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Fonctions critiques ou en pénurie : rappel de l’allègement des conditions de dispense permettant de bénéficier des allocations de chômage pendant la reprise d’études supérieures de plein exercice

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 novembre 2022, R.G. 2021/AB/119

Mis en ligne le mardi 13 juin 2023


Cour du travail de Bruxelles, 10 novembre 2022, R.G. 2021/AB/119

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 novembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions permettant l’octroi de la dispense de la condition de disponibilité d’emploi pour le chômeur qui veut reprendre des études supérieures de plein exercice aux fins d’obtenir une formation lui permettant de s’intégrer sur le marché du travail.

Les faits

Mme M., titulaire d’un baccalauréat en comptabilité et fiscalité (2006), ainsi que d’un autre en sciences économiques et gestion (2009), et encore d’un master en sciences de gestion (2012), a, depuis cette date, alterné des emplois à temps partiel avec maintien des droits et allocation de garantie de revenus, ainsi que des périodes de chômage complet. Elle a suivi en 2015 une formation d’assistant import-export. En 2019, elle a entamé en master en sciences de la santé publique à l’U.L.B. et a introduit une demande de dispense pour poursuivre des études de plein exercice, et ce de septembre 2019 à juin 2021.

Le FOREm a refusé celle-ci, au motif qu’en vertu de l’article 93, § 1er, 4°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, pour l’octroi de la dispense, le chômeur ne peut pas déjà disposer d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur. Le FOREm précise que « le » diplôme dont elle dispose offre suffisamment de possibilités sur le marché de l’emploi.

L’intéressée a contesté cette décision devant le Tribunal du travail du Brabant wallon et, par jugement du 8 janvier 2021, son recours a été rejeté.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend les conditions permettant à un bénéficiaire d’allocations de chômage de bénéficier d’une dispense pour études de plein exercice. Il s’agit en l’espèce de l’octroi de celle-ci pour deux années académiques (2019-2020 et 2020-2021), pendant lesquelles le master en sciences de la santé publique a été suivi.

La cour rappelle trois principes : le chômeur doit être disponible sur le marché de l’emploi, être inscrit comme demandeur d’emploi et rechercher activement du travail.

Par ailleurs, il ne peut bénéficier des allocations pendant qu’il suit des études de plein exercice (étant les études organisées, subventionnées ou reconnues par une Communauté), sauf si les cours sont dispensés principalement le samedi ou après dix-sept heures ou s’il a obtenu la dispense prévue à l’article 93 de l’arrêté royal.

Cette dispense peut être octroyée, mais à la condition de remplir certaines conditions, dont celle de ne pas disposer d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur. Si l’ONEm constate que le diplôme n’offre que peu de disponibilités sur le marché de l’emploi, cette condition peut être écartée. L’avis du Service régional de l’emploi peut être demandé à cette fin.

La cour rappelle ensuite que, dans cette matière, elle dispose d’un pouvoir de pleine juridiction. Le FOREm ne statue en effet pas dans le cadre de l’octroi de cette dispense sur le droit aux allocations lui-même, mais sa décision va toucher aux articles 51, 56 et 58 de l’arrêté royal organique (dispositions qui traitent des conditions d’octroi). Le litige porte en conséquence sur le droit du chômeur à ces allocations, matière de la compétence de pleine juridiction des cours et tribunaux, en vertu de l’article 580, 2°, du Code judiciaire.

En l’espèce, il y a dès lors lieu de vérifier les possibilités sur le marché de l’emploi offertes par les diplômes dont dispose l’intéressée.

Celle-ci objecte que le master en sciences de gestion est une formation très générale et qu’elle offre peu de débouchés concrets.

Pour la cour, cependant, tel n’est pas le cas, au triple motif que (i) ce diplôme figure sur la liste des études qui préparent à une profession pour laquelle il existe une pénurie significative de main-d’œuvre, (ii) il prépare à différentes fonctions et responsabilités pour lesquelles il y a pénurie (la cour citant les fonctions d’expert de l’audit et du contrôle comptable et financier, de responsable commercial, de responsable de gestion industrielle et logistique, de responsable de production, ainsi que de responsable de recherche et développement – tous métiers étant soit des fonctions critiques, soit des métiers en pénurie) et (iii) le FOREm communique des données permettant d’objectiver le taux élevé ainsi que le délai d’insertion en Brabant wallon des personnes ayant un tel diplôme (données relatives à l’année 2019).

La cour valide également la position du FOREm en ce qui concerne la méthode d’élaboration des données, celles-ci reposant sur une analyse du marché du travail réelle, étant collectées au départ des offres d’emploi reçues l’année précédente.

Elle constate encore qu’une vingtaine d’offres ont été adressées à l’intéressée et que celle-ci n’a effectivement postulé à aucune, relevant encore que le niveau de responsabilité des postes ne peut à lui seul justifier ce manque de suivi des offres.

Elle fait également grief à l’intéressée de ne pas produire de candidatures effectives et/ou de réponses d’employeurs démarchés, ce qui permettrait d’identifier les motifs de refus éventuels de ces candidatures.

Les difficultés vantées ne sont dès lors pas retenues.

Enfin, la cour retient que le FOREm a dûment procédé à l’examen individualisé de la demande de dispense et qu’il a été tenu des circonstances concrètes propres à la situation personnelle de l’intéressée.

Les conditions légales n’étant pas remplies, le jugement est confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle la possibilité offerte par la réglementation chômage de poursuivre des études de plein exercice tout en bénéficiant des allocations.

L’article 93, 6°, de l’arrêté royal organique prévoit à cet égard que cette possibilité existe si le chômeur a bénéficié d’au moins trois-cent-douze allocations comme chômeur complet au cours des deux dernières années précédant le début des études, condition qui n’est pas exigée lorsque les études préparent à des professions dans lesquelles il y a pénurie significative de main-d’œuvre. Aux fins de déterminer ces professions, une liste a été établie par l’ONEm (ou le FOREm en Wallonie).

Le chômeur ne peut par ailleurs déjà disposer d’un diplôme de fin d’études de l’enseignement supérieur le qualifiant sur le marché du travail. Ici également existe une exception, étant que le directeur du bureau de chômage peut constater que ce diplôme n’offre que peu de possibilités d’embauche. Il peut, pour ce, solliciter l’avis du Service régional de l’emploi.

Les questions soulevées par les refus d’octroi de dispense font régulièrement l’objet de recours devant les juridictions du travail. L’on peut à cet égard renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 23 mai 2022 (C. trav. Liège, div. Liège, 23 mai 2022, R.G. 2021/AL/346 – précédemment commenté pour un diplôme de master en gestion culturelle).

L’on notera, dans l’espèce tranchée par la Cour du travail dans l’arrêt du 10 novembre 2022, l’examen fait concrètement du suivi par le chômeur des offres d’emploi adressés par le FOREm, ainsi que les démarches faites par celui-ci au niveau de candidatures effectives ou de réponses d’employeurs démarchés.

Un autre point d’intérêt de la décision est que la cour a rappelé qu’elle dispose en la matière d’un pouvoir de pleine juridiction, la décision de l’administration touchant les articles 51, 56 et 58 de l’arrêté royal organique.

A cet égard, on lira avec intérêt un arrêt de la Cour du travail de Liège du 3 février 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 3 février 2021, R.G. 2019/AL/362 – également précédemment commenté), qui a jugé que le terme « peut », utilisé à l’article 94, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal organique, n’implique pas en lui-même que le pouvoir d’appréciation de l’ONEm est discrétionnaire, le terme signifiant que le chômeur peut être dispensé à sa demande, étant qu’il peut demander à l’être.

Enfin, ainsi que relevé dans l’arrêt commenté, la dispense visée à l’article 93 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 est destinée au chômeur n’ayant pas de qualification suffisante pour s’insérer sur le marché de l’emploi, ce sans égard pour ses aspirations personnelles. Au regard du prescrit réglementaire, ce qui importe pour bénéficier de la dispense prévue est ainsi le peu de possibilités offertes par le diplôme possédé sur le marché de l’emploi et non celles du diplôme escompté (voir à cet égard C. trav. Bruxelles, 8 octobre 2020, R.G. 2019/AB/305).


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