Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2020, R.G. 2017/AB/746
Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2020
C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2020, R.G. 2017/AB/746
Motif grave : quand commence le délai de 3 jours pour licencier ?
Dans un arrêt du 20 janvier 2020, la Cour du travail de Bruxelles, reprenant les principes énoncés dans les arrêts rendus par la Cour de cassation sur la question, rappelle que l’employeur ne peut se voir reprocher, lorsqu’il soupçonne un travailleur, en l’espèce disposant d’une longue ancienneté et d’une protection contre le licenciement, de ne pas se contenter d’une simple déclaration vague d’un collègue de travail quant aux faits susceptibles de constituer un motif grave, mais qu’il poursuit son enquête en vue de vérifier la véracité de ceux-ci.
Les faits
Un agent de garde (secteur du gardiennage) est licencié pour motif grave. Ce licenciement intervient verbalement et est confirmé le lendemain par courrier recommandé. La lettre est circonstanciée et fait essentiellement grief à l’intéressé d’être arrivé en retard pour prendre son « shift » (s’agissant d’équipes successives se succédant pendant 24 heures, le travailleur de l’équipe précédente ne pouvait quitter son poste tant que celui de l’équipe suivante n’est pas présent). Suite à cette arrivée tardive constatée par un collègue, l’intéressé a été entendu et a démenti avoir fraudé. Le système mis en place dans l’entreprise est que chaque agent de gardiennage doit s’identifier via un système IVR en composant un code personnel via le téléphone mis à disposition du client sur le lieu du travail. Ce système permet à l’agent de s’identifier lors de chaque arrivée et de chaque départ.
Lui est également reproché d’avoir démenti la fraude à ce système. Pour l’employeur, il y a utilisation frauduleuse du système d’annonce du début et de la fin de service. Il est en effet constaté que l’intéressé avait donné son code personnel (« pin code ») à un collègue. Ce comportement est spécifiquement visé dans le règlement de travail, étant qu’il est interdit de transmettre le code personnel IVR à d’autres ou de laisser annoncer le début et/ou la fin de la prestation de travail par d’autres, ou encore de faire cette annonce pour un collègue.
Comme circonstances aggravantes, l’employeur cite de nombreux retards comptabilisés depuis l’engagement et quatre lettres recommandées envoyées entre les années 2008 et 2014, de même que des convocations pour retards multiples.
Par jugement rendu le 10 mars 2017, le tribunal du travail a considéré le licenciement irrégulier, et ce eu égard au premier délai de 3 jours visé à l’article 35, alinéa 3, L.C.T. Une réouverture des débats a été ordonnée aux fins de statuer sur les montants exacts à allouer au travailleur.
La société interjette appel.
La décision de la cour
La cour s’attache à un rappel des principes, celui-ci portant notamment sur le délai de 3 jours. Elle renvoie à divers arrêts de la Cour de cassation qui ont précisé les contours de ce délai. Celui-ci ne commence à courir qu’à partir du moment où la personne qui a le pouvoir de licencier a, pour prendre une décision en connaissance de cause quant à l’existence du fait et aux circonstances de nature à lui attribuer le caractère de motif grave, une certitude suffisant à sa propre conviction de même qu’à l’égard de l’autre partie et de la justice. C’est un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2001 (Cass., 14 mai 2001, n° S.99.0174.Fv), la cour du travail renvoyant à des arrêts antérieurs également. Cet arrêt du 14 mai 2001 a précisé qu’un congé n’est pas irrégulier par le simple fait que celui qui notifie le congé aurait déjà pu prendre connaissance des faits plus tôt. Dans une autre décision (Cass., 17 janvier 2005, n° S.04.0101.F), elle a précisé qu’il ne résulte d’aucune disposition de l’article 35 que l’enquête que l’employeur effectue pour acquérir la certitude suffisante au sens ci-dessus, doive être entamée sans délai et menée avec célérité. En outre, elle avait précisé dans un arrêt du 14 octobre 1996 (Cass., 14 octobre 1996, n° S.95.0116.F) que, quel que soit le résultat de l’audition, celle-ci peut constituer une mesure permettant à l’employeur d’acquérir cette certitude. De la circonstance que le licenciement a été décidé après un entretien sur la base de faits qui étaient connus avant celui-ci, il ne peut être déduit que l’employeur disposait déjà à ce moment de tous les éléments d’appréciation nécessaires pour prendre sa décision en connaissance de cause.
En l’occurrence, reprenant la chronologie des faits, la cour constate que la société avait été informée de l’heure d’arrivée de l’intéressé par un collègue. Elle a mené une enquête quant au système en cause et dépose des relevés. L’intéressé a été rapidement entendu en présence de son secrétaire permanent. Cette audition avait pour but de demander des explications quant à la discordance des heures. Un procès-verbal a été rédigé et il a été transmis à l’intéressé le lendemain.
L’employeur signale également avoir interrogé les institutions européennes aux fins de visionner les images d’une caméra de surveillance (le même jour que l’audition) et avoir reçu une réponse 3 jours plus tard, où des détails ont été donnés quant aux heures d’arrivée. Le client demande en conséquence le remplacement de l’intéressé ainsi que de tout tiers impliqué dans l’incident en cause.
Sur la base d’autres éléments confirmatifs, la cour a conclu sur cette question que le délai de 3 jours a été respecté, même s’il est éloigné (une quinzaine de jours) de la date à laquelle l’arrivée tardive a été portée à la connaissance de la société par le collègue.
Vu les dénégations de l’intéressé, la société a poursuivi son enquête. Pour la cour, il ne peut lui être reproché, alors que le travailleur dispose d’une longue ancienneté (et d’une protection contre le licenciement en sa qualité de délégué syndical), de ne pas se contenter d’une simple déclaration vague d’un collège de travail, vu la contestation du travailleur en cause, avant de le licencier pour fraude. Il est dès lors logique qu’elle ait poursuivi son enquête pour procéder aux vérifications voulues.
Le congé n’est dès lors pas tardif. La cour fixe le point de départ du délai à la date à laquelle le client a confirmé par mail les manquements, via le visionnage des images de vidéo-surveillance.
Quant au fond du motif grave, dans la mesure où il ne peut être contesté que l’arrivée a été tardive mais que le pointage est intervenu à l’heure, un tiers a nécessairement dû intervenir. Les dénégations de l’intéressé et ses explications ne convainquent pas la cour, qui conclut à l’existence de la fraude, le travailleur ayant donné son code à un collègue pour qu’il pointe à sa place en vue de cacher son arrivée tardive dans un contexte où il s’était déjà vu reprocher de nombreux retards. Il y a, pour la cour, motif grave et l’intéressé est débouté de sa demande. Il est en outre condamné aux dépens, étant 2.400 euros par instance.
Intérêt de la décision
La cour du travail n’a pas partagé la conclusion du tribunal concernant le respect du délai de 3 jours.
Le débat tourne autour de la notion de connaissance suffisant à la conviction de l’employeur, mais également de l’autre partie et du juge.
Diverses décisions de la Cour de cassation sont citées. L’on aurait pu y ajouter encore l’arrêt rendu le 15 juin 2015 (Cass., 15 juin 2015, n° S.13.0095.N), où la Cour a jugé que le délai de trois jours fixé à l’article 35, 3e alinéa, de la loi du 3 juillet 1978 commence à courir lorsque le fait est connu de la partie qui se prévaut du motif grave et non lorsqu’il aurait pu ou aurait dû l’être. N’est dès lors pas tardif le licenciement notifié plus de 3 jours après l’audition du travailleur (un mardi) mais dans le respect du délai après l’audition d’un autre membre du personnel sur les circonstances des faits invoqués (le vendredi). Il ne peut être décidé que la connaissance certaine des faits devait être acquise le lendemain de l’audition du travailleur licencié au motif que l’employeur aurait dû auditionner les témoins immédiatement.
C’est dès lors l’employeur qui a la responsabilité de décider à quel moment il a une connaissance suffisante quant à l’existence du fait et des circonstances de nature à lui attribuer le caractère de gravité requis.
L’on peut à cet égard également renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 23 décembre 2015 (C. trav. Bruxelles, 23 décembre 2015, R.G. 2015/AB/889), où la cour a rappelé que l’enquête sur les faits n’a pour effet de postposer la prise de cours du délai dont dispose l’employeur pour entamer la procédure que pour autant qu’elle soit nécessaire pour lui permettre d’acquérir une certitude suffisante au sujet des faits. Le délai pour entamer la procédure ne peut être différé par des vérifications superflues. Il prend cours dès que la connaissance suffisante est acquise.
La cour a également précisé, dans l’hypothèse d’un fait répétitif ou d’un fait dont la gravité résulte de faits survenus antérieurement, que le dernier fait fautif doit s’être produit au cours des 3 jours ouvrables précédant l’intentement de la procédure de licenciement (s’agissant en l’espèce d’un travailleur protégé au sens de la loi du 19 mars 1991).