Commentaire de Cass., 16 décembre 2019, n° S.18.0068.F
Mis en ligne le jeudi 25 juin 2020
Cour de cassation, 16 décembre 2019, n° S.18.0068.F
Terra Laboris
Dans un arrêt du 16 décembre 2019, la Cour de cassation apporte des précisions sur le délai de prescription de 7 ans dont dispose l’O.N.S.S. en cas d’assujettissement frauduleux à la sécurité sociale des travailleurs salariés en relation avec la situation du travailleur dont l’assujettissement est annulé.
Les faits de la cause
Nous ne disposons pas de l’arrêt soumis à la censure de la Cour de cassation, prononcé le 20 juin 2018 par la cour du travail de Bruxelles. Notre exposé est donc fondé sur les motifs de cet arrêt tels qu’ils ressortent de la partie de la décision de la Cour consacrée au moyen de cassation.
Mme A. A. Z. a été entendue par l’O.N.S.S. le 5 avril 2012 dans le cadre d’une enquête concernant son « employeur », impliqué dans différents dossiers d’assujettissement frauduleux.
Par une décision du 23 mars 2015, l’O.N.S.S. a annulé l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés, dont Mme A. A. Z., pour le quatrième trimestre 2011.
La question a été posée devant les juridictions du travail de ce délai entre l’audition et la décision.
L’O.N.S.S. a soutenu qu’il disposait d’un délai de prescription de 7 ans prévu par l’article 4 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs pour tirer les conséquences d’un assujettissement frauduleux. Aux termes de cette disposition, insérée par la loi programme du 22 décembre 2008, « en cas d’assujettissement frauduleux à la sécurité sociale des travailleurs salariés, l’Office national de sécurité sociale dispose d’un délai de sept ans à compter du premier jour du trimestre qui suit celui au cours duquel l’infraction a eu lieu pour procéder à l’annulation de ces assujettissements frauduleux ».
L’arrêt attaqué a décidé que ce délai de 7 ans n’était pas applicable à la décision prise à l’égard de Mme A. A .Z. faute pour l’O.N.S.S. d’établir que celle-ci aurait participé en connaissance de cause à l’assujettissement frauduleux. L’O.N.S.S. devait dès lors prendre sa décision d’annulation dans un délai raisonnable compte tenu des conséquences de celle-ci sur des prestations de sécurité sociale comme par exemple le secteur des soins de santé, dans lequel le délai de prescription applicable à la reconnaissance du droit sur une autre base est particulièrement court (2 ans).
L’arrêt attaqué décide qu’en l’espèce l’O.N.S.S. n’a pas statué dans un délai raisonnable suivant l’audition du 5 avril 2012, ce qui justifie l’annulation de sa décision.
Le pourvoi en cassation
Le moyen unique, divisé en deux branches, invoque la violation de l’article 42, alinéas 4 et 5, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.
Par la première branche, l’O.N.S.S. soutient, en substance, que l’alinéa 4 de cette disposition ne requiert aucune participation du travailleur à l’assujettissement frauduleux pour que le délai dont il dispose pour l’annuler soit de 7 ans à compter du premier jour du trimestre qui suit celui au cours duquel l’infraction a été commise. Quand cette décision d’annulation est prise, elle est, en vertu de l’article 42, alinéa 5, de cette loi, communiquée au travailleur, qui dispose d’un délai de trois mois à partir de la notification pour faire reconnaitre son droit subjectif à l’assujettissement.
La seconde branche est également prise de la violation de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969. Le demandeur soutient que, dès lors que sa décision d’annulation de l’assujettissement a été prise dans le délai de 7 ans, l’arrêt n’a pu, sans violer cette disposition légale, lui imputer une faute déduite du seul dépassement d’un délai raisonnable justifiant d’annuler la décision litigieuse.
L’arrêt commenté
La Cour accueille les deux branches du moyen.
Sur la première branche, elle décide que l’article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 « ne requiert, pour que l’Office puisse, dans le délai qu’elle prévoit, annuler l’assujettissement d’un travailleur, aucune participation de celui-ci à la fraude entachant cet assujettissement. »
Sur la seconde branche, elle décide que « Dès lors qu’il ressort de la réponse à la première branche du moyen que la décision d’annulation de l’assujettissement litigieux n’a pas été légalement déclarée tardive, l’arrêt n’a pu, sans méconnaître le droit (de l’O.N.S.S.) de procéder à l’annulation d’un assujettissement frauduleux aussi longtemps que le délai prévu à l’article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969 n’est pas expiré, lui imputer une faute déduite du seul dépassement d’un délai raisonnable justifiant de maintenir en faveur de (Mme A. A. Z.) le bénéfice de pareil assujettissement ».
Intérêt de la décision
Cette décision nous donne l’occasion d’exposer le contenu des alinéas 4 et 5 de la loi du 27 juin 1969.
L’alinéa 5 a été introduit par l’article 32 de la loi-programme du 8 juin 2008 et, comme le précisent les travaux préparatoires, s’explique par la circonstance que, dans son arrêt DELIZEE LEMASSON, la Cour de cassation a reconnu au travailleur le droit d’introduire une action en justice pour faire trancher la contestation relative au droit subjectif qu’il tire de la loi du 27 juin 1969, ce qui pose la question du délai dans lequel cette contestation doit être soumise à la justice. A défaut d’un délai de prescription spécifique, le travailleur pourrait introduire son action dans le délai de 10 ans, ce qui crée une grande insécurité juridique et un préjudice pour la sécurité sociale. Il a donc été décidé de prévoir un délai de trois mois en s’inspirant de la Charte de l’assuré social (Projet de loi, Exposé des motifs, sess. 52, doc. 1011/001, pp. 20 et 21). Il a été précisé que la décision de l’O.N.S.S. devait être motivée et adressée par lettre recommandée au travailleur identifié au moyen du numéro NISS (Ch., Rapport de la Commission des affaires sociales, doc. 1011/019, p. 12).
L’arrêt DELIZEE LEMASSON auquel se réfèrent ces travaux préparatoires a été rendu le 5 novembre 1990 (Pas., 1991, p. 237). La Cour décide « que l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs prévoit qu’elle s’applique aux travailleurs et aux employeurs liés par un contrat de travail ; qu’il résulte du système organisé par cette loi et notamment des articles 5 et 2, alinéa 2, de celle-ci que l’assujettissement des travailleurs à cette loi est, en principe, la condition de leur admission au bénéfice des régimes au financement desquels ils contribuent par leurs cotisations ; que lorsque l’Office national de sécurité sociale, qui est chargé de la perception de ces cotisations, considère qu’un travailleur n’est pas assujetti à ladite loi, ce travailleur dispose d’une action contre cet organisme afin de trancher la contestation relative au droit subjectif qu’il prétend puiser dans cette loi ».
L’arrêt de la Cour de cassation du 27 février 2017 (n° S.15.0130.F, publié et commenté sur www.terralaboris.be) a confirmé que, avant l’entrée en vigueur de l’alinéa 5 de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, le délai dont disposait le travailleur pour voir reconnaitre son droit subjectif à l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés, qui conditionne son droit aux prestations dans les différents secteurs, se prescrivait par dix ans à mesure du décours de la relation de travail.
Quant à l’alinéa 4 de l’article 42, qui instaure un délai de prescription de 7 ans en cas d’assujettissement frauduleux, il a été introduit par l’article 74, 2°, de la très volumineuse loi programme du 22 décembre 2008. Sa justification est que l’O.N.S.S. est confronté à de nouveaux types de mécanismes de type frauduleux qui nécessitent la mise au point de nouvelles techniques d’enquête et le recours à des techniques de recouvrement qui ne sont généralement pas utilisées par ses services (Ch., Exposé des motifs, sess. 52, doc. 1607/001, pp. 56 et 57). Ces travaux préparatoires sont, comme c’est généralement le cas pour ce type de loi de fin d’année civile, peu consistants et n’envisagent pas la situation du travailleur qui n’aurait pas participé à la fraude.