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Une institution hospitalière peut-elle introduire une action contre un C.P.A.S. en vue d’obtenir le paiement d’une facture concernant un de ses patients ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 13 octobre 2022, R.G. 21/1.790/A (Jugement réformé par C. trav. Liège (div. Liège), 3 octobre 2023, R.G. 2022/AL/510)

Mis en ligne le mardi 25 juillet 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 13 octobre 2022, R.G. 21/1.790/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 13 octobre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) déclare irrecevable une action introduite par une institution hospitalière en vue d’obtenir, dans le cadre de l’aide médicale urgente, le paiement d’une facture adressée à un de ses patients, alors que celui-ci n’a pas été mis à la cause.

Les faits

Un établissement hospitalier poursuit, devant le tribunal du travail, la condamnation d’un C.P.A.S. en paiement d’une facture émise par ses soins, au motif que sa patiente peut bénéficier de l’aide médicale urgente. Pendant sa période d’hospitalisation, l’intéressée a en effet complété un « mandat d’intérêt commun » par lequel elle donne mandat et procuration, au sens des articles 1984 à 2010 du Code civil, au centre hospitalier d’agir en son nom et pour son compte afin de diligenter toutes procédures utiles (administrative ou judiciaire) permettant de bénéficier de l’aide médicale urgente couvrant les soins reçus lors de son hospitalisation. Le mandat reprend par ailleurs l’ensemble des prestations visées.

Sur la base de celui-ci, l’hôpital prend contact avec le C.P.A.S. et confirme le caractère urgent de l’aide médicale fournie ainsi qu’une attestation « MediPrima » (étant l’attestation d’aide médicale urgente pour un étranger sans droit de séjour légal). Le C.P.A.S. refuse son intervention au motif que l’intéressée est européenne et qu’elle doit dès lors « circuler sur le territoire munie de (ses) droits sociaux et (qu’elle ne peut) être à charge des pouvoirs publics ». L’hôpital adresse, pour sa part, une facture de l’ordre de 8.500 euros à l’intéressée.

Il introduit la procédure devant le tribunal du travail, agissant au nom et pour le compte de l’intéressée, qui n’est pas à la cause. L’objet de la demande est la condamnation du C.P.A.S. au paiement de l’aide médicale urgente, étant les soins prodigués.

Position des parties devant le tribunal

L’hôpital considère, sur le plan de la recevabilité, que le mandat d’intérêt commun permet à sa patiente de se faire représenter par les avocats de son choix pour intervenir en qualité de mandataires de la personne, ceci étant conforme à l’article 728 du Code judiciaire. Le C.P.A.S. étant tiers au mandat, il ne peut en remettre en cause la validité formelle. Il reprend également les éléments utiles quant au fond, étant que, lors de son hospitalisation, l’intéressée avait la qualité de ressortissant de membre de l’Union européenne et qu’elle pouvait, pendant les trois premiers mois de son séjour, bénéficier de l’aide médicale urgente. Pour ce qui est de l’état de besoin et du caractère urgent des soins, il estime ceux-ci acquis.

Quant au C.P.A.S., il considère l’action irrecevable, au motif que l’hôpital n’a pas la qualité pour agir en justice au nom de l’intéressée et pour son compte. Il conteste la validité du mandat. Sur le fond, il fait valoir que l’état de besoin n’est pas établi et qu’en conséquence, l’aide médicale urgente ne peut être allouée.

La décision du tribunal

Le tribunal retient sa compétence à la fois matérielle et territoriale et considère que le CHU a un intérêt à l’action, vu qu’il postule le paiement d’une facture.

Il examine, ensuite, la validité du mandat d’intérêt commun (ou « contrat ad agendum »). Renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 28 juin 1993, n° 9.509), il en rappelle la définition, à savoir que le mandat est d’intérêt commun notamment lorsque la mission du mandataire est de réaliser une œuvre qui postule nécessairement la collaboration et la participation des deux parties à son accomplissement.

Il reprend également le Juris-classeur civil (D. ALEXANDRE, « Mandat – fin du mandat », Juris-classeur civil, 1984, p. 10, n° 38), qui considère qu’il s’agit du mandat où le mandaté et le mandataire sont tous deux intéressés à l’acte juridique qui en fait l’objet. L’intérêt au mandat lui-même est indifférent.

La question se pose dès lors de savoir, pour le tribunal, si l’hôpital agit avec la qualité requise au sens de l’article 17 du Code judiciaire, c’est-à-dire s’il a le pouvoir d’exercer l’action en justice. Selon G. DE LEVAL et H. BOULARBAH (G. DE LEVAL et H. BOULARBAH, « Chapitre I – L’action en justice », Droit judiciaire, Tome II, Vol. I, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 260), c’est généralement le titulaire du droit substantiel qui le met en œuvre via l’action judiciaire. Lorsqu’il n’existe pas de correspondance entre l’intérêt et la qualité, cette dernière est une condition autonome à l’action, s’agissant d’une mise en œuvre des droits d’autrui. Le demandeur doit alors établir qu’il est juridiquement qualifié pour agir en justice, étant qu’il doit démontrer une habilitation légale, judiciaire ou conventionnelle.

En l’espèce, il y a habilitation conventionnelle, à savoir le contrat de mandat d’intérêt commun.

Or, l’objet de la demande relève d’un droit attaché à la personne, l’hôpital ne disposant quant à lui pas à titre personnel d’un droit à l’aide médicale urgente.

Le tribunal pose dès lors la question de savoir si la qualité de mandataire de celui qui prétend à l’aide sociale est suffisante pour justifier d’une qualité à agir en justice, s’agissant d’obtenir la réformation d’une décision d’aide sociale prise par le C.P.A.S. Il répond par la négative, estimant que raisonner autrement reviendrait à réduire l’aide sociale à un droit de nature essentiellement pécuniaire sans considération pour l’objectif de cette aide, qui est de permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Il renvoie encore à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 29 septembre 2008, n° C.07.0101.F), celle-ci y ayant rappelé qu’aux termes de l’article 1166 C. civ., les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne, et que le droit à l’aide sociale est un tel droit, ne pouvant, partant, faire l’objet d’une action oblique. Seule la personne dont la dignité humaine est protégée a le droit à l’aide sociale et ses créanciers ne peuvent exercer ses droits et actions en vue d’obtenir cette aide.

Le tribunal rappelle que les faits à la base de cet arrêt concernaient également une action mue par un centre hospitalier contre un C.P.A.S. à propos de factures de soins prodigués à un patient a priori indigent. Le mandat d’intérêt commun est à analyser comme une action oblique déguisée mue par l’hôpital en sa qualité de créancier de son patient.

Le tribunal examine également la question sous l’angle du pouvoir de représentation (article 728 C.J. – dont il rappelle les termes). Celui-ci fait obligation (sauf les exceptions qu’il prévoit en ses §§ 2 et 3 et à d’autres dispositions légales) à la personne titulaire du droit substantiel de comparaître en personne ou par avocat, nonobstant le mandat conventionnel de représentation ad agendum qu’elle aurait pu accorder à un tiers.

Il souligne encore l’existence d’un conflit d’intérêt manifeste dans le chef de l’hôpital, qui endosse à la fois la casquette du créancier du patient mais également celle de mandataire judiciaire de son débiteur, situation que le législateur a précisément souhaité éviter.

Enfin, il souligne la faiblesse de l’action ainsi introduite, la partie concernée par la décision n’étant pas à la cause et ne pouvant ainsi fournir d’informations sur sa situation. Il rappelle sur ce dernier point qu’il appartient au mandataire d’établir l’état de besoin né et actuel quant aux arriérés d’aide sociale et non au C.P.A.S.

Intérêt de la décision

Il est fréquent, actuellement, de voir des institutions hospitalières agir pour compte d’un de leurs patients, sur la base d’un mandat tel que celui en l’espèce. Le tribunal a d’ailleurs relevé dans ses développements que ce type d’action est plus fréquent devant les juridictions bruxelloises, où la recevabilité ne serait pas contestée.

C’est cependant à ce stade que l’examen du dossier s’arrête en l’espèce, le tribunal ayant renvoyé à la jurisprudence de la Cour de cassation (l’arrêt du 29 septembre 2008 ci-dessus) rendu à propos de l’article 1166 du Code civil.

Les créanciers, qui peuvent en principe exercer tous les droits et actions de leur débiteur, ne le peuvent cependant pas pour ce qui est des droits et actions exclusivement attachés à la personne. L’aide sociale figure en bonne place parmi ceci et la Cour enseigne dans cet arrêt qu’elle ne peut faire l’objet d’une action oblique. Le motif essentiel est que seule la personne dont la dignité humaine est protégée a le droit à cette aide et non ses créanciers.

Le tribunal a à juste titre souligné le conflit d’intérêt (qu’il qualifie de « manifeste ») dans le chef de l’institution hospitalière, qui est à la fois créancière du patient et, également, mandataire judiciaire de son débiteur.

L’absence de mise à la cause de la personne présente encore des difficultés d’examen de la demande quant au fond, une des conditions d’octroi de l’aide médicale urgente étant la preuve de l’état de besoin. Ce n’est pas, comme le précise le tribunal, au C.P.A.S. d’apporter une preuve à cet égard (qui serait d’établir que la personne ne serait pas dans l’état de besoin) mais au demandeur en justice à établir cette condition d’octroi.


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