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Limitation dans le temps de la période d’octroi des allocations d’insertion : délai de recours, contrôle de constitutionnalité et conséquences de la radiation automatique de l’inscription comme demandeurs d’emploi des chômeurs concernés.

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 septembre 2022, R.G. 2021/AL/547

Mis en ligne le mardi 14 novembre 2023


C. trav. Liège (div. Liège), 26 septembre 2022, R.G. 2021/AL/547

Nous commentons l’arrêt rendu le 26 septembre 2022 par la Cour du travail de Liège (division Liège) en cause de l’ONEm contre Mme C. (R.G. 2021/AL/547), tout en précisant que cette chambre a rendu le 26 septembre 2022, dans le même sens, onze autres arrêts (R.G. 2021/AL/440, 2021/AL/539, 2021/AL/540, 2021/AL/545, 2021/AL/546, 2021/AL/558, 2021/AL/577, 2021/AL/578, 2021/AL/579, 2021/AL/580 et 2021/AL/581).

Les faits de la cause

Les faits de la cause sont très brièvement exposés par l’arrêt commenté : Madame C., née en 1993, a été admise au bénéfice des allocations dites alors « d’attente », et devenues allocations « d’insertion » à la suite de l’entrée en vigueur le 1er janvier 2012 de l’arrêté royal du 28 décembre 2011, sur base des études à partir du 18 mai 2012.

A la suite d’une occupation salariée, son droit aux allocations d’insertion a été prolongé jusqu’au 29 juin 2015, étant précisé qu’elle a en réalité cessé de percevoir celles-ci à partir du 4 août 2014 en raison d’une sanction basée sur l’article 59quater de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Une décision que l’ONEm date du 28 juin 2015 constate la fin de son droit aux allocations d’insertion. Celles-ci ont cessé de lui être versées à compter du 29 juin.

Mme C. a introduit le 14 novembre 2016 un recours devant le Tribunal du travail de Liège contre cette fin de droit.

Par jugement du 14 octobre 2021, la 8e chambre du tribunal (R.G. n° 16/6.655/A) a dit le recours recevable et fondé et a condamné l’ONEm à octroyer à Madame C. les allocations d’insertion à partir du 29 juin 2015 et tant qu’elle continue à remplir les conditions d’octroi des allocations (sans que l’ONEm ne puisse considérer a posteriori que la période d’interruption consécutive à sa décision soit reprochable à Madame C.).

Les questions litigieuses

  • La recevabilité du recours devant le tribunal du travail, introduit le 14 novembre 2016 alors que la décision de l’ONEm date du 28 juin 2015 et que les allocations ont cessé d’être versées à Mme C. à compter du 29 juin ;
  • La pertinence de l’urgence invoquée pour solliciter l’avis du Conseil d’Etat sur le projet d’arrêté royal dans le délai réduit de cinq jours ;
  • La contrariété de la nouvelle mouture de l’article 63, § 2, à l’obligation de standstill consacrée par l’article 23 de la Constitution, en sorte qu’en vertu de l’article 159 de ce texte, elle doit être écartée au profit de la disposition la précédant directement, qui ne limitait pas dans le temps le droit aux allocations d’insertion ;
  • En cas de réponse affirmative, la possibilité pour Mme C. d’être rétablie dans son droit aux allocations d’insertion. En effet, le service régional de l’emploi compétent a procédé à la radiation d’office de son inscription comme demandeur d’emploi. La chômeuse ne remplit donc pas la condition d’être et de rester inscrite comme demandeur d’emploi prévue par l’article 58 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

1. Sur la recevabilité des recours

L’ONEm soutenait que les décisions prises sur la base de l’article 63, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 n’étaient, en vertu de l’article 63, § 5, pas des décisions de refus et ne devaient donc pas faire l’objet d’une notification individuelle. Il invitait donc la cour du travail à prendre comme point de départ du délai de recours de trois mois la prise de connaissance par l’assuré social de la décision qu’il situait à la date de la fin des versements, soit le 29 juin 2015. Le recours introduit le 14 novembre 2016 était, partant, tardif.

Comme les premiers juges, la cour du travail, sur avis conforme du ministère public, écarte ce moyen au motif que le contrôle incident de légalité qu’impose l’article 159 de la Constitution est prévu de manière permanente.

2. Sur la motivation de l’urgence

Sur avis conforme du Ministère public, la cour du travail décide que l’arrêté royal du 30 décembre 2011 n’est pas entaché d’illégalité formelle.

3. Sur l’obligation de standstill

Le Ministère public concluait qu’il n’était pas contestable que la mesure litigieuse entraînait un recul sensible du niveau de protection offert par l’assurance chômage. Mais il considérait que cette mesure n’était, lorsqu’elle a été prise, pas manifestement disproportionnée par rapport aux buts poursuivis, aux motifs notamment que :

  • la réforme en cause s’inscrit dans une réflexion large sur la manière d’atteindre les objectifs que les autorités se sont fixés ; l’auteur de cette réforme a expliqué pourquoi la mesure était appropriée et nécessaire et en a corrigé les effets lorsque ceux-ci lui apparaissaient disproportionnés ; ainsi, par une modification réglementaire postérieure à l’arrêté royal litigieux – dont il doit être tenu compte –, le droit aux allocations a été maintenu pour certaines catégories de chômeurs fragilisées ou éloignées du marché du travail ;
  • la limitation dans le temps doit être combinée avec un suivi plus strict du comportement de recherche d’emploi ainsi qu’un accompagnement individualisé organisé par les entités fédérées et diverses mesures destinées à encourager l’embauche des jeunes. Cette mesure pouvait ainsi être considérée comme susceptible de contribuer à atteindre les objectifs de lutte contre le chômage chez les bénéficiaires de cette allocation et de réduction des dépenses publiques ;
  • en outre, des modifications sont intervenues depuis lors dans la réglementation et des mesures ont été prises par les entités fédérées. Aucun élément ne permet donc de considérer a posteriori que la mesure entraîne des effets disproportionnés (pp. 11 et 12).

L’arrêt analysé rappelle tout d’abord les textes et principes applicables (pp. 13 à 16) :

« L’article 23 de la Constitution implique, en matière de droit à la sécurité sociale et de droit à l’aide sociale, une obligation de standstill qui s’oppose à ce que le législateur et l’autorité réglementaire compétents réduisent sensiblement le niveau de protection offert par la norme applicable sans qu’existent pour ce faire des motifs liés à l’intérêt général ». Cette disposition « s’applique aux allocations d’insertion, prestations non contributives prévues sur la base des études par l’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage ». Avant la modification litigieuse, celles-ci n’étaient pas limitées dans le temps. Elles le sont par l’effet de cette modification.

Pour déterminer si la modification réglementaire en cause respecte le principe de standstill, il convient de vérifier (i) si la mesure entraîne un recul du niveau de protection sociale sensible ou significatif par rapport à l’état du droit immédiatement antérieur, (ii) si ce recul est justifié par des motifs liés à l’intérêt général, c’est-à-dire s’il est approprié et nécessaire à la réalisation de ces motifs et (iii) si ce recul est proportionné à ces motifs.

S’agissant d’établir l’existence ou non d’un recul significatif, le raisonnement à opérer est relatif : la régression sera telle dans la mesure où elle s’applique au demandeur en justice, sans qu’elle emporte nécessairement un recul général du niveau de protection pour toutes les personnes concernées par la réforme (l’arrêt citant en ce sens D. DUMONT, « Le principe de standstill comme instrument de rationalisation du processus législatif en matière sociale – Un plaidoyer illustré (Première partie) », J.T., 2019, p. 605). En revanche, les motifs d’intérêt général qui doivent justifier la mesure de recul ne peuvent reposer que « sur une évaluation collective, globale (analyse économique, statistique, mathématique, théorique, prévisionnelle…) des effets de la mesure », de sorte que « la mission dévolue au juge, s’agissant de cette appréciation, est d’opérer, en termes généraux et abstraits, un contrôle de la constitutionnalité du travail législatif ou réglementaire. »

La cour du travail précise que le contrôle qu’exercent les juridictions du travail n’est pas un contrôle d’opportunité et que son intensité variera selon le caractère étayé et convaincant des explications fournies par l’auteur de la réforme.

S’agissant de la charge de la preuve, elle est répartie entre le demandeur et l’autorité : il appartient au premier de démontrer un recul significatif du niveau de protection, tandis qu’il incombe à la seconde de démontrer que la régression est justifiée par des motifs liés à l’intérêt général (la cour citant C. trav. Bruxelles, 11 septembre 2019, R.G. n° 2016/AB/651 et 2016/AB/661 et C. trav. Bruxelles, 17 juin 2020, R.G. n° 2019/AB/255).

La cour ajoute que : « En cas de doute quant à savoir si l’auteur de la norme a suffisamment pris en compte l’obligation de standstill au moment de l’adoption de la mesure, les règles de la charge de la preuve en feront bénéficier le demandeur » (citant les conclusions du Ministère public avant Cass., 14 septembre 2020, n° S.18.0012.F, C. trav. Liège, 25 mars 2019, R.G. n° 2017/AL/441, C. trav. Bruxelles, 20 février 2019, R.G. n° 2017/AB/479, C. trav. Liège (div. Namur), 6 novembre 2018, J.T.T., 2019, p. 138 et D. DUMONT, « Le principe de standstill comme instrument de rationalisation du processus législatif en matière sociale – Un plaidoyer illustré (Première partie) », J.T., 2019, p. 606).

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour du travail retient, sur la condition du caractère sensible ou significatif du recul de la protection sociale (p. 16) que : « La limitation dans le temps des allocations d’insertion constitue un recul du degré de protection dans le chef de Madame C., puisque ce droit aux allocations d’insertion, accordé auparavant sans limites de temps, se voit à présent limité à une période de 36 mois. Ce recul est significatif, puisqu’il entraîne au terme de cette période la suppression, sans aucune mesure compensatoire, des allocations d’insertion. Tel est le cas pour Madame C., la réforme ayant mis fin au droit de celle-ci aux allocations d’insertion à compter du 28 juin 2015. »

Elle examine ensuite si ce recul est justifié par des motifs liés à l’intérêt général et y répond négativement. Elle relève que l’arrêté royal n’est précédé d’aucun rapport au Roi. Quant aux motifs invoqués pour justifier l’urgence d’obtenir l’avis du Conseil d’Etat, étant les objectifs du gouvernement d’arriver à un taux d’emploi de 73,2% en 2020, l’insertion des jeunes sur le marché du travail et les efforts budgétaires que doit accomplir la Belgique, la cour du travail, se référant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 (n° S.18.0012.F), retient que ces objectifs généraux, sans précision ni vérification ultérieure, ne sont pas suffisants. Il en est de même de l’intervention possible du C.P.A.S. Il ressort également de cet arrêt que la justification doit être apportée en ce qui concerne la catégorie de chômeurs examinée. Contrairement à ce que soutient l’ONEm, la Cour n’est pas revenue sur cette jurisprudence mais l’a au contraire confirmée dans un arrêt du 19 avril 2021 (n° S.20.0068.F).

Quant aux objectifs de relance du taux de l’emploi et d’insertion des jeunes, la cour relève que l’ONEm ne produit à l’appui de cette argumentation aucun document émanant de l’auteur de la norme. Il produit différents rapports annuels établis par lui-même et postérieurs à l’adoption de l’arrêté royal litigieux. En outre, les documents produits par l’ONEm, les chiffres et les commentaires qu’il en fait, ne répondent pas à la question de savoir en quoi la mise en place d’un délai de trois ans qui met fin à tout mode d’accompagnement par le fait même de son écoulement constituerait une mesure appropriée pour la catégorie de chômeurs à laquelle appartient Madame C. au regard des objectifs évoqués.

Elle précise que le caractère nécessaire et proportionné au regard des objectifs de relance du taux d’emploi et d’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi n’est pas non plus rapporté par l’ONEm. Celui-ci ne prouve pas que l’auteur de la norme aurait étudié d’autres possibilités de mise en œuvre de sa réforme qui auraient pu avoir un impact moins important en matière de protection sociale sur la catégorie de chômeurs concernés : il ne ressort pas des éléments produits aux débats que l’autorité réglementaire ait vérifié s’il existait « une mesure moins régressive susceptible d’atteindre le même objectif. » 

En ce qui concerne l’objectif budgétaire, l’arrêt commenté souligne que l’ONEm fait état de considérations tout à fait générales et stéréotypées quant aux engagements européens, aux contraintes budgétaires et au contexte de crise économique que connaissaient alors la Belgique et les autres Etats européens. Le même reproche peut également être fait en ce qui concerne les éléments relevés à cet égard en son avis par le ministère public et les chiffres avancés par l’ONEm sur base des rapports annuels émanant de ses services qu’il produit aux débats ne démontrent pas plus l’impact de la seule mesure contrôlée sur le budget des allocations d’insertion ou au regard de la catégorie de chômeurs concernée. En ce sens, la Cour des comptes, dans le rapport produit aux débats par l’ONEm, pose d’ailleurs le constat que : « La réglementation relative à la plupart des mesures budgétaires a été adoptée et mise en œuvre. L’ONEM n’est toutefois pas à même d’en mesurer le rendement individuel, et ce, pour plusieurs raisons. (…).

La Cour des Comptes a également analysé de manière spécifique les allocations d’insertion. Elle a certes retenu une diminution importante des entrées dans le régime des allocations d’insertion mais elle a constaté que l’ONEm ne pouvait pas préciser le rendement individuel de la mesure, cette diminution devant en effet être examinée en tenant compte d’autres éléments.

La cour du travail conclut que l’ONEm ne rapporte pas la preuve que la mesure contrôlée était appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général d’économies budgétaires.

Elle précise également rejoindre la jurisprudence de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 4 août 2020, R.G. 2019/AL/532) ayant considéré que le fait que la mesure litigieuse contienne une mesure transitoire et soit modalisée ne permettait pas d’arriver à une autre conclusion.

L’arrêt confirme donc le jugement ayant refusé, sur la base de l’article 159 de la Constitution, d’appliquer la modification apportée à l’article 63, § 2, de l’arrêté royal organique par l’arrêté royal du 28 décembre 2011.

4. Sur le respect des autres conditions d’octroi (pp. 22 à 24)

En vertu de l’article 152 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, la décision rendue en faveur du chômeur ne peut produire ses effets que pour autant que l’intéressé se soit conformé pendant la période litigieuse aux dispositions de cet arrêté, ce qui comprend la condition d’être et de rester inscrit comme demandeur d’emploi.

A titre subsidiaire, l’ONEm invitait la cour du travail à préciser expressément que Mme C. n’était rétablie dans ses droits aux allocations d’insertion que sous réserve qu’elle remplisse les autres conditions d’octroi des allocations pendant la période litigieuse.

Or, le FOREm avait procédé automatiquement à sa radiation comme demandeur d’emploi à la suite de la réception d’un flux informatique émanant de l’ONEm faisant état d’une période de non-paiement des allocations. L’une des conditions d’octroi des allocations d’insertion, étant, en vertu de l’article 58 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, d’être et de rester inscrit comme demandeur d’emploi, cette absence d’inscription pour toute ou une partie de la période pour laquelle les intéressés entendaient être rétablis dans leur droit pouvait donc s’opposer à ce rétablissement.

L’arrêt analysé se réfère à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles (8e ch.) du 15 septembre 2016 (R.G. 2015/AB/328).

La cour du travail précise dans le dispositif qu’elle confirme le jugement dont appel sous cette émendation que la condamnation à rétablir l’intéressé dans ses droits « l’est sous la réserve du respect des autres conditions d’octroi des allocations d’insertion, sans que l’ONEm puisse considérer a posteriori que la période pendant laquelle (l’intéressé ) a fait l’objet d’une radiation d’office de son inscription comme demandeur d’emploi consécutive à la décision litigieuse lui est reprochable ayant décidé que la précision par cet article 58 que le chômeur ne peut plus bénéficier des allocations à partir du jour où son inscription comme demandeur d’emploi a été radiée d’office par le service régional de l’emploi compétent, « notamment » dans quatre hypothèses qu’il énumère, n’impliquait pas que ce service pourrait « ajouter à son gré aux conditions de la loi d’autres motifs de radiation comme demandeur d’emploi, ce qui permettrait indirectement de priver un chômeur d’allocations pour un motif non prévu dans la réglementation. »

L’arrêt analysé ajoute, en se référant à un arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2018 (n° S.07.0076.F, Chron.D.S., 2009, p.138), que l’ONEm a l’obligation de contrôler le bien- fondé de la radiation par le service régional de l’emploi, qui ne le lie pas.

Il se réfère également à une instruction de l’ONEm selon laquelle : « La radiation de l’inscription comme demandeur d’emploi qui ne résulte pas de l’attitude fautive ou négligente du chômeur, mais bien de la procédure (partiellement) automatisée relative à la gestion des banques de données ne peut pas entraîner la non-indemnisation du chômeur » (circulaire interne n° 311000/058/071/63700A/AM, p. 3).

L’arrêt confirme le jugement dont appel, étant précisé que la période d’interruption dont question au dispositif de celui-ci doit être entendue comme étant la période pendant laquelle Madame C. a fait l’objet d’une radiation d’office de son inscription comme demandeuse d’emploi.

Intérêt de la décision

Les quatre points tranchés par la cour sont importants :

1° Le délai de recours : la cour du travail refuse de le situer à la date de la connaissance par le chômeur de la suppression de ses allocations d’insertion en retenant, comme le ministère public, que « le contrôle incident de légalité qu’impose l’article 159 (de la Constitution) est prévu de manière permanente, même après l’échéance du délai dans lequel le recours spécialement organisé aurait dû être introduit » (pp. 12 et 13).

2° La motivation de l’urgence : nous n’avons pas connaissance de décision judiciaire n’ayant pas considéré celle-ci comme satisfaisante. On peut, pour une analyse de cette question, se référer notamment au jugement de la troisième chambre du Tribunal du travail de Liège (div. Liège) du 10 octobre 2022 (R.G. 16/3.978/A – précédemment commenté).

3° L’obligation de standstill : sur la condition du caractère sensible ou significatif du recul de la protection sociale, la cour du travail précise vérifier si la mesure entraîne un recul du niveau de protection sociale sensible ou significatif par rapport à l’état du droit immédiatement antérieur. S’agissant d’établir l’existence ou non d’un recul significatif, le raisonnement à opérer est relatif : la régression sera telle dans la mesure où elle s’applique au demandeur en justice, sans qu’elle emporte nécessairement un recul général du niveau de protection pour toutes les personnes concernées par la réforme. La limitation dans le temps des allocations d’insertion constitue un recul du degré de protection dans le chef de Madame C., puisque ce droit aux allocations d’insertion, accordé auparavant sans limite de temps, se voit à présent limité à une période de 36 mois. Ce recul est significatif, puisqu’il entraîne au terme de cette période, la suppression, sans aucune mesure compensatoire, des allocations d’insertion. Tel est le cas pour Madame C., la réforme ayant mis fin au droit de celle-ci aux allocations d’insertion à compter du 28 juin 2015 (pp. 14 à 16).

Ce raisonnement sur le caractère significatif du recul a été adopté notamment par la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 11 septembre 2019 (R.G. 2016/AB/651 – également précédemment commenté). Ce caractère significatif était au demeurant admis par l’ONEm, ainsi que le précise cet arrêt.

La question de la preuve du caractère sensible fait néanmoins l’objet de débats, comme en témoigne l’arrêt prononcé par la chambre 2-A de la Cour du travail de Liège (div. Liège) dans un arrêt du 25 avril 2022 (R.G. 2021/AL/542 – également précédemment commenté).

Cet arrêt admet que « en vertu de l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 28 décembre 2011 précité, Mme D. a vu son droit aux allocations d’insertion limité à 36 mois alors qu’il était précédemment illimité. Il ne fait aucun doute que, de façon théorique et abstraite, Mme D. a vu réduire le niveau de protection offert par la réglementation sur les allocations d’insertion par rapport au régime antérieur puisqu’elle en a perdu le bénéfice. Ce constat ne suffit toutefois pas à clore le débat sur le recul sensible qu’elle aurait subi. (…) Il convient de prendre en considération la situation matérielle concrète de la personne exclue du bénéfice des allocations d’insertion. (…) En l’espèce, on ignore quasi tout de la situation concrète de Mme D. : combien percevait-elle au titre d’allocations d’insertion, quelle était sa situation familiale, a-t-elle fait une démarche auprès du C.P.A.S., avec quel résultat, quelles ont été ses ressources propres et celles de sa famille avant et après la suppression des allocations d’insertion, la couverture mutuelliste de la famille a-t-elle été mise en péril... ? Autant de questions qui n’ont pas été abordées alors que ces informations sont nécessaires. »

La démarche de l’arrêt ici commenté nous semble plus conforme à ce que doit être le contrôle du juge appelé à vérifier s’il doit, comme le prévoit l’article 159 de la Constitution, laisser inappliquée une disposition violant l’effet de standstill de son article 23.

Le juge peut certes, et même doit, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité qu’il est amené à exercer, procéder à des distinctions selon la catégorie de chômeur concerné, s’il estime que l’auteur de l’acte, en l’espèce le Roi, aurait dû le faire vu la diversité des situations.

Mais nous ne pensons pas que cette vérification par l’auteur de l’acte devrait aller jusqu’à l’examen de la situation matérielle concrète de chaque bénéficiaire des allocations d’insertion susceptible d’être, à un moment ou un autre, privé desdites allocations. Pourquoi en irait-il autrement de la vérification judiciaire ?

4° Sur les conséquences de la radiation de l’inscription comme demandeur d’emploi consécutive au constat de fin de droit : il était important, après ce long litige, de préciser expressément que, certes, la chômeuse ne pouvait être rétablie dans ses droits qu’à la condition de remplir les conditions d’octroi, mais d’en exclure la condition d’avoir été inscrite comme demandeuse d’emploi. Terra Laboris a publié un jugement en ce sens de la troisième chambre du tribunal du travail de Liège (div. Huy) du 18 février 2022 (R.G. 21/232/A), qui souligne que la personne concernée n’est même pas informée de la radiation et ne peut donc pas prendre des mesures pour y remédier.


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