Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mars 2021, R.G. 2019/AB/681
Mis en ligne le lundi 15 novembre 2021
Cour du travail de Bruxelles, 18 mars 2021, R.G. 2019/AB/681
Terra Laboris
Par arrêt du 18 mars 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend la jurisprudence récente en matière de colocation, cohabitation, etc., rappelant que la charge de la preuve de la catégorie de bénéficiaire appartient au chômeur. A défaut de satisfaire aux conditions fixées dans la jurisprudence de la Cour de cassation quant au règlement en commun des questions ménagères, le taux cohabitant sera retenu. La cour indique également les motifs pour lesquels une sanction peut être réduite, en l’espèce, à un avertissement.
Les faits
Un bénéficiaire d’allocations de chômage emménage dans un appartement déjà occupé par un tiers. Il introduit un formulaire C1, déclarant habiter seul, déclaration qu’il nuance dans une déclaration ultérieure (C1-Annexe Regis). Une enquête est décidée au niveau du bureau de chômage, qui fait procéder à une visite domiciliaire. L’inspecteur de l’ONEm se présente au domicile sans avis de passage, avec un collègue. L’intéressé autorise la visite de son domicile. L’inspecteur constate que l’appartement consiste en un duplex, composé de plusieurs pièces mais d’une seule chambre à coucher. L’intéressé estime qu’il ne forme pas un ménage avec la tierce personne et fait valoir qu’il a des espaces privatifs. Il est conclu cependant à la qualité de cohabitant et ce depuis 2012.
Lors de son audition, des explications complémentaires sont données.
L’ONEm prend ensuite la décision administrative litigieuse. L’intéressé doit rembourser un montant de l’ordre de 18.000 euros.
Il se tourne vers le C.P.A.S., qui va rejeter sa demande d’intervention, au motif de doute quant à la cohabitation.
Le recours introduit devant le tribunal du travail contre la décision de l’ONEm n’aboutit pas et il est débouté par jugement du 7 août 2019.
La décision de la cour
Un long rappel est fait par la cour du cadre légal, eu égard particulièrement à l’habitat partagé/colocation. Diverses décisions récentes sont reprises en extraits, avec leur motivation spécifique eu égard aux données particulières des espèces tranchées. La cour reprend également la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 22 janvier 2018, n° S.17.0024.F et Cass., 9 octobre 2017, n° S.16.0084.N).
La règle est actuellement qu’il ne suffit pas que les personnes partagent les principales pièces de vie et les frais d’un même logement, règlent en commun les seules questions relatives au loyer et frais de ce logement et tirent de ces circonstances un avantage économique et financier. Il faut qu’elles règlent ensemble, en mettant éventuellement en commun des ressources financières, les tâches, activités et autres questions ménagères telles que l’entretien et, le cas échéant, l’aménagement du logement, l’entretien du linge, les courses, la préparation et la consommation des repas.
La preuve doit être apportée par le chômeur qui revendique la qualité d’isolé (et de même évidemment s’il s’agissait de la qualité de travailleur avec charge de famille).
La cour rappelle que le formulaire C1 ne constitue qu’une déclaration unilatérale du chômeur et qu’elle peut suffire à établir sa qualité sur la base de l’article 110, § 4, tant qu’elle n’est pas mise en doute par l’ONEm. Celui-ci peut s’appuyer sur des données qui traduiraient une tout autre situation familiale. Dans cette hypothèse, l’intéressé doit apporter la preuve que sa déclaration est conforme à la réalité. La cour ajoute, en rappelant la jurisprudence (dont C. trav. Bruxelles, 28 mars 2019, R.G. 2018/AB/52), que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, celle-ci ne doit pas être apportée avec la même rigueur que celle d’un fait positif.
La cour examine longuement les éléments de fait, constatant que l’intéressé reste en défaut d’établir qu’il n’y aurait pas eu un règlement en commun, ses affirmations et les éléments qu’il produit étant non probants à cet égard. La cour confirme la conclusion du premier juge, étant que l’intéressé ne peut se voir reconnaître la qualité d’isolé.
En ce qui concerne la répétition de l’indu, l’appelant demande l’application de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal organique, qui prévoit qu’il peut être dérogé au principe contenu en son alinéa 1er, selon lequel toute somme perçue indûment doit être remboursée. Pour bénéficier de la limitation de la récupération, le chômeur doit faire valoir sa bonne foi. Cette notion, dont la cour reprend les contours via diverses décisions de jurisprudence, est spécifique à la matière du chômage et elle en retient qu’il s’agit en fin de compte d’un élément subjectif devant cependant être prouvé à la lumière d’éléments objectifs. La bonne n’est foi n’est en l’espèce pas établie et la limitation ne peut être accordée.
Enfin, quant à la sanction administrative, celle-ci a été fixée à treize semaines, en application des articles 153, alinéa 1er, et 157bis de l’arrêté royal organique.
La cour rappelle que, depuis l’arrêté royal du 30 décembre 2014, l’article 157bis prévoit la possibilité pour le directeur du bureau de chômage de se limiter à un avertissement, sauf si, dans les deux ans qui précèdent l’événement, il y a eu lieu d’appliquer les articles 153, 154 et 155, § 3. L’intéressé demande que cette disposition lui soit appliquée, étant que la sanction soit ramenée à un avertissement ou, à tout le moins, comme le fit le premier juge, à une exclusion de quatre semaines.
La cour fait droit à cette demande, jugeant que cette sanction est plus appropriée et mieux proportionnée, nonobstant la durée de la période infractionnelle.
La cour retient pour ce trois éléments. Le premier est qu’il s’agit d’une première infraction à la réglementation sur le chômage (ce qui rencontre la condition de l’article 157bis) et est en soi suffisant. Le deuxième est que, si l’intéressé n’établit pas sa bonne foi, il n’est pas non plus avéré avec certitude qu’il était de mauvaise foi, ce qui joue en sa faveur quant au degré de la sanction à retenir. Le troisième est qu’il a rempli le formulaire C1-Annexe Regis, sa déclaration ayant déclenché l’enquête de l’ONEm.
Surabondamment, la cour trouve également une justification dans la considération que la gravité du comportement infractionnel du chômeur ne peut être appréhendée dans l’absolu, comme si ses obligations de déclaration n’avaient pas pour pendant les propres obligations de l’ONEm en matière de récolte de données découlant de la conjugaison des dispositions de l’arrêté royal organique et de la loi du 15 janvier 1990 relative à l’institution et à l’organisation d’une Banque-carrefour de la sécurité sociale.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est dans le droit fil de la jurisprudence récente de la Cour de cassation en matière de taux d’allocations de chômage à appliquer en cas de cohabitation / co-housing / partage de lieu de vie. La conclusion de la cour a été que la preuve exigée de l’absence de cohabitation n’est pas apportée en fait, ce qui entraîne la confirmation de la décision administrative, tant sur le plan de la catégorie de bénéficiaire que sur la récupération.
Une attention particulière peut être accordée à la sanction. La cour a réduit celle-ci à un avertissement. Les motifs l’ayant amenée à décider de cette réduction sont certes classiques (première infraction à la réglementation, absence de mauvaise foi et précisions données sur le formulaire C1-Annexe Regis). Il faut cependant noter que la cour retient également la circonstance que, dans l’appréciation de la gravité du comportement infractionnel du chômeur, il y a lieu de tenir compte des obligations de l’ONEm en matière de récolte de données. Renvoi est fait également aux données figurant dans la Banque-carrefour de la sécurité sociale, dont il est rappelé que la ratio legis est de réduire au strict minimum les formalités administratives imposées aux assurés sociaux, de renverser le rapport de force tout à fait déséquilibré entre ceux-ci et les institutions et de les libérer des conséquences de leurs carences éventuelles vis-à-vis d’une législation complexe qui les dépasse largement.