Commentaire de C.J.U.E., 13 octobre 2022, Aff. n° C-713/20 (RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK c/ X et Y c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK), EU:C:2022:782
Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023
Cour de Justice de l’Union européenne, 13 octobre 2022, Aff. n° C-713/20 (RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK c/ X et Y c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK), EU:C:2022:782
Terra Laboris
Dans un arrêt du 13 octobre 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne donne l’interprétation à réserver à l’article 11, § 3, sous a) et c), du Règlement n° 883/2004, relatif à la loi applicable, s’agissant de travail intérimaire dans un autre Etat membre que l’Etat de résidence, les relations de travail étant interrompues à l’issue de chaque contrat.
Les faits
Dans la première affaire, une ressortissante néerlandaise résidant en Allemagne a entamé une activité en tant que travailleuse intérimaire aux Pays-Bas le 14 janvier 2013. Elle a effectué plusieurs missions dans le cadre de ce travail intérimaire, avec des interruptions. Pendant celles-ci, elle était bénévole aux Pays-Bas (tâches non rémunérées de soins à la famille et tâches ménagères ayant donné lieu à une très faible rémunération).
Elle a sollicité en 2015 de la SVB (Sociale verzekeringsbank – banque des assurances sociales) le relevé de ses droits à la retraite au titre de pension (s’agissant d’une assurance vieillesse généralisée – AOW, soit Algemene Ouderdomswet). Il lui a été notifié qu’elle avait constitué 82% de la pension de vieillesse. Dans la mesure où elle résidait en Allemagne, elle n’était en effet assurée au titre du régime de sécurité sociale néerlandais que pendant les périodes de travail effectif et non pendant les intervalles entre les missions.
L’intéressée a introduit un recours devant le Rechtbank Amsterdam (Tribunal d’Amsterdam), qui s’est, dans un jugement du 3 octobre 2016, référé à l’arrêt FRANZEN de la Cour du 23 avril 2015 (C.J.U.E., 23 avril 2015, Aff. n° C-382/13, EU:C:2015:261), considérant que les intervalles devaient être considérés comme des périodes de congé ou de chômage et qu’elle relevait, de ce fait, de la législation néerlandaise pendant ceux-ci.
Appel a été interjeté par le SVB devant le Centrale Raad van Beroep (cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique). Cette juridiction a conclu que, dans la mesure où l’intéressée n’avait pas accompli de période d’assurance en Allemagne, elle ne pouvait prétendre à une pension de vieillesse dans cet Etat membre.
Dans la seconde affaire, il s’agit d’un ressortissant polonais résidant avec sa famille en Pologne et qui a commencé à exercer une activité salariée aux Pays-Bas, également dans le cadre de contrats intérimaires avec des intervalles. Par décision du 29 mars 2016, le SVB a conclu qu’il n’avait pas droit aux allocations familiales en vertu du régime de sécurité sociale néerlandais pour les périodes pendant lesquelles il n’exerçait pas d’activité professionnelle.
Un recours a été introduit devant le Rechtbank Amsterdam et celui-ci a été jugé non fondé, le tribunal considérant qu’un contrat de travail avait pris fin à l’issue des prestations et qu’il n’était pas établi que des congés rémunérés (ou non) avaient été prévus dans le cadre de celui-ci. Il ne pouvait dès lors s’agir d’une interruption temporaire au sens de la loi néerlandaise.
Appel a également été interjeté.
Le Centrale Raad van Beroep a décidé d’interroger la Cour de Justice sur trois points, relatifs au Règlement n° 883/2004.
Les questions préjudicielles
La première question vise l’article 11, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004, qui concerne la loi applicable. Le § 3, sous a), dispose que la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de celui-ci (sauf exceptions).
Le juge de renvoi pose dès lors la question de savoir si cette disposition doit être interprétée en ce sens que le travailleur qui réside dans un Etat membre et travaille sur le territoire d’un autre Etat membre, en vertu d’un contrat intérimaire qui prévoit que la relation de travail prend fin dès la fin de la mission et est rétablie ensuite, reste soumis, pendant les intervalles, à la législation de ce dernier Etat membre aussi longtemps qu’il n’a pas cessé temporairement ce travail.
Est également demandé quels sont les éléments pertinents permettant d’apprécier dans un tel cas si le travailleur a temporairement cessé ou non son activité, ainsi que le délai après lequel celui qui n’a plus de relation contractuelle de travail doit être censé (sauf indications contraires concrètes) avoir temporairement cessé son activité dans l’Etat d’emploi.
La décision de la Cour
La Cour répond aux trois questions ensemble, renvoyant à la finalité du Titre II du Règlement n° 883/2004. Celui-ci constitue un système complet et uniforme de règles de conflits de lois tendant à l’application d’un seul régime de sécurité sociale en cas d’exercice par les travailleurs de leur droit à la libre circulation, le but étant également d’éviter le cumul de législations applicables.
Il s’agit, pour la Cour, de déterminer si les intéressés doivent être considérés comme ayant exercé pendant les intervalles une activité salariée ou non salariée au sens de la disposition ci-dessus. L’activité salariée est une activité (ou une situation assimilée) considérée comme telle pour l’application de la législation de sécurité sociale de l’Etat membre en cause.
Il y avait en l’espèce un contrat de travail intérimaire à durée déterminée qui, selon ses termes, impliquait que, pendant les intervalles entre les missions, il n’y avait pas de relation de travail. Le fait pour l’intéressée, dans la première affaire, d’être restée inscrite auprès de plusieurs entreprises de travail intérimaire néerlandaises est indifférent, vu qu’elle n’avait effectué aucune mission. Par ailleurs, les activités de bénévolat et les tâches ménagères ne peuvent pas être considérées comme une activité salariée ou une situation assimilée.
De même, dans la deuxième affaire, il y a eu cessation de l’activité à l’issue du contrat de travail, une nouvelle relation de travail étant née lors de la signature d’un contrat suivant. Aucune prestation de travail n’est intervenue pendant l’intervalle.
Il s’ensuit, pour la Cour, que les intéressés n’exerçaient pas d’activité salariée pendant ces périodes, vu la cessation de l’activité professionnelle, et qu’ils ne relevaient dès lors pas du champ d’application de l’article 11, § 3, sous a), du Règlement. Il en découle qu’ils n’étaient pas soumis à la législation néerlandaise.
La Cour rappelle que, dans son arrêt FRANZEN, elle a jugé que, si la législation de l’Etat membre d’emploi reste applicable pendant la durée de l’exercice d’une activité professionnelle, les personnes qui ont définitivement ou temporairement cessé leur activité sont soumises à la législation de l’Etat membre de résidence. Elle conclut que, pendant ces périodes, les intéressés relevaient de l’article 11, § 3, sous e), qui contient une règle résiduelle, s’appliquant aux personnes qui se trouvent dans une situation non spécifiquement réglée par d’autres dispositions du Règlement. Celui-ci prévoit que les personnes autres que celles visées aux points précédents (a) à d)) sont soumises à la législation de l’Etat de résidence, et ce sans préjudice d’autres dispositions qui leur garantiraient des prestations autrement. Ceci s’applique tant aux personnes qui ont cessé leur activité définitivement que temporairement.
La Cour répond dès lors que l’interprétation à donner à la disposition (§ 3, sous a) et e)) du Règlement est qu’une personne résidant dans un Etat membre et effectuant pour une entreprise de travail intérimaire établie dans un autre Etat membre des missions de travail intérimaire sur le territoire de ce dernier est soumise, pendant les intervalles entre les missions, à la législation de l’Etat membre de résidence, vu qu’il n’y a pas de relation de travail pendant ces intervalles.
Intérêt de la décision
La Cour renvoie ici à son arrêt FRANZEN du 23 avril 2015 (précédemment commenté). Celui-ci portait sur l’article 13, § 2, a), du Règlement n° 1408/71 et concernait l’hypothèse d’un contrat occasionnel ayant entraîné des prestations de travail sur le territoire d’un autre Etat membre.
Les deux affaires tranchées dans l’arrêt du 13 octobre 2022 sont, sur le plan des faits, assez similaires, la Cour ayant en conséquence pu les joindre et apporter aux deux affaires une solution identique. L’on notera que la première question du juge néerlandais portait sur l’interprétation de l’article 11, § 3, sous a), et que la Cour a fait porter son examen sur le paragraphe e) également.
Dans son arrêt (considérant n° 49), elle reprend les conclusions de M. l’Avocat général PITRUZZELLA, qui, renvoyant à l’enseignement de l’arrêt FRANZEN, a pointé que l’existence d’une relation de travail continue est essentielle mais que les modalités concrètes d’exercice de la prestation de travail sont dépourvues de pertinence, la législation de l’Etat d’emploi pouvant très bien s’appliquer également à des relations de travail occasionnelles à temps partiel. Les éléments de la relation de travail spécifiques ne doivent pas être pris en compte dès lors qu’ils n’affectent pas le caractère continu de cette relation.
M. l’Avocat général avait conclu que la situation des intéressés pendant les intervalles en cause ne peut relever du champ d’application de l’article 11, § 3, sous a), non plus que de celui de l’article 11, § 2.