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Allocations familiales : condition d’obligation pour les enfants d’être scolarisés en Belgique

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 janvier 2023, R.G. 2021/AB/378

Mis en ligne le vendredi 14 juillet 2023


Cour du travail de Bruxelles, 4 janvier 2023, R.G. 2021/AB/378

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 janvier 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’existe une possibilité de dérogation à la condition mise par la loi générale sur les allocations familiales en ce qui concerne la scolarisation des enfants en Belgique et reprend les règles de prescription en cas de récupération d’indu.

Les faits

Une mère, allocataire, a perçu des allocations familiales pour travailleurs salariés, pour deux enfants. Ceux-ci ont été scolarisés en Turquie, à partir de l’année scolaire 2009-2010. La mère en a informé les services de la Fédération Wallonie-Bruxelles mais non l’O.N.A.F.T.S. (actuellement IRISCARE). Lorsque la fille de l’intéressée atteignit l’âge de dix-huit, la mère a renvoyé le formulaire à FAMIFED (précédemment O.N.A.F.T.S.), précisant que sa fille n’étudiait pas en Belgique mais en Turquie.

Plusieurs décisions furent prises (huit au total), demandant le remboursement des allocations familiales depuis septembre 2009, décisions prises sur pied de l’article 52 de la loi générale relative aux allocations familiales, en vertu duquel celles-ci ne sont pas dues en faveur des enfants qui sont élevés ou qui suivent des cours en-dehors du Royaume.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, dans laquelle était notamment posée la question du délai de prescription, la demanderesse sollicitant à titre subsidiaire que celui-ci soit limité à trois ans.

Dans un jugement du 6 avril 2021, le tribunal du travail a admis le délai triennal, limitant ainsi l’indu à la période du 25 octobre 2016 au 8 octobre 2019.

IRISCARE interjette appel de cette décision.

Devant la cour, les parties maintiennent leur position initiale.

La décision de la cour

La cour tranche en premier lieu une question relative à l’obligation d’audition préalable. Elle constate qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose de procéder à l’audition d’un(e) allocataire avant de décider de la récupération des allocations familiales indues. Cette absence d’audition n’a aucune incidence quant à la légalité des décisions litigieuses en l’espèce (la cour du travail renvoyant à C. trav. Mons, 26 juin 2014, R.G. 2013/AM/285).

Le principe audi alteram partem n’est pas nécessairement d’application en matière de récupération d’indu, la cour renvoyant à la doctrine de J.-H. TASSET (J.-H. TASSET, « La phase administrative dite du ‘‘préalable administratif’’ », Le contentieux du droit de la sécurité sociale, Anthémis, 2012, p. 90).

Il est par ailleurs admis que l’obligation d’audition ne s’impose pas lorsque les conditions légales sont précises et que la décision administrative en découle de manière automatique (la cour renvoyant ici à J.-F. NEVEN, « Principes de bonne administration et responsabilités de l’O.N.S.S. », La sécurité sociale des travailleurs salariés, assujettissement, cotisations, sanctions, Larcier, 2010, p. 534).

La cour précise en outre qu’elle exerce sur la question un pouvoir de pleine juridiction, s’agissant d’examiner un droit subjectif à une prestation sociale. En outre, il y a en l’espèce une demande reconventionnelle et annuler les décisions litigieuses n’aurait pas pour effet de réintégrer l’intéressée dans ses droits.

Sur le fond, la cour rappelle que la loi permet de faire un recours à titre individuel auprès du ministre compétent pour bénéficier d’une exception à la règle de l’article 52, et ce s’il y a un cas digne d’intérêt ou une catégorie de cas dignes d’intérêt.

Cette demande de dérogation ministérielle n’ayant pas été faite, les enfants ne pouvaient bénéficier des allocations. Il convient dès lors d’examiner les conventions entre la Belgique et la Turquie ainsi que les arrangements administratifs, qui ont déterminé les conditions du droit (allocataire et montants).

Elle rejette la demande de question à la Cour constitutionnelle, qui portait sur la comparaison entre les enfants élevés en Belgique et ceux élevés en Turquie, et ce vu l’absence de comparabilité entre les catégories visées, compte tenu notamment de la différence du coût de la vie.

La cour en vient dès lors à la question du délai de récupération, rappelant le texte de l’article 120bis de la loi générale. La question est dès lors de savoir s’il y a eu fraude et la cour rappelle la doctrine de J. LECLERCQ (J. LECLERCQ, « La répétition de l’indu dans le droit de la sécurité sociale », La doctrine du judiciaire, De Boeck et Larcier, 1988, p. 318), qui a explicité la volonté du législateur. Celui-ci a visé essentiellement la manière dont sont introduites certaines demandes de prestations sociales, les candidats bénéficiaires sachant ou se doutant n’avoir pas droit à celles-ci, ou en tout cas dans la mesure où ils les postulent. Sont visées les affirmations sciemment inexactes, les omissions volontaires dans la rédaction des formulaires requis ou des documents dont ils savent le contenu contraire à la vérité.

Sur le plan de la preuve, c’est à l’institution de sécurité sociale d’apporter celle-ci, s’agissant d’une dérogation à la règle générale du délai de trois ans.

Des éléments produits, la cour retient que, sur le formulaire P7 (demande), la mère a répondu que l’enfant suivait sa scolarité en Turquie. Il s’agit de ses seules déclarations et la cour souligne ici que le caractère « inconditionnel » du droit aux allocations familiales jusqu’à l’âge de dix-huit ans explique qu’aucune autre demande d’information n’ait été adressée à l’intéressée, mais que ceci ne permet pas nécessairement d’ériger l’absence d’informations « spontanées » en manœuvres frauduleuses ou en déclarations fausses ou sciemment incomplètes. Ces déclarations ne sont par ailleurs ni fausses ni sciemment incomplètes. Le fait que la mère n’ait pas signalé la chose à IRISCARE a comme conséquence que les allocations familiales sont indues, mais ceci ne suffit pas à établir la fraude. Il n’y a par ailleurs pas de violation des dispositions légales ou réglementaires relatives au registre de la population.

L’absence de flux entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et IRISCARE est étrangère aux conditions de l’article 120bis, alinéa 3, L.G.A.F., de même que l’absence d’obligation pour IRISCARE de s’informer auprès de la mère du lieu de scolarité des enfants.

La cour retient encore que la mère n’a pas tenté de cacher la situation et qu’elle a pu penser avoir rempli ses obligations en informant la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Intérêt de la décision

Plusieurs arrêts ont été rendus récemment par la Cour du travail de Bruxelles dans des affaires similaires. La trame générale est identique, la cour s’attachant à rappeler le mécanisme légal, avec les possibilités d’obtenir une dérogation à l’absence de droit aux allocations familiales en cas d’études poursuivies à l’étranger.

L’intérêt particulier de cet arrêt est d’avoir abordé une question spécifique, étant l’obligation d’audition. La cour y a rappelé d’une part que cette obligation d’audition n’est pas nécessairement d’application en matière de récupération d’indu et qu’elle ne s’impose pas lorsque les conditions légales sont précises et que la décision à prendre va découler automatiquement du (non-)respect de celles-ci.

Sur le plan de l’absence de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes, la cour a ici retenu qu’aucun élément n’était apporté par IRISCARE aux fins de permettre l’application du délai de cinq ans.

Dans une autre affaire récente (C. trav. Bruxelles, 24 novembre 2022, R.G. 2021/AB/167), la cour a également retenu l’application du délai triennal, n’étant pas établie une domiciliation fictive de la famille en vue de se voir accorder les allocations auxquelles elle n’avait pas droit.

Par contre, dans un autre arrêt (C. trav. Bruxelles, 23 novembre 2022, R.G. 2021/AB/216), de telles manœuvres frauduleuses ont été retenues suite à des déclarations fausses ou, à tout le moins, sciemment incomplètes faites par le père chaque année, la cour soulignant que le délai de cinq ans est d’application si l’obtention d’allocations se fonde sur des déclarations fausses ou sciemment incomplètes, sans exiger que ce soit l’allocataire qui en soit nécessairement l’auteur (celui-ci étant en l’espèce l’attributaire).


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