Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 avril 2022, R.G. 2021/AB/21
Mis en ligne le mardi 7 février 2023
Cour du travail de Bruxelles, 19 avril 2022, R.G. 2021/AB/21
Terra Laboris
Dans un arrêt du 19 avril 2022, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions distinctes figurant aux chapitres II et III de la C.C.T. n° 32bis, réglant respectivement le transfert conventionnel d’entreprise et la reprise d’actifs après faillite.
Les faits
Une société A. tombe en faillite le 14 avril 2018, faillite qui entraîne le licenciement d’une employée, gérant, en qualité d’employée polyvalente, une station d’essence (caisse et exploitation d’une sandwicherie). Cette station est la propriété d’une importante société pétrolière belge, qui conclut, en vue de l’exploitation des stations, des conventions avec des exploitants indépendants. La faillite étant déclarée en date du 17 janvier par le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles, un curateur est désigné et il met un terme immédiatement, soit le même jour, au contrat de travail de l’employée. Une convention est par ailleurs conclue avec une société B. pour la poursuite de l’exploitation de la station d’essence et, dès le 19 janvier, l’employée entre au service de cette société, pour une durée déterminée. Elle y exerce les mêmes fonctions et conserve son ancienneté. Elle introduit une déclaration de créance au passif de la faillite de la société A. et, ensuite, une demande d’intervention auprès du Fonds de Fermeture des Entreprises. Celui-ci refuse, par courrier du 28 septembre 2008, d’intervenir, au motif qu’il y a eu un transfert conventionnel d’entreprise et que l’intéressée devait donc s’adresser au cessionnaire. L’organisation syndicale dont l’employée est membre intervient, ainsi que le conseil de la société.
Aucun accord n’ayant été trouvé, la travailleuse introduit une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, afin d’entendre condamner la société cessionnaire au paiement de sommes (rémunération, prime de fin d’année, prime sectorielle, éco-chèques, pécules de vacances et indemnité compensatoire de préavis). A titre subsidiaire, elle demande qu’il soit dit pour droit que le jugement à intervenir est opposable au Fonds de Fermeture et que celui-ci est tenu d’effectuer le paiement des sommes lui revenant.
Un jugement intervient le 15 décembre 2020. Il conclut à la recevabilité mais au non-fondement de l’action introduite par l’intéressée contre la société cessionnaire et il fait droit à la demande formée contre le Fonds de Fermeture, qui est condamné à payer les montants réclamés.
Le Fonds de Fermeture interjette appel de ce jugement, demandant sa réformation, au motif, à titre principal, que l’action contre lui n’était, sinon pas recevable, en tout cas pas fondée. Subsidiairement, au cas où la cour considérerait qu’il n’y a pas de transfert d’entreprise au sens de la C.C.T. n° 32bis, il demande de réduire les montants réclamés.
L’employée interjette appel également, demandant qu’il soit fait droit à sa demande originaire, telle que formée à titre principal contre la société cessionnaire, celle-ci étant par ailleurs maintenue à titre subsidiaire contre le Fonds de Fermeture comme en première instance.
La décision de la cour
La cour constate que l’intéressée se fonde sur le chapitre II de la C.C.T. n° 32bis du 7 juin 1985 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’un transfert conventionnel d’entreprise et réglant les droits des travailleurs repris en cas de reprise des actifs après faillite. Elle rappelle les articles 6 et 11 de cette C.C.T., relatifs au champ d’application du chapitre II de celle-ci, qui vise le transfert conventionnel d’entreprise. Cette disposition s’applique à tout changement d’employeur résultant d’un transfert conventionnel d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise, à l’exclusion des cas visés au chapitre III (reprise d’actifs après faillite).
L’article 11 concerne cette autre hypothèse, étant celle de la reprise de travailleurs consécutive à la reprise de la totalité ou d’une partie des actifs d’une entreprise en faillite, à la condition que cette reprise intervienne dans un délai de deux mois à partir de la date de la faillite. La cour rappelle également les articles 5 et 3.1. de la Directive n° 2001/23 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements. Il qu’il ressort de la lecture conjointe de ces dispositions qu’en cas de faillite, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 3 de la Directive non plus que l’article 7 de la C.C.T. n° 32bis en cas de reprise de la totalité ou d’une partie des actifs de la société faillie.
Dans cette hypothèse, les droits et obligations qui reposent sur l’employeur précédent ne sont pas reportés sur l’entreprise qui a repris ces actifs. En application des articles 12, 13 et 14 de la C.C.T. n° 32bis, les travailleurs qui ont été repris bénéficient de droits limités à l’égard de celui qui a repris les actifs du failli. Le candidat repreneur ayant, en vertu de l’article 12, le choix en ce qui concerne les travailleurs qu’il veut reprendre, il n’y a pas de transfert automatique de tous les travailleurs de la société faillie.
La cour reprend également les articles 13 et 14 concernant les conditions de travail collectives devant être maintenues à l’égard du nouvel employeur (sous réserve de l’application de l’article 15, ainsi que la question de l’ancienneté des travailleurs).
Aussi la cour conclut-elle que ni la demanderesse originaire ni le Fonds de Fermeture ne peuvent se fonder sur le chapitre II de la C.C.T. n° 32bis, le Fonds faisant valoir que le transfert est intervenu préalablement à la faillite de la société, en se référant à la date de la rupture du contrat de travail telle que reprise dans les documents Dimona et sur divers autres éléments indiquant que la société qui a repris l’exploitation avait poursuivi une partie des activités de la société précédente. Il qu’il ne peut dès lors être fait application du chapitre II de la C.C.T. n° 32bis. La circonstance que la société repreneuse a exercé les activités de la société faillie dans la station d’essence où l’intéressée était occupée est indifférente. Ce qui compte, au niveau de la réglementation (application du chapitre II ou chapitre III de la C.C.T n° 32bis), est que, dans le dernier cas, la totalité ou une partie des actifs a été reprise après faillite.
La cour écarte également la mention de la date de la rupture sur les documents Dimona. Elle rappelle encore que l’interdiction de licencier à l’occasion d’un transfert d’entreprise (interdiction affirmée aux articles 4 de la Directive et 9 de la C.C.T n° 32bis) n’est pas applicable en cas de faillite et note par ailleurs qu’il ne ressort d’aucun élément que l’intéressée serait entrée au service de la société repreneuse avant la date de la faillite.
Elle rappelle encore l’arrêt de la Cour de Justice du 22 juin 2017 (C.J.U.E., 22 juin 2017, Aff. n° C-126/16, FEDERATIE NEDERLANDSE VAKVERENIGING et alii c/ SMALLSTEPS BV, EU:C:2017:489), qui a jugé que l’article 5, § 1er, de la Directive doit être interprété en ce sens que la protection des travailleurs garantie par les articles 3 et 4 est maintenue dans une situation, telle que celle en cause au principal, où le transfert d’une entreprise intervient à la suite d’une déclaration de faillite dans le contexte d’un pre-pack, préparé antérieurement à celle-ci et mis en œuvre immédiatement après le prononcé de la faillite, dans le cadre duquel, notamment, un « curateur pressenti », désigné par un tribunal, examine les possibilités d’une éventuelle poursuite des activités de cette entreprise par un tiers et se prépare à passer des actes juste après le prononcé de la faillite afin de réaliser cette poursuite.
La conclusion de l’arrêt est dès lors qu’il n’y a pas eu de changement d’employeur dû à un transfert conventionnel d’entreprise mais une reprise des travailleurs en cas de transfert d’actifs après faillite. L’intéressée ne peut dès lors fonder son action sur les articles 7 et 9 de la C.C.T. n° 32bis et sa demande, telle que dirigée contre la société repreneuse, doit être déclarée non fondée.
En ce qui concerne la demande formée à titre subsidiaire contre le Fonds de Fermeture, la cour rappelle l’article 35, § 1er, de la loi relative aux fermetures d’entreprises, qui fait obligation à ce dernier d’intervenir dans cette hypothèse. Elle fait cependant droit à une demande relative aux intérêts. D’une part, le Fonds peut uniquement être condamné aux intérêts judiciaires, les indemnités qu’il est tenu de payer n’ayant pas la nature de rémunération (avec renvoi à Cass., 19 juin 1989, n° 8.463 et 8.464), et d’autre part ces intérêts doivent être calculés sur les montants nets.
Intérêt de la décision
La Cour du travail de Bruxelles renvoie, dans cette affaire, à l’arrêt C-126/16 de la Cour de de Justice du 22 juin 2017, très explicite sur la question.
L’on peut ajouter que, dans un arrêt du 28 avril 2022 (C.J.U.E., 28 avril 2022, Aff. n° C-237/20, FEDERATIE NEDERLANDSE VAKBEWEGING c/ HEIPLOEG SEAFOOD INTERNATIONAL BV et HEITRANS INTERNATIONAL BV, EU:C:2022:321), soit légèrement postérieur à l’arrêt de la cour du travail, la Cour de Justice a été amenée à préciser sa jurisprudence telle que dégagée dans l’arrêt C-126/16. Elle a précisé, au point 47 de ce même arrêt, que l’article 5, § 1er, de la Directive n° 2001/23 exige que la procédure de faillite ou la procédure d’insolvabilité analogue à celle-ci soit ouverte aux fins de la liquidation des biens du cédant et a rappelé que, conformément à sa jurisprudence, ne satisfait pas à cette condition une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise concernée (considérant n° 43).
Par ailleurs, elle a ajouté, s’agissant des différences entre ces deux types de procédure, qu’une procédure vise la poursuite de l’activité lorsqu’elle tend à sauvegarder le caractère opérationnel de l’entreprise ou de ses unités viables. En revanche, une procédure tendant à la liquidation des biens vise à maximiser le désintéressement collectif des créanciers. Or, s’il n’est pas exclu qu’un certain chevauchement puisse exister entre ces deux objectifs que poursuit une procédure donnée, l’objectif principal d’une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise demeure, en tout état de cause, la sauvegarde de l’entreprise concernée (considérant n° 44).
Elle a encore souligné que les affaires C-126/16 et celle faisant l’objet de son arrêt du 28 avril 2022 présentaient des différences, étant que, dans la présente procédure, la juridiction de renvoi avait indiqué que, lorsque la procédure de pre-pack en cause avait été engagée, l’insolvabilité du cédant était inévitable et que tant la procédure de faillite que la procédure de pre-pack l’ayant précédée visaient la liquidation des biens du cédant, la faillite ayant d’ailleurs été prononcée. Le juge national avait constaté que l’objectif principal de l’ensemble de ces procédures ayant conduit à cette liquidation consistait à obtenir le rendement le plus élevé possible pour l’ensemble des créanciers.
La Cour de Justice a conclu à la non-application de l’article 5, § 1er, de la Directive n° 2001/23.