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Poursuite d’études de plein exercice en l’absence d’autorisation du FOREm : conséquences

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 14 novembre 2022, R.G. 2021/AL/535

Mis en ligne le jeudi 3 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 14 novembre 2022, R.G. 2021/AL/535

Terra Laboris

A l’occasion d’une reprise d’études de plein exercice, la Cour du travail de Liège (division Liège), par arrêt du 14 novembre 2022, examine les obligations d’information respectives du FOREm et de l’organisme de paiement.

Les faits

M. S., né en 1990, a terminé avec fruit un bachelier en comptabilité le 15 septembre 2013 et a bénéficié d’allocations d’insertion à dater de septembre 2014.

Souhaitant reprendre un bachelier en assistant social, il a demandé une dispense au FOREm le 16 septembre 2016, demande refusée par décision du 11 octobre 2016 au motif qu’il disposait déjà d’un diplôme équivalent ou supérieur à celui des études qu’il souhaitait suivre.

Il n’a pas introduit de recours contre cette décision.

Il a néanmoins entamé ces études de plein exercice, les cours se donnant en journée, tout en percevant les allocations d’insertion. Il a tenté, en vain, d’obtenir du FOREm qu’il revienne sur sa décision et n’a pas introduit de recours contre une seconde décision négative, du 15 décembre 2016.

Lors d’une évaluation de ses recherches d’emploi, qui s’est avérée négative, il a déclaré le 16 mars 2017 au FOREm poursuivre ses études.

Une nouvelle demande de dispense a été introduite le 20 septembre 2017 et a fait l’objet d’un nouveau refus le 28 septembre, refus qui n’a pas été contesté. M. S. a, le 30 septembre 2017, déclaré au FOREm que, nonobstant ce refus, il allait poursuivre ses études tout en continuant sa recherche d’emploi. Il a réitéré cette déclaration au cours d’un entretien du 19 octobre 2017, à l’issue duquel ses efforts de recherche d’emploi ont été jugés suffisants.

La dernière demande de dispense a été introduite le 6 septembre 2018 et une décision négative expliquant expressément les conséquences du refus et la possibilité d’un recours a encore suivi.

Le 25 juin 2019, intervient une nouvelle évaluation positive de recherche d’emploi. M. S. achève à cette date ses études avec distinction et obtient un emploi au C.P.A.S. dès le 24 juillet 2019.

En septembre 2019, l’ONEm s’est aperçu que M. S. avait continué ses études malgré les refus, l’a convoqué, puis a décidé le 14 octobre 2019 de l’exclure du droit aux allocations du 1er septembre 2016 au 31 août 2019, de récupérer les allocations perçues indûment à partir du 1er octobre 2016 et de l’exclure des allocations pour treize semaines à partir du 21 octobre 2019.

M. S. a contesté cette décision devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). L’ONEm a réclamé un titre exécutoire. L’auditorat du travail a mis le FOREm et la CSC-organisme de paiement à la cause.

La CSC n’a pas comparu devant le tribunal.

Par jugement du 12 octobre 2021, le tribunal a déclaré le recours recevable mais non fondé à l’égard de l’ONEm. Il a mis le FOREm et l’organisme de paiement hors cause, faute de demande formulée contre eux. Il a accordé un titre exécutoire à l’ONEm.

M. S. a interjeté appel de ce jugement.

La décision de la cour

L’arrêt analysé statue par défaut contre la CSC.

Sur l’appel dirigé contre l’ONEm, il décide :

1. Sur l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage : M.S. a, à quatre reprises, choisi de passer outre le refus de dispense et il est indifférent que ce dernier ait, comme il le soutient, été induit en erreur par le FOREm, une éventuelle faute de cet organisme n’étant pas de nature à faire naître un droit aux allocations de chômage si les conditions d’octroi ne sont pas réunies.

2. Sur la récupération : le chômeur n’établit pas sa bonne foi, s’analysant comme l’absence légitime de conscience du caractère indu du paiement, sans qu’il y ait lieu de rechercher un cas de force majeure, l’arrêt citant H. MORMONT (H. MORMONT, « La révision des décisions et la récupération des allocations », La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, pp. 680 et s.). En effet, M. S. était suffisamment informé qu’il devait demander une dispense, demande renouvelée à trois reprises. Il a donc dû percevoir les conséquences du refus de dispense. En outre, il ne démontre pas qu’un collaborateur du FOREm lui aurait précisé que, tant qu’il maintiendrait sa recherche active d’emploi, sa reprise d’études ne poserait pas de problème.

3. Sur la sanction administrative de treize semaines : le jugement dont appel est réformé, la sanction étant ramenée à un simple avertissement, la cour relevant que, M. S. voyant la voie sans issue dans laquelle ses études l’ont mené, il a décidé de reprendre une formation, l’a signalé en toute transparence au FOREm, a réussi ses études en trois ans et a trouvé immédiatement un emploi.

Sur l’appel dirigé contre le FOREm, l’arrêt admet qu’il est certain que cet organisme a eu connaissance des études entreprises par M. S. et que l’on peut concevoir qu’il « ait perçu la CSC, le FOREm et l’ONEm comme participant du même magma des institutions compétentes en matière de chômage ». Mais il n’en reste pas moins que « leurs rôles sont différents ».

Le rôle du FOREm est, en vertu de l’article 36/4 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, d’informer le jeune travailleur sur ses droits et devoirs relatifs à son inscription comme demandeur d’emploi et sur la procédure de contrôle de la disponibilité active qui sera appliquée pendant le stage d’insertion professionnelle. Il ne relève donc pas de ses compétences de le conseiller sur son droit aux allocations.

En n’informant pas M. S. des conséquences de son choix de poursuivre des études malgré les refus de dispense, le FOREm n’a donc commis aucune faute en lien causal avec son dommage, en sorte que le chômeur est débouté de son action en responsabilité contre cet organisme.

Sur l’appel dirigé contre l’organisme de paiement, l’arrêt analysé retient qu’en vertu de l’article 24, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, il appartient aux organismes de paiement de conseiller gratuitement le travailleur et de lui fournir toutes informations utiles concernant ses droits et ses devoirs à l’égard de l’assurance chômage. Selon le § 2 de cet article 24, ces organismes ont pour mission notamment d’introduire le dossier du travailleur au bureau de chômage et de payer le chômeur en se conformant aux dispositions légales et réglementaires. L’obligation d’information de l’ONEm n’est que résiduaire.

Or, la CSC était à la fois l’organisme par le biais duquel la demande de dispense a été introduite et celui qui paie les allocations. Au plus tard le 20 septembre 2017, lorsque la deuxième demande de dispense a été introduite, avec la précision qu’elle portait sur la deuxième année de bachelier, la CSC aurait dû se rendre compte que M. S. avait poursuivi ses études malgré le refus de dispense et lui expliquer qu’il devait choisir entre les allocations et les études.

La CSC n’étant pas présente pour faire valoir d’éventuelles mises en garde, la cour du travail décide qu’en « s’abstenant de prendre les mesures imposées par ce recoupement, l’organisme de paiement a commis une faute ».

Toutefois, l’arrêt décide que M. S. ne démontre pas que la perception indue d’allocations serait en lien causal avec cette faute. Il retient notamment que, même après avoir été informé des conséquences du refus sur son droit aux allocations après la troisième demande, celui-ci a poursuivi ses études.

On pourrait, pour la cour du travail, concevoir un dommage moral en lien avec l’obligation de rembourser l’indu et la procédure judiciaire, mais M. S. ne fait pas valoir ce type de dommage. Il est donc également débouté de son action contre l’organisme de paiement.

Sur les dépens, l’arrêt retient que la partie du litige qui ne concerne pas l’ONEm ne relève d’aucune disposition visée par l’article 1017, alinéa 2, C.J., n’étant pas un litige de sécurité sociale mais une action en responsabilité. Il y a donc lieu de liquider les dépens sur la base de l’article 1017, alinéa 1er, C.J.

Le FOREm réclame l’indemnité de procédure de base pour le montant du litige (entre 20.000 et 40.000 euros). La cour n’étant pas saisie d’une demande de réduction de cette indemnité, elle condamne M. S. à payer ce montant.

Intérêt de la décision

S’agissant des demandes successives de dispense, dans la version de l’article 93 de l’arrêté royal organique qui n’a pas été modifié suite à la sixième réforme de l’Etat – qui a transféré la compétence en matière de dispense de l’ONEm aux services régionaux de l’emploi –, c’est l’ONEm qui est compétent pour statuer mais il peut demander l’avis du FOREm. Cette précision n’a toutefois pas d’incidence en l’espèce.

L’initiative prise par l’auditorat du travail de mettre à la cause le FOREm et la CSC-organisme de paiement a permis aux juridictions du travail de préciser les obligations respectives d’information des trois organismes que M. S., comme l’arrêt le retient, a pu percevoir comme « participant du même magma des institutions compétentes en matière de chômage ».

Ainsi que le retient l’arrêt commenté, le FOREm doit informer le jeune travailleur sur ses droits et devoirs relatifs à son inscription comme demandeur d’emploi et sur la procédure de contrôle de sa disponibilité active. D’après l’exposé des faits et antécédents de la cause, il semble que ce soit dans le cadre de cette procédure que M. S. a plaidé sa cause, étant le bien fondé de sa demande de dispense. Le FOREm n’avait aucune obligation de l’informer des conséquences de son choix de suivre des études pour lesquelles il n’avait pas reçu de dispense.

Concernant l’organisme de paiement, l’arrêt est intéressant en ce qu’il précise qu’il disposait, lors de la deuxième demande de dispense, des renseignements nécessaires pour donner à M. S. les informations utiles pour lui permettre de faire un choix. Mais cette faute est sans lien causal avec le dommage résultant de l’obligation de rembourser les allocations.

Enfin, sur les dépens, l’intérêt de l’arrêt consiste dans la condamnation de M. S. à payer une indemnité de procédure au FOREm. Ce n’est pas le chômeur qui l’a mis à la cause, mais il a invoqué sa responsabilité et succombe dans cette action.


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