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Responsabilité solidaire en matière de cotisations sociales : nature des travaux effectués

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 octobre 2020, R.G. 2018/AB/370

Mis en ligne le vendredi 14 mai 2021


Cour du travail de Bruxelles, 28 octobre 2020, R.G. 2018/AB/370

Terra Laboris

Par arrêt du 28 octobre 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les articles 30bis, §§ 4 et 5, de la loi du 17 juin 1969, qui ont trait à la responsabilité solidaire du commettant pour les dettes sociales de son co-contractant, valent pour tous travaux immobiliers, et notamment pour les travaux de nettoyage de tout ou partie d’un immeuble.

Les faits

Une A.I.S.B.L. a fait appel à une société pour l’entretien et la maintenance de ses installations. Une convention a été conclue. Des travaux ont été effectués pendant un an (31 mars 2014 – 31 mars 2015), pour un montant global de l’ordre de 40.000 euros.

En 2016, ce sous-traitant a été déclaré en faillite, faillite à laquelle l’O.N.S.S. a produit une créance de près de 90.000 euros en cotisations, majorations et intérêts de retard.

Vu l’existence des factures entre la société faillie et l’A.I.S.B.L., l’O.N.S.S. s’est adressé à cette dernière en vue de l’application éventuelle de l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969. Il a ensuite fait application de cette disposition, demandant à l’A.I.S.B.L. de lui payer un montant de l’ordre de 28.000 euros. Il s’agit de l’équivalent de 35% des factures au titre de retenues dues en application de l’article 30bis, § 4, de la loi et d’un montant identique au titre de majoration, telle que fixée à l’article 30bis, § 5.

Le paiement a été effectué « sous toutes réserves », une procédure étant cependant introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles en remboursement de cette somme et des intérêts au taux légal.

Un jugement a été prononcé par défaut le 8 mars 2018, faisant droit à l’ensemble des demandes et autorisant l’exécution provisoire.

Appel a été interjeté par l’O.N.S.S.

La décision de la cour

La cour rappelle que les dispositions litigieuses (article 30bis, §§ 4 et 5) de la loi du 27 juin 1969 imposent au commettant qui paie le prix de certains travaux à un entrepreneur qui a des dettes sociales au moment du paiement de retenir 35% du montant dont il est redevable (hors TVA) et de les verser à l’O.N.S.S. S’il ne procède pas à cette retenue, il doit également payer une majoration équivalente à la retenue à laquelle il n’a pas procédé.

La position de l’appelante est de considérer que l’article 30bis de la loi ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce, les travaux exécutés n’étant pas des travaux immobiliers. Elle considère que l’article 30bis vise des activités d’entretien et de nettoyage du bâtiment et non de l’intérieur de celui-ci, s’agissant de simples prestations d’entretien, de nettoyage et de manutention.

La cour constate que les autres points ne sont pas contestés, ni l’existence de dettes sociales ni l’absence de retenues. Quant aux montants, ils sont admis par les parties.

Seule est en litige la définition des travaux.

Pour la cour, à l’époque considérée, la disposition prévoyait qu’il faut entendre par « travaux » les activités visées à l’article 20, § 2, de l’arrêté royal n° 1 du 29 décembre 1992 relatif aux mesures tendant à assurer le paiement de la TVA. Cette disposition vise tout travail immobilier au sens de l’article 19, § 2, du Code, ainsi que divers autres travaux, « dans la mesure où ils ne sont pas des travaux immobiliers ».

La cour reprend ce qu’il faut entendre par « tout travail immobilier au sens de l’article 19, § 2, du Code TVA », étant qu’il s’agit notamment de tout travail de construction, de transformation, d’achèvement, d’aménagement, de réparation, d’entretien, de nettoyage et de démolition de tout ou partie d’un immeuble par nature, ainsi que toute opération comportant à la fois la fourniture d’un bien meuble et son placement dans un immeuble, en manière telle qu’il devient immeuble par nature.

Les travaux de nettoyage sont dès lors des travaux immobiliers au sens de l’article 30bis et la cour renvoie à la mouture antérieure du texte et aux dispositions réglementaires qui ont été prises en application de celui-ci pour confirmer qu’il s’applique aux activités de nettoyage de tout ou partie d’un immeuble.

Elle renvoie également à l’arrêt du 9 octobre 2006 de la Cour de cassation (Cass., 9 octobre 2006, n° S.05.0099.F), qui le précise, à propos d’une cafétéria : cette disposition vise tout travail de nettoyage, sans distinction suivant la nature ou l’importance de ce travail. Seul est exclu du champ d’application de cette disposition le nettoyage d’une habitation individuelle existante. Les retenues doivent dès lors être faites en cas de dettes d’une entreprise de nettoyage qui assure l’entretien habituel des locaux d’une entreprise.

La partie appelante considérant qu’il y a une faute dans le chef de l’O.N.S.S., qui n’aurait pas eu un comportement diligent, la cour rappelle que la réglementation est, dans ses moutures successives, applicable aux activités de nettoyage de tout ou partie d’un immeuble. Si des difficultés ont existé (et la cour renvoie à un arrêt de sa juridiction, étant C. trav. Bruxelles, 14 mai 2014, R.G. 2012/AB/1.072), ces difficultés étaient dissipées à l’époque litigieuse. Tout commettant est tenu, à l’aide de la banque de données de l’O.N.S.S., de constater qu’il y a obligation de retenues. La banque de données a force probante pour l’application des dispositions en cause. Ceci implique, dans le chef du commettant, l’obligation d’effectuer les retenues et, également, avant le paiement de la facture, de vérifier l’existence de dettes sociales ou non par le biais de la consultation de la banque de données. Or, à l’époque, l’existence de la dette sociale figurait sur celle-ci pour un montant de l’ordre de 43.000 euros.

La cour rejette dès lors qu’une faute puisse être reprochée à l’O.N.S.S. et accueille l’appel qu’il a formé contre le jugement rendu par défaut.

Intérêt de la décision

La question de la responsabilité solidaire du commettant pour les dettes sociales du co-contractant a alimenté la jurisprudence. La Cour constitutionnelle a été amenée à diverses reprises à intervenir sur la question. Dans un dernier arrêt du 9 juillet 2020 (C. const., 9 juillet 2020, n° 104/2020), elle a jugé qu’en ce qu’il s’applique indistinctement à des personnes de bonne foi et à des personnes auxquelles il n’y a pas lieu de reconnaître cette qualité, l’article 30bis, § 5, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. En ce qu’elle ne permet pas à l’O.N.S.S. ou au tribunal du travail de tenir compte de tous les éléments pertinents de la cause, notamment la bonne foi du « commettant », pour réduire le montant de la « majoration » qu’elle prévoit, la même disposition viole l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 6 de cette Convention.

De même, la Cour de cassation est intervenue régulièrement, tant sur l’obligation de retenues que sur la majoration elle-même. Epinglons parmi ces décisions l’arrêt du 11 décembre 2017 (Cass., 11 décembre 2017, n° S.16.0030.F – précédemment commenté), qui s’est prononcé sur la nature de la majoration de l’article 30bis, § 5. La Cour a considéré que celle-ci ne constitue pas une peine mais une indemnité forfaitaire de réparation, prévue dans l’intérêt général, de l’atteinte portée au financement de la sécurité sociale ; elle a un caractère civil. La cour du travail ne pouvait dès lors accorder le sursis.


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