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Modification des sanctions chômage en cours de période infractionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 septembre 2020, R.G. 2020/AL/46

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 septembre 2020, R.G. 2020/AL/46

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 septembre 2020, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en cas de modification de la réglementation en cours de période infractionnelle, c’est la loi nouvelle qui doit être appliquée (même si elle est plus sévère) dans la mesure où les comportements délictueux se sont poursuivis au-delà de son entrée en vigueur.

Les faits

Lors de la constitution de son dossier chômage, un travailleur déclare vivre avec un conjoint sans revenus ainsi que ses enfants (quatre). Sa situation lui permet de bénéficier des allocations de chômage au taux chef de ménage. Il confirme ceci à plusieurs reprises entre 2004 et 2006. L’examen de l’avertissement-extrait de rôle du ménage révélera que l’épouse perçoit des revenus professionnels à partir de l’année 2008. Ceux-ci sont minimes à ce moment. L’intéressé confirme ultérieurement la même situation familiale. Les revenus de l’épouse sont cependant de l’ordre de 3.000 euros en 2010 et resteront du même montant jusqu’en 2016.

Dans l’intervalle, l’époux informe l’ONEm de divers changements dans la composition de la famille, mais, sur le plan des revenus, confirme que ceux-ci, dans le chef de son épouse, sont inexistants. Il s’avère qu’en réalité, celle-ci travaille dans le cadre d’intérims depuis 2006. Lors de son audition, intervenue en avril 2017, l’intéressé s’explique en renvoyant à une information donnée par son organisation syndicale, selon laquelle, tant que son épouse gagnait moins de 15.000 euros par an, il pouvait conserver le statut de chef de ménage.

L’ONEm prend aussitôt une décision d’exclusion de ce taux pour toute la période concernée avec maintien des allocations au taux cohabitant et récupération pour la partie non prescrite. Sur la sanction prise sur pied de l’article 153 de l’arrêté royal organique, l’exclusion est de treize semaines. Le dossier est également transmis à l’auditorat du travail. L’ONEm retient en effet une intention frauduleuse, vu la répétition des déclarations inexactes.

L’assuré social introduit un recours, dans lequel il fait essentiellement valoir son ignorance et le peu d’importance de l’activité de son épouse.

Par jugement rendu le 13 janvier 2020, le tribunal du travail accueille le recours sur l’intention frauduleuse, qu’il ne retient pas. Il limite la récupération à la période à partir du 1er avril 2014 et assortit la sanction d’exclusion de treize semaines d’un sursis pour la totalité. Une réouverture des débats est ordonnée sur d’autres points.

L’ONEm interjette appel.

L’appel

La contestation de l’ONEm porte uniquement sur le sursis pour la sanction d’exclusion. Ne font pas l’objet de celui-ci l’intention frauduleuse et la récupération. L’objet de la demande en appel est de rétablir la sanction administrative à treize semaines et d’ordonner le remboursement d’un indu (non encore décidé par le tribunal). Celui-ci est de l’ordre de 22.000 euros.

L’intimé demande pour sa part confirmation du jugement et, à titre subsidiaire, la limitation de la sanction administrative à un avertissement.

La décision de la cour

L’arrêt de la cour du travail est bref. Après avoir constaté que le débat porte sur la sanction de l’article 153 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, il circonscrit la question à résoudre comme étant de savoir si cette sanction peut toujours faire l’objet d’un sursis vu la mouture actuelle du texte. En effet, une modification législative est intervenue par l’arrêté royal du 30 décembre 2014 (arrêté royal modifiant divers articles de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et abrogeant certains autres), mesures entrées en vigueur le 1er janvier 2015 (et non 2014, comme repris à plusieurs reprises dans l’arrêt). Cet arrêté royal a modifié l’article 157bis, § 2, en supprimant la possibilité d’assortir les sanctions administratives d’un sursis, partiel ou total.

L’article 153 a un caractère pénal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, vu la nature de l’infraction, la gravité de la sanction et son objectif dissuasif et répressif. Il y a dès lors lieu d’appliquer les principes en matière pénale, dont l’application de la loi dans le temps. La cour renvoie ainsi à l’article 2 du Code pénal : en cas de modification législative entre le moment où l’infraction est commise et celui où elle est jugée, il faut faire application de la loi plus douce. Cependant, si les comportements délictueux se sont poursuivis après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, c’est cette dernière qui est applicable, et ce même si elle est plus sévère.

Tel est le cas en l’espèce, puisque la même infraction a existé avant la date d’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 30 décembre 2014 et après celle-ci. Pour la première période, il y avait possibilité d’un sursis partiel ou total et, pour la seconde, cette possibilité n’existe plus. Il y a dès lors lieu d’appliquer la loi nouvelle. La cour réforme en conséquence le jugement en ce qu’il a accordé le sursis.

En outre, il rejette la demande de limitation de la sanction à un simple avertissement, ce qui « banaliserait » les faits. La sanction de treize semaines est cependant jugée trop élevée, vu l’absence d’antécédents et l’intention non frauduleuse. Elle est ramenée à dix semaines.

Le jugement est confirmé pour le surplus.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde un point particulier de la matière des sanctions en matière de chômage, s’agissant du caractère pénal des sanctions administratives, qui a une incidence sur la possibilité de cumul des sanctions applicables.

Les sanctions prévues par les articles 153 et 154 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ont une nature pénale au sens de l’article 6, 1°, de la Convention européenne des droits de l’homme parce qu’il s’agit de sanctions qui peuvent être financièrement fort lourdes pour le chômeur et qui poursuivent un but de répression et de prévention (voir notamment à cet égard C. trav. Liège, section Namur, 22 janvier 2008, R.G. 7.968/2005 – précédemment commenté).

En conséquence de la nature pénale de ces sanctions, les juridictions du travail disposent d’un pouvoir de pleine juridiction.

En découle également l’application de l’adage « non bis in idem », c’est-à-dire l’interdiction de prononcer deux sanctions pour le même fait fautif.

En l’espèce, ce n’est pas cet important pan de la matière qui est en cause, mais la succession de deux textes dans le temps, les infractions étant ainsi soumises à deux régimes différents.

La cour a rappelé qu’en vertu de l’article 2 du Code pénal, en cas de modification législative entre le moment où l’infraction est commise et le moment où elle est jugée, il faut faire application du principe de « la loi plus douce ». Cependant, la solution est différente si les comportements délictueux se sont poursuivis au-delà de l’entrée en vigueur de la législation : dans cette hypothèse, c’est la loi nouvelle qui est applicable, et ce même si elle est plus sévère.


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