier en toute sérénité par des acteurs ayant le recul nécessaire par rapport à sa situation et qu’il y a manifestement eu une attitude abusive qui a effectivement causé un préjudice dans son chef. Celui-ci est évalué à 500 euros nets.
Intérêt de la décision
Ce jugement examine trois chefs de demande introduits au titre de réparation du préjudice subi suite au licenciement, en sus de l’indemnité compensatoire de préavis qui a été allouée spontanément par l’employeur à la rupture.
Le tribunal a rappelé la méthode à suivre en cas de demande de réparation du préjudice subi en cas de discrimination, étant qu’il doit d’abord vérifier les éléments de fait avancés par le travailleur et qui seraient susceptibles de faire apparaître l’existence d’une discrimination. Ensuite, si le travailleur aboutit dans cette obligation de preuve, il appartient à l’employeur de renverser la présomption ainsi intervenue.
Si le travailleur échoue, l’examen du contrôle judiciaire s’arrête là.
L’on notera que, pour le surplus, le motif a également été examiné sous l’angle des critères de la C.C.T. n° 109 et que, enfin, les circonstances du licenciement elles-mêmes ont donné lieu à une réparation sur la base de l’exercice anormal du droit de rupture par l’employeur.