Terralaboris asbl

Droit passerelle et période de COVID-19

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 20 décembre 2022, R.G. 2022/AN/71

Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023


C. trav. Liège (div. Namur), 20 décembre 2022, R.G. 2022/AN/71

Dans un arrêt du 20 décembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend l’évolution des mesures adoptées au cours de la crise sanitaire liée à la propagation du COVID-19 ainsi que leur incidence sur le droit aux mesures de soutien dans le cadre du droit passerelle pour travailleurs indépendants.

Les faits

Un menuisier bénéficie du droit passerelle dans le cadre de la crise sanitaire liée au COVID-19 pour cinq mois en 2020 et, ultérieurement encore, en 2021. En novembre 2020, sa caisse d’assurances sociales lui notifie une décision par laquelle il lui est signalé qu’il ne peut bénéficier du droit passerelle de soutien à la reprise pour une partie du second semestre 2020, et ce vu des motifs liés à son secteur d’activité, qui n’entre pas en ligne de compte pour la mesure temporaire de droit passerelle, vu qu’il n’a pas été contraint d’interrompre ses activités par ordre du Gouvernement et qu’il ne peut invoquer un lien direct avec un secteur l’ayant été. Une seconde décision est notifiée, en novembre 2020 également. Elle a un contenu similaire.

Un recours est introduit par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur). Le demandeur précise que son activité a été fort touchée par la crise sanitaire et les restrictions en termes de contacts (étant précisé qu’il a perdu une part substantielle de ses contrats vu qu’il travaille chez des particuliers). Il souligne qu’il a bénéficié du droit passerelle pour une première période (pour laquelle le critère retenu était la perte de travail pendant sept jours consécutifs) et qu’il avait perdu au moins 10% de ses revenus pour la période de septembre à décembre 2020.

Les décisions du tribunal

Le tribunal rend deux jugements.

Le premier porte sur la recevabilité de l’affaire et ordonne une réouverture des débats. Il retient, sur la demande elle-même, qu’il s’agit du droit passerelle de soutien à la reprise au sens de l’article 4ter de la loi et que cette disposition vise notamment l’activité « limitée » par les mesures prises pour enrayer la propagation du virus, quasiment toutes les professions étant concernées. Il invite l’intéressé à démontrer qu’il remplissait bien les conditions de cette disposition.

Dans un second jugement du 7 mars 2022, le tribunal fait droit à la demande.

Appel est interjeté par la caisse.

Position des parties devant la cour

La caisse sollicite la réformation partielle des deux jugements, maintenant sa position selon laquelle le recours contre la décision de refus de l’allocation du droit passerelle de crise de soutien à la reprise doit être déclaré non fondé.

Quant à l’intéressé, qui ne forme pas d’appel incident, il renvoie, sur le fond, à la réduction de son activité (diminution du chiffre d’affaires liée au refus de clients qu’il travaille chez eux et à l’absence de contact avec de nouveaux clients), précisant également que son activité s’apparente au secteur de la construction.

La décision de la cour

La cour examine très longuement les dispositions de la loi du 22 décembre 2016 instaurant un droit passerelle en faveur des travailleurs indépendants, qui a fait l’objet d’un assouplissement temporaire pendant la crise sanitaire liée au COVID-19, notamment par la loi du 23 mars 2020, dont elle souligne que le contenu (en ce compris les critères pris en compte pour l’octroi des prestations financières) a évolué au fil de l’évolution de la crise elle-même.

Elle passe en revue les dispositions adoptées relatives à l’application dans le temps des mesures. Est en cause la période de septembre à décembre 2020. La cour examine si la situation de l’intéressé est à rattacher à l’article 4bis, 4ter ou 4quater. Celui-ci a en effet donné des explications sur ses conditions de travail pendant la période concernée, précisant avoir bénéficié de la mesure de mars à juillet 2020 ainsi qu’à partir de janvier 2021, mais s’être vu refuser le droit aux interventions légales entre septembre et décembre 2020 alors que « pour [lui] rien n’a[vait] changé ! ». Il insiste sur le type de clientèle pour qui il travaille, soulignant sa méfiance, le fait que, à l’époque, elle devait respecter les règles de « bulle familiale » et qu’elle aurait dû accepter un corps de métier pendant plusieurs jours pour effectuer des travaux, celui-ci passant par ailleurs de maison en maison !

Pour la cour du travail, l’article 4quater de la loi n’est pas applicable, dans la mesure où il vise les indépendants ayant été forcés d’interrompre totalement ou partiellement leur activité, telle que visée par l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020 (ou par une mesure ultérieure).

Il en va de même de l’article 4bis, § 2, qui concerne l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 (ou toute mesure ultérieure).

Elle examine dès lors si la situation peut rentrer dans les conditions de l’article 4ter, § 1er, qui vise les travailleurs qui ont pu à nouveau recommencer leur activité suite à la levée des restrictions ou l’interdiction de leur activité, conformément à l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 (ou toute mesure ultérieure). Elle renvoie à l’arrêté royal du 26 juin 2020 à cet égard, qui a prévu notamment d’instaurer une mesure temporaire de droit passerelle de soutien à la reprise (1.291,69 euros ou 1.614,10 euros si charge de famille) pour soutenir, pour les mois de juin, juillet et août 2020, le redémarrage de certains secteurs objectivement ciblés. Des conditions cumulatives sont énumérées, touchant notamment des secteurs ayant fait l’objet de mesures de fermeture (secteurs énumérés). La cour souligne, après le rappel du Rapport au Roi, qu’il s’est agi de soutenir les secteurs d’activité ayant fait l’objet d’une fermeture ou d’une limitation spécifique.

Elle renvoie encore à la doctrine (N. DE GROOT, « Prolongation des mesures Corona pour les travailleurs indépendants », Indic. Soc., 2020, liv. 13, p. 19), qui a rappelé que le soutien à la reprise ne visait que certains secteurs d’activité limités, secteurs qu’elle énumère, tout en précisant que le contrôle se fait à l’aide des codes Nacebel indiqués dans la Banque-Carrefour des Entreprises.

En l’espèce, l’intéressé n’établit pas que son activité était visée, ayant précisé lui-même qu’il n’était pas dans un secteur ayant été contraint de fermer. La cour constate également qu’il n’avance pas avoir été soumis à d’autres limitations que celle de la distanciation sociale et qu’elle ne peut que constater que les règles applicables ont varié au fil du temps et que, pour la période litigieuse, il ne démontre pas satisfaire aux conditions légales pour pouvoir prétendre à un droit-passerelle.

Elle fait dès lors droit à l’appel et réforme le jugement, qui a – à tort – fait application de l’article 4ter de la loi du 23 mars 2020.

Intérêt de la décision

Les mesures de soutien aux indépendants ont été modifiées, à l’occasion de la crise liée au COVID-19, par des dispositions successives. Il serait fastidieux de les reprendre ici, la cour ayant dans son arrêt analysé l’évolution des textes et détaillé les critères pris en compte pour l’octroi de la prestation financière.

L’atteinte à l’activité professionnelle de l’intéressé a, ainsi, pu être constatée pour une période déterminée. L’évolution des textes a fait cependant que les conditions légales n’étaient plus remplies pour le second semestre 2020 (même si le soutien a pu être repris à partir de janvier 2021). La cour souligne le caractère restrictif des mesures de soutien à l’époque, étant que seuls certains secteurs ont été visés et que les mesures prises dans le cadre de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020 concernaient les indépendants ayant été « forcés d’interrompre » totalement ou partiellement leur activité indépendante – en raison du fait que celle-ci était visée par ledit arrêté royal.

En l’espèce, le demandeur a fait valoir les effets néfastes du confinement sur ses conditions d’exercice, celles-ci n’étant cependant pas de nature à être couvertes à l’époque par les mesures de soutient dans le cadre du droit passerelle, les règles applicables ayant varié au fil du temps.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be