Terralaboris asbl

Choix du statut d’indépendant complémentaire et droits en matière de pension de retraite

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2023, R.G. 2021/AB/221

Mis en ligne le mardi 13 juin 2023


Cour du travail de Bruxelles, 13 janvier 2023, R.G. 2021/AB/221

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 janvier 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les effets du statut d’indépendant complémentaire sur les droits en matière de pension de retraite.

Les faits

Un indépendant, assujetti depuis le 1er octobre 1981, a eu une carrière de salarié de 1975 à 1983 (avec une période de service militaire en 1980-1981).

En 2000, il a demandé l’assimilation au statut de travailleur indépendant à titre complémentaire, et ce rétroactivement depuis le 2 juillet 1994, vu le montant des revenus professionnels (limités) et le statut social de sa conjointe, qui lui garantissait des droits sociaux au moins équivalents à ceux offerts par le statut social.

Il a été assimilé à un travailleur indépendant à titre complémentaire pour la période du 1er avril au 31 décembre 1996, ainsi que du 1er avril 1998, sans date de fin, la caisse d’assurances sociales, qui fit ainsi droit à la demande, attirant son attention sur le fait que des périodes en cause (assimilation) n’entraient pas en ligne de compte dans la carrière professionnelle aux fins de déterminer ses droits en matière de pension.

En fin de compte, cette assimilation a été prolongée et, parallèlement, l’intéressé a bénéficié de plusieurs dispenses de cotisations. Celles-ci portent essentiellement sur les périodes entre 1981 et 1987. Il n’est pas contesté qu’elles n’ouvrent pas de droit à une pension de retraite d’indépendant.

En 2018, l’intéressé a été informé que l’I.N.A.S.T.I. procédait à l’examen d’office de ses droits en matière de pension de retraite. La décision d’octroi porte sur une fraction de carrière de 6474/14040 au taux isolé. Le montant annuel de la pension est de l’ordre de 2.400 euros.

Un recours a été introduit par l’intéressé, qui demande la prise en compte des périodes où il y a eu réduction des cotisations en vertu de l’article 37 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967. Il estime que la non-prise en compte de celles-ci crée une discrimination par rapport à un demandeur d’emploi qui, sans cotisations sociales, verra ses droits garantis en matière de pension.

Le tribunal du travail francophone de Bruxelles a statué par jugement du 12 février 2021. Il a considéré que la décision devait être confirmée, car faisant une juste application des dispositions réglementaires.

Quant à l’argument de la discrimination, il a été constaté que l’intéressé avait choisi le régime de l’article 37 parce qu’il pouvait bénéficier d’une autre couverture sociale et que ceci n’est pas comparable à la situation du demandeur d’emploi privé de travail et de rémunération.

Les arrêts de la cour

La cour a rendu un premier arrêt le 28 juillet 2022, prononçant une réouverture des débats. L’appelant ayant conclu après celle-ci et l’I.N.A.S.T.I. postulant la confirmation du jugement, la cour vide sa saisine dans l’arrêt du 13 janvier 2023.

Elle rappelle dans celui-ci l’article 37 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui permet à certains indépendants exerçant leur activité à titre principal d’être assimilés aux travailleurs indépendants à titre complémentaire, ne payant ainsi pas (ou peu) de cotisations, une condition de revenus étant exigée. Cette assimilation peut rester valable pour les années ultérieures aussi longtemps qu’il n’y a pas été renoncé.

En application de cette disposition, c’est l’intéressé qui a demandé à être assimilé à un indépendant à titre complémentaire. Le formulaire de cette demande précisait explicitement qu’il confirmait avoir pris connaissance de diverses informations et ne pas ignorer que l’application du régime entraînait la perte des avantages prévus par le statut social pendant la période correspondante. Cet état de fait a été confirmé ultérieurement et n’a pas entraîné de réaction de sa part. Il a ainsi pu bénéficier de la réduction des cotisations sociales. En outre, la demande était motivée par la circonstance que son épouse, en sa qualité de chômeuse, lui permettait de bénéficier de droits sociaux au moins équivalents à ceux du statut social.

La cour constate à cet égard que les droits dérivés dont l’intéressé a pu jouir sont relatifs aux prestations A.M.I., ainsi que, dans le secteur des pensions, à une éventuelle pension de retraite au taux ménage dans le chef du conjoint, une pension de survie en faveur de l’intéressé en cas de décès du conjoint, une éventuelle pension de conjoint séparé ou de conjoint divorcé.

Ces droits dérivés ne sont pas contestés par l’intéressé. Celui-ci plaide cependant qu’il y a une différence de traitement entre les demandeurs d’emploi et les travailleurs indépendants bénéficiant de l’article 37, considérant qu’il s’agit de deux catégories de citoyens se trouvant dans la même situation involontaire d’absence de revenus. Il fait ici valoir que, même s’il a été assimilé à un indépendant complémentaire, il a toujours exercé sa profession à titre principal et retient également une discrimination entre le travailleur indépendant qui a de faibles revenus et qui bénéficie de l’article 37, par rapport au travailleur indépendant qui n’a pas sollicité l’application de cet article alors qu’il aurait pu le faire. Ce dernier verra les mêmes années de cotisations intégrées dans le calcul de sa pension, ce qui n’est pas le cas pour le premier.

La cour rejette cette argumentation. Elle rappelle que l’assimilation est intervenue à la demande de l’intéressé et qu’il a, dès le départ, été informé des effets de celle-ci. Il relève de la responsabilité du travailleur indépendant de décider s’il sollicite ou non le bénéfice de l’assimilation. Chaque travailleur indépendant devant apprécier en fonction de sa situation propre s’il est opportun d’introduire ou non une telle demande, il n’y a pas lieu de procéder à une comparaison avec un demandeur d’emploi aux fins d’examiner l’existence d’une discrimination éventuelle.

Par ailleurs, la responsabilité de l’I.N.A.S.T.I. ne peut être engagée, puisque la demande a été gérée en toute transparence, les informations nécessaires ainsi que les effets au niveau des avantages du statut social ayant été dûment communiqués à l’intéressé.

Celui-ci plaidant encore que sa situation en matière de pension telle que découlant de l’application de l’article 37 n’équivaut en rien au bénéfice de la pension de retraite calculée conformément au statut social de travailleur indépendant à laquelle il aurait pu avoir droit, la cour souligne qu’il n’appartient pas aux institutions de sécurité sociale de formuler des avis approfondis indiquant à l’assuré social la voie à suivre, dès lors qu’un tel avis supposerait un examen fouillé tant de la législation que de la situation personnelle de l’intéressé.

La cour reprend sur cette question la position de l’I.N.A.S.T.I. et renvoie à la doctrine de J.-Fr. FUNCK (J.-Fr. FUNCK, « La responsabilité des institutions de sécurité sociale », Regards croisés sur la sécurité sociale, Anthémis, 2012, p. 171, n° 2), qui a rappelé que le devoir de conseil ne peut avoir qu’une portée assez générale. Ces devoirs d’information et de conseil ne vont pas jusqu’à imposer à l’organisme de sécurité sociale de donner d’office à chaque assuré toutes les informations personnalisées dont il serait susceptible d’avoir besoin (renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 20 juin 2014, R.G. 2013/AB/539).

La demande introduite à titre subsidiaire d’octroi de dommages et intérêts est dès lors rejetée.

Le jugement est confirmé.

Intérêt de la décision

La cour rappelle dans cet arrêt l’article 37 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui permet de bénéficier du statut d’indépendant à titre complémentaire, et ce quelle que soit l’importance de la prestation du travailleur indépendant, seule étant exigée une condition de revenus.

En l’espèce, l’appelant a notamment fait valoir qu’il a presté principalement (et d’ailleurs uniquement) comme indépendant pendant la période concernée (hors semble-t-il en tout début de carrière) et que le conseil qui lui aurait été donné quant au bénéfice du statut d’indépendant complémentaire était inapproprié et l’aurait lésé sur le plan de ses droits à la pension de retraite.

L’arrêt rappelle ici un point important en ce qui concerne les obligations des institutions de sécurité sociale dans le cadre de la Charte de l’assuré social, étant qu’il y a une limite au devoir d’information et de conseil, celui-ci ne signifiant pas que ces institutions doivent indiquer à l’assuré social la meilleure voie à la suivre, dès lors que ceci suppose un examen approfondi à la fois de la législation, mais également de la situation personnelle de l’intéressé.

Le devoir d’information et de conseil a été compris, au fil du temps, comme ayant une interprétation extensive. La proactivité exigée des institutions ne suppose cependant pas que celles-ci sont tenues de donner d’office à chaque assuré social toutes les informations personnalisées lui permettant de faire un choix (même s’il n’a pas exprimé celui-ci).

La doctrine citée dans l’arrêt (avec celle de J.-Fr. NEVEN et S. GILSON, « Les obligations d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale », Dix ans d’application de la Charte de l’assuré social, Kluwer, 2008, p. 7) considère à cet égard qu’il appartient à l’assuré social de s’informer lui-même sur la portée de ses droits et obligations.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be