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Suspension de la prescription en matière de chômage

Commentaire de Cass., 14 février 2022, n° S.21.0004.F

Mis en ligne le mardi 16 août 2022


Cour de cassation, 14 février 2022, n° S.21.0004.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 février 2022, la Cour de cassation apporte des précisions sur l’application dans le temps d’une loi qui introduit une nouvelle cause de suspension de l’action en recouvrement des allocations de chômage indues.

Faits et antécédents de la cause

Ainsi que le rappellent les conclusions de Madame l’Avocat général Bénédicte INGHELS, Mme A.D. a bénéficié d’allocations de chômage temporaire pour la période du 21 septembre 2004 au 20 décembre 2004. Le 27 janvier 2005, l’ONEm a pris la décision de récupérer les allocations perçues indûment. Le 7 février 2005, Mme A.D. a formé un recours contre cette décision. Le Tribunal du travail de Neufchâteau a fait droit à cette demande le 10 octobre 2005. Le 8 novembre 2005, l’ONEm a formé appel et la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) a rendu un arrêt le 13 juin 2018, par lequel elle constate que Mme A.D. n’avait pas droit aux allocations pour la période concernée et confirme la décision de l’ONEm du 27 janvier 2005. Par un courrier du 26 septembre 2018, l’ONEm invite Mme A.D. à procéder au remboursement. Le 12 octobre 2018, Mme A.D. forme un nouveau recours contre cette décision et, par conclusions déposées le 16 janvier 2019, l’ONEm forme une demande reconventionnelle, demandant la condamnation de Mme A.D. au remboursement de la somme litigieuse.

Par un arrêt du 14 octobre 2020, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) a dit pour droit que l’action en récupération était prescrite, retenant que :

« Dans un arrêt du 12 avril 2002 [...], la Cour de cassation a jugé, à propos d’une nouvelle cause d’interruption de la prescription, qu’une loi qui crée une nouvelle cause d’interruption de la prescription ne saurait conférer à un acte accompli sous l’empire de la loi ancienne l’effet, que cette loi ne lui attribuait pas, d’interrompre une prescription en cours. La cour [du travail] estime qu’il y a lieu de raisonner de la même manière au sujet de la nouvelle cause de suspension de la prescription introduite par la loi-programme du 27 décembre 2012. Selon les dispositions en vigueur lorsque [la défenderesse] a introduit son recours, une action en justice n’avait d’effet interruptif que si elle était dirigée contre ‘celui que l’on veut empêcher de prescrire’ (article 2244 du Code civil). Le recours de l’assuré social n’avait donc pas pour effet d’interrompre la prescription de l’action en recouvrement de l’organisme de sécurité sociale.
Par conséquent, le recours introduit le 7 février 2005 par [la défenderesse] contre la décision de l’Office national de l’emploi du 27 janvier 2005 n’a pas suspendu le délai de la prescription de l’action de cet office. Il s’ensuit que l’action de celui-ci est prescrite pour avoir été introduite au-delà du délai de dix ans prévu à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil. »

La requête en cassation

L’ONEm invoque notamment la violation des articles 2 et 2262bis de l’ancien Code civil et de l’article 30, alinéa 1er, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés inséré dans cette loi par l’article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012 et entré en vigueur le 1er janvier 2013 conformément à l’article 41 de cette loi-programme.

L’article 30 dispose : « Toute instance en justice relative au recouvrement d’allocations indûment perçues qui est introduite par l’organisme intéressé, par le redevable tenu au remboursement de ces allocations ou par toute autre personne tenue au remboursement en vertu de dispositions légales ou réglementaires suspend la prescription.

La suspension débute avec l’acte introductif d’instance et se termine lorsque la décision judiciaire est coulée en force de chose jugée ».

Le demandeur rappelle qu’aux « termes de l’article 2, devenu 1er, de l’ancien Code civil, la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif. En vertu du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois consacré par cet article, une loi nouvelle est, en règle, applicable à des situations nées postérieurement à son entrée en vigueur et aux effets futurs de situations nées sous l’empire de l’ancienne loi qui se produisent ou se poursuivent sous l’empire de la nouvelle loi, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés. »

Les conclusions du parquet

Elles rappellent que : « Pour ce qui concerne le délai de prescription, il y a lieu de distinguer l’action en répétition de l’indu et l’action en récupération de l’indu ».

La première se prescrit par trois ou cinq ans, en vertu de l’article 7, § 13, alinéa 2, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Cet article 7 « ne soumet en revanche pas l’action de l’Office en récupération de l’indu à un délai spécifique de prescription. »

L’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, inséré par la loi du 10 juin 1998 et entré en vigueur le 27 juillet 1998, a réduit de trente à dix ans le délai de prescription de toutes les actions personnelles qui ne sont pas soumises à des prescriptions particulières, ce qui est le cas en l’espèce.

L’article 30 de la loi du 29 juin 1981 introduit une nouvelle cause de suspension de la prescription, qui ne résulte pas d’un fait instantané mais d’un état successif : en ce cas, chacune des lois en présence s’appliquera au temps passé sous son empire.

La Cour de cassation (Cass., 4 décembre 2009, Pas., 2009, n° 719) considère qu’en vertu du principe général du droit de la non-rétroactivité, une loi prévoyant une cause de suspension de la prescription inconnue de la loi applicable au moment où l’action est née s’applique à cette prescription dès son entrée en vigueur.

Le ministère public conclut donc à la cassation de l’arrêt attaqué.

L’arrêt commenté

La Cour casse l’arrêt attaqué et renvoie la cause devant la Cour du travail de Mons.

Elle précise que :

« En vertu du principe général du droit de l’application immédiate de la loi nouvelle, consacré par l’article 2, devenu l’article 1er, de l’ancien Code civil, une loi nouvelle s’applique, en règle, non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés.

En conformité de ce principe, une loi prévoyant une cause de suspension de la prescription inconnue de la loi applicable au moment où l’action est née s’applique à cette prescription dès son entrée en vigueur. »

Aucune disposition légale ne déroge, s’agissant de la nouvelle cause de suspension de l’article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 introduit par l’article 40 de la loi-programme du 27 décembre 2012, entré en vigueur, comme le prévoit l’article 41 de cette loi, le 1er janvier 2013, au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle.

Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué que l’ONEm a pris, le 27 janvier 2005, une décision d’exclusion des allocations de chômage du 21 septembre 2004 au 20 décembre 2004 et a réclamé le remboursement des allocations versées pendant cette période ; qu’un recours a été déclaré non fondé par la cour du travail qui a constaté qu’elle n’était pas saisie d’une action en répétition de l’indu ; que, le 26 septembre 2018, l’ONEm a réclamé à Mme A.D. le remboursement de l’indu ; que celle-ci a formé un nouveau recours et que l’Office a formé le 16 janvier 2019 une demande reconventionnelle en répétition de l’indu. En considérant, pour dire cette demande introduite « plus de dix ans après le paiement des allocations litigieuses et la décision de récupération du 27 janvier 2005 » prescrite par application de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, de l’ancien Code civil, que l’Office ne peut se prévaloir de la cause de suspension de la prescription prévue à l’article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 dès lors que cette disposition n’existait pas au moment où la défenderesse a introduit son premier recours, l’arrêt attaqué viole les dispositions légales et méconnaît le principe général du droit précités.

Intérêt de l’arrêt commenté

La jurisprudence et la doctrine ont eu l’occasion de souligner à plusieurs reprises la différence entre le délai de prescription du droit de l’ONEm d’ordonner la répétition de l’indu prévu par l’article 7, § 13, alinéa 2, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 et le délai de prescription de l’action de l’ONEm en récupération de l’indu (voir par exemple H. MORMONT, « La révision des décisions et la récupération des allocations », in Chômage, Vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011/5, p. 706, n° 92, citant notamment Cass., 27 mars 2006, Pas., 2006, p. 690, ainsi que les décisions et commentaires sur www.terralaboris.be, verbo Chômage, Récupération, Délai).

Les organismes de paiement doivent s’adresser au juge dans le délai de l’article 7, § 13, alinéa 2, mais leur délai pour l’action en récupération est le même que celui dont dispose l’ONEm.

L’arrêt de la cour du travail ne tombe pas dans le travers de confondre ces deux délais mais applique illégalement la règle de l’application des lois dans le temps consacrée par l’article 2 du Code civil dans l’hypothèse d’une loi introduisant une nouvelle cause de suspension de la prescription, étant que l’effet suspensif de l’instance ne profite plus seulement à l’auteur de l’action en justice mais à toutes les parties à celle-ci.

La prescription de l’action de l’ONEm en récupération de l’indu n’étant pas acquise lors de l’entrée en vigueur de l’article 30/1, alinéa 1er, de la loi du 29 juin 1981, il s’imposait donc d’appliquer cet effet suspensif.


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