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Validation de la limitation dans le temps des allocations d’insertion

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 23 février 2023, R.G. 2022/AL/133

Mis en ligne le mardi 14 novembre 2023


C. trav. Liège (div. Liège), 23 février 2023, R.G. 2022/AL/133

Dans un arrêt du 23 février 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) valide la limitation dans le temps des allocations d’insertion pour la catégorie dont relève la chômeuse, âgée de quarante-cinq ans.

Les faits

Sous l’intitulé « Antécédents pertinents », la cour du travail insère des éléments qu’elle considère comme pertinents sur la situation politique et législative en Belgique durant la période visée. Dans la mesure où ces motifs soutiennent sa décision de ne pas écarter l’application de l’article 63, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dans sa version introduite par l’article 9 de l’arrêté royal du 28 décembre 2011, nous les exposerons dans l’examen de la décision sur le fond, étant la question de la violation éventuelle par l’article 9 de l’arrêté royal du 28 décembre 2011, qui a modifié l’article 63 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 en limitant dans le temps le droit aux allocations d’insertion de l’obligation de standstill résultant de l’article 23 de la Constitution.

Mme B. est née en septembre 1969.

Depuis le 29 mai 1989, elle a bénéficié des allocations de chômage sur la base de ses études. Elle prétend avoir travaillé comme serveuse dans une pizzeria, puis pendant une dizaine d’années comme technicienne de surface, sans réussir à ouvrir un droit au chômage complet sur base d’un temps plein. Toutefois, d’après un relevé officiel produit par le ministère public, elle n’aurait jamais travaillé.

Elle a introduit le 14 septembre 2011 auprès de l’ONEm une demande de mesure spécifique liée à une inaptitude au travail, étant le maintien de ses allocations d’insertion pendant deux ans, demande refusée, le médecin-conseil de l’ONEm ne lui ayant pas reconnu une inaptitude au travail d’au moins 33%.

Elle a bénéficié d’indemnités de mutuelle de 2011 (date non précisée) jusqu’au 15 septembre 2015, date à laquelle il a été mis fin à son incapacité. Un recours a été introduit à l’encontre de cette décision. L’arrêt analysé relève que « Selon le jugement ici critiqué, par jugement du 13.5.2019 (non produit) le tribunal du travail a reconnu à Mme B. une incapacité de travail du 15.9.2015 au 15.1.2016 et condamné la mutuelle à l’indemniser pour cette période ».

Le droit aux allocations d’insertion de Mme B. a pris fin le 1er janvier 2015, soit pendant sa période d’incapacité de travail.

Le 10 novembre 2015, elle demande à l’ONEm le bénéfice des allocations d’insertion, ce qui lui est refusé par décision du 17 décembre 2015 notifiée par pli simple.

Elle a été reconnue en incapacité par son organisme assureur à partir du 15 janvier 2016 mais non indemnisée faute d’assurabilité.

Entretemps, elle a été indemnisée par le C.P.A.S. en raison de la fin de droit aux allocations d’insertion.

Mme B. a contesté devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) deux décisions de l’ONEm :

  • La décision prise à une date indéterminée de ne plus l’admettre aux allocations d’insertion au-delà du 31 décembre 2014 ;
  • La décision datée du 17 décembre 2015 de ne pas la réadmettre au 15 septembre 2015.

Par jugement du 10 février 2022, le tribunal a dit le recours recevable et fondé, a écarté, sur la base de l’article 159 de la Constitution, la nouvelle mouture de l’article 63, §§ 2 à 5, a appliqué la version précédente et condamné l’ONEm à octroyer à Mme B. les allocations d’insertion à partir du 15 janvier 2015 et tant qu’elle continuait à remplir les conditions d’octroi des allocations, étant toutefois précisé que l’ONEm ne pourrait considérer a posteriori que la période d’interruption consécutive à sa décision lui soit reprochable tant en matière de suivi d’activation que d’inscription comme demandeur d’emploi.

L’ONEm a formé à l’encontre de cette décision un recours recevable.

La décision de la cour

Sur la recevabilité du recours originaire

En ce qui concerne le refus d’admettre Mme B. au droit aux allocations d’insertion à partir du 1er janvier 2015, la cour décide qu’il s’agit d’une décision d’exclusion au sens de l’article 2 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social, qui devait être notifiée au chômeur en vertu des articles 16 de cette loi et 146, alinéa 4, 1°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il n’est pas contesté qu’aucune décision écrite n’a été notifiée à l’intéressée. Le point de départ du délai ne peut être la date de la prise de connaissance, qu’au demeurant l’ONEm ne prouve pas. Le recours est donc recevable.

Quant au recours contre la décision du 17 décembre 2015, il est également recevable, la notification ayant été effectuée par lettre simple sans que Mme B. ait été suffisamment informée de la teneur de la décision, des possibilités de recours et des délais pour la contester.

Sur le fond et la violation alléguée du principe de standstill

1.
La cour écarte tout d’abord, en donnant de nombreuses références doctrinales et jurisprudentielles, le moyen pris de l’absence de justification de l’urgence invoquée pour obtenir l’avis du Conseil d’Etat dans les cinq jours. Ce point ne justifie pas à notre estime de commentaire.

2.
Sur la violation alléguée du principe de standstill, Mme B. invoquait l’article 23 de la Constitution, l’article 12 de la Charte sociale européenne et les articles 9 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, textes qui sont, souligne l’arrêt, dépourvus d’effet direct mais impliquent cette obligation de standstill.

2.1.
La cour du travail précise tout d’abord le raisonnement qui doit être adopté :

1. Vérifier l’existence, du fait de l’adoption de la norme contrôlée, d’un recul de protection sociale, au sens de l’article 23 de la Constitution ou des textes supranationaux, par rapport à l’état du droit immédiatement antérieur ;

2. Vérifier si ce recul est sensible ou significatif, en termes relatifs et non absolus ;

3. Vérifier si ce recul est justifié par des motifs liés à l’intérêt général, c’est-à-dire s’il est approprié et nécessaire à la réalisation de ces motifs ;

4. Vérifier enfin si ce recul est proportionné à ces motifs.

Sur la question de la justification du recul par des motifs liés à l’intérêt général, l’arrêt relève que ceux-ci ne doivent pas nécessairement résulter du texte lui-même, de son préambule ou de ses travaux préparatoires et peuvent être fournis a posteriori par l’auteur de l’acte mais que, dans ce cas, le contrôle de conformité à l’article 23 de la Constitution devra être plus strict.

Quel que soit le motif lié à l’intérêt général et l’objectif invoqués, les autorités doivent justifier que la mesure adoptée est (i) pertinente par rapport au but qui lui est assigné, (ii) nécessaire pour atteindre ce but, et donc la moins attentatoire aux droits protégés (en d’autres termes, « il lui revient de s’assurer que l’auteur de la mesure a suffisamment envisagé les alternatives possibles et qu’il a pu raisonnablement se résoudre à adopter la mesure litigieuse ») et (iii) proportionnée, son auteur ayant anticipé, « au terme d’une balance des intérêts, les préjudices qui vont en résulter en contrepartie des avantages escomptés ».

L’arrêt précise que ces vérifications doivent être appréciées au moment de l’adoption de la norme (citant notamment D. BARTH, « Le droit constitutionnel à la sécurité sociale : un principe de standstill, et quoi d’autre ? » in Questions choisies en droit de la sécurité sociale, C.U.P., Anthemis, 2021 p. 509). La circonstance que le résultat escompté ne soit pas nécessairement atteint n’énerve pas le fait que celle-ci ait pu paraître appropriée et nécessaire au moment de son adoption. Toutefois, dans un arrêt sur le sujet précis du contrôle de l’article 63, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 au regard de l’obligation de standstill, la Cour de cassation a posé le principe de la vérification ultérieure que la mesure contribue effectivement à ces objectifs d’intérêt général en ce qui concerne la catégorie de chômeurs examinée et que le recul du niveau de la protection de ces chômeurs est proportionné à ces objectifs (citant notamment Cass., 14 septembre 2020, n° S.18.0012.F).

L’arrêt indique que la proportionnalité du niveau de protection doit s’apprécier de manière abstraite et non individuelle.

S’agissant de la charge de la preuve du respect ou de la violation de l’obligation de standstill, l’arrêt retient qu’elle incombe à l’auteur de l’acte ou à la partie qui invoque cet acte. Cette règle traditionnelle au contentieux administratif s’applique également devant les juridictions sociales et il est indifférent que cette question se pose à l’occasion d’un litige en matière de prestations de sécurité sociale (citant notamment H. MORMONT, « La charge de la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale », R.D.S., 2013/2, pp. 369 et 393 et les références citées).

La cour rappelle enfin qu’il est indifférent que le litige porte sur une prestation non-contributive, se référant à nouveau à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 précité.

2.2.
L’arrêt analysé aborde ensuite le cas d’espèce.

La cour décide qu’il y a incontestablement un recul et, s’agissant du caractère sensible de celui-ci, après avoir relevé que l’ONEm ne le conteste pas, elle l’admet sans plus de développements.

Quant aux motifs liés à l’intérêt général, l’arrêt reproduit le préambule de l’arrêté royal litigieux, dont elle déduit que le Roi a poursuivi des objectifs macro-économiques (la mise en place d’un programme de relance de l’emploi, en particulier pour les jeunes) budgétaires très larges définis en coordination avec l’Union européenne. Ces objectifs sont précisés et confirmés par les éléments repris ci-devant dans l’exposé des faits, dont l’accord de Gouvernement du 1er décembre 2011, la note de politique générale du 20 décembre 2011, les différents programmes nationaux de réforme (P.N.R.), les lignes directives européennes, les rapports annuels de l’ONEm, etc.

Ces deux objectifs relèvent de l’intérêt général.

Les motivations étant formulées de manière suffisamment précise, le contrôle de la cour doit se limiter à un contrôle marginal.

L’arrêt examine ensuite si ce recul est approprié et nécessaire à la réalisation de ces motifs et décide que l’ONEm avance en l’espèce des explications détaillées et dépose un dossier de pièces pertinentes, qui prouvent à suffisance que le recul de protection social examiné était raisonnable, approprié et nécessaire. Ces éléments, repris par l’arrêt dans l’exposé des faits, sont :

  • Le « Six-pack », étant un ensemble de cinq règlements européens adoptés le 16 novembre 2011 et d’une directive européenne visant à approfondir la surveillance budgétaire, à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance et à améliorer la coordination des politiques économiques entre les Etats membres de l’Union européenne ;
  • Le Programme national de réforme (P.N.R.) adopté par la Belgique le 15 avril 2011, qui fixe notamment comme objectif d’améliorer le taux d’emploi pour le porter à 73,2% à l’horizon 2020, et en particulier le taux d’emploi des jeunes. Pour atteindre ces objectifs, la Belgique a décidé de prendre des mesures visant sept axes prioritaires, parmi lesquels figurent l’augmentation de la participation des groupes-cibles au marché du travail (notamment les jeunes, les personnes handicapées, les chômeurs de longue durée, les personnes peu qualifiées, etc.) via des mécanismes de subsides réduisant le coût salarial de ces groupes (par exemple, pour les jeunes et les chômeurs de longue durée, le plan « WIN » en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011) et la réforme du système de chômage, qui intègre davantage de procédures de suivi et d’accompagnement des chômeurs ;
  • L’accord de Gouvernement du 1er décembre 2011, qui commence par rappeler que la Belgique s’est engagée, dans son P.N.R., à atteindre un taux d’emploi de 73,2% en 2020, ce qui nécessite d’augmenter de plus de 5% le taux d’emploi de 2011. Il rappelle également que la Belgique « s’est engagée, vis-à-vis des institutions européennes, à faire descendre dès 2012 le déficit de l’ensemble des pouvoirs publics à un niveau de 2,8% du PIB, en vue d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2015 (…). La crise économique et financière de 2008 a laissé des traces profondes auprès des citoyens et des entreprises. L’assainissement des finances publiques est une priorité absolue pour assurer le futur de notre modèle social et notre dynamise économique. Les réformes structurelles proposées sont conçues pour sortir notre pays de la crise, garantir une qualité de vie à l’ensemble des habitants et assurer le futur des jeunes générations ». Cet accord prévoit le transfert d’un certain nombre de compétences en matière d’emploi vers les Régions et, quant aux compétences fédérales, plusieurs moyens pour accroître le taux d’emploi. La réforme de l’assurance chômage comprend plusieurs aspects, l’objectif étant de favoriser la remise au travail tout en évitant un basculement de charge vers les C.P.A.S. ;
  • Les rapports annuels de l’ONEm de 2011, 2012, 2015 et 2016, qui sont accessibles sur son site internet.

L’arrêt analysé conclut que tous ces éléments démontrent que l’Etat fédéral s’est concerté avec les entités fédérées pour déterminer les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre le chômage et les a pressées de prendre des mesures dans le même sens, dans le but que l’Etat belge dans son ensemble atteigne les objectifs qu’il s’est fixés vis-à-vis de l’Union européenne ».

La réforme du régime de chômage est une des mesures censées permettre d’augmenter le taux d’emploi.

Toutes ces réformes pouvaient raisonnablement laisser espérer une insertion professionnelle accrue des bénéficiaires d’allocations d’insertion ainsi que des réductions de dépenses publiques.

L’accomplissement des deux objectifs poursuivis a été concrètement vérifié, ce qui ressort des rapports de l’ONEm de 2015, 2016 et 2018 et du Cahier 2016 de la Cour des Comptes. Ces objectifs « ont même, tout au moins partiellement, été atteints et ce (…), notamment dans la catégorie dont relève Madame B. qui avait au moment de la décision 45 ans ».

Enfin, la cour du travail examine si le recul est proportionné à ces motifs.

Elle relève que le régime des allocations d’insertion est un régime dérogatoire, puisqu’il organise une indemnisation sans cotisations préalables suffisantes et sur une base forfaitaire.

Elle souligne également que les allocations d’insertion, destinées à l’intégration des jeunes travailleurs les moins qualifiés, ne sont pas purement et simplement supprimées mais limitées dans le temps. La durée de trente-six mois n’est pas insignifiante, symbolique ou totalement insuffisante à réaliser ce but d’insertion, d’autant moins que (i) les périodes antérieures au 1er janvier 2012 n’ont pas été prises en compte, cette mesure transitoire contribuant « de manière significative à ne pas donner au recul de protection sociale en question un caractère disproportionné », que (ii) les périodes d’occupation et de travail à temps partiel prolongent la période de trente-six mois et que (iii) dans certaines circonstances qui rendent l’insertion professionnelle plus difficile pour les demandeurs d’emploi ayant des problèmes sérieux, aigus ou chroniques de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique et ceux ayant une inaptitude permanente au travail d’au moins 33%, le bénéficiaire peut obtenir le maintien de son droit deux ans de plus. La cour fait référence à l’article 63bis inséré dans l’arrêté royal organique par l’arrêté royal du 6 mai 2019.

Enfin, il ne peut être fait abstraction de l’existence du dernier filet de sécurité formé par les régimes d’assistance de l’intégration sociale et de l’aide sociale.

La cour conclut que la mesure n’est pas manifestement disproportionnée, au moment de son adoption, pour la catégorie dont relève Mme B., catégorie définie dans la décision par le seul âge de l’intéressée, soit quarante-cinq ans.

L’appel de l’ONEm est donc dit fondé et le jugement réformé.

Intérêt de la décision

L’arrêt est très documenté, notamment sur le contexte macro-économique et politique en Belgique en 2011, les rapports annuels de l’ONEm depuis 2015 ainsi que sur la doctrine et la jurisprudence sur la question de la limitation des allocations d’insertion.

Il reste que les faits de la cause nous interpellent quant à la catégorie sur laquelle l’arrêt indique se fonder pour la vérification de l’effet de standstill, soit celle d’une chômeuse de quarante-cinq ans.

En effet, il ressort des faits de la cause que l’intéressée a perdu le droit aux allocations d’insertion alors qu’elle était depuis 2011 indemnisée par la mutuelle, que cette indemnisation a perduré au moins jusqu’au 15 septembre 2015 et même, selon le premier juge, jusqu’au 15 janvier 2016 et qu’elle a continué à être en incapacité après cette date, mais n’a plus été indemnisée suite à la perte du droit aux allocations d’insertion et a émargé au C.P.A.S.

L’arrêt analysé se réfère (11e feuillet) à un ajustement – jugé nécessaire dès le 14 février 2012 – à la limitation dans le temps des allocations d’insertion. Il cite un document (https://emploi.belgique.be/fr/actualites/reforme-structurelle-de-lemploi-clarifications-et-ajustements) faisant état d’une décision du Conseil des Ministres, après concertation avec les partenaires sociaux, de mettre en œuvre un régime spécifique pour les bénéficiaires des allocations d’insertion très éloignés du marché du travail ayant des problèmes de nature médicale, psychique et/ou psychiatrique.

Un arrêté royal du 28 mars 2014 a remplacé l’article 63, § 2, alinéa 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il introduit dans la réglementation la notion de chômeurs non mobilisables et la procédure à suivre pour permettre la prise en compte de cette catégorie de chômeurs. Est ainsi considéré tel le chômeur ayant des problèmes sérieux, aigus ou chroniques de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique, le cas échéant combiné avec des problèmes sociaux, qui collabore positivement à un trajet approprié organisé ou reconnu par le service de l’emploi compétent.

Mais, pour la mise en œuvre concrète, l’arrêt analysé se réfère à l’arrêté royal du 6 mai 2019 ayant inséré un article 63bis dans la réglementation, disposition postérieure à l’exclusion de Mme B. des allocations d’insertion.

En outre, cet aménagement ne pouvait s’appliquer à une personne qui, comme Mme B., était en incapacité de travail depuis 2011.

Force est de constater que l’arrêt analysé ne tire aucune conséquence concrète de cette incapacité, ce qui lui aurait peut-être permis de procéder à un examen plus précis de la catégorie à laquelle appartenait l’intéressée.

Pour le surplus, plusieurs autres chambres de la Cour du travail de Liège (division Liège) ont abordé cette problématique, certains de ces arrêts ayant déjà été commentés. D’autres méritent une référence.

Ainsi, un arrêt du 2 septembre 2022 de la 2e chambre B (R.G. 2020/AL/281) statue sur le cas d’un jeune travailleur né en 1988 et décide, après avoir examiné les documents invoqués par l’ONEm et le ministère public, que « par rapport à la catégorie des ‘’jeunes’’ chômeurs, visant à tout le moins les chômeurs dont le droit aux allocations d’insertion est né postérieurement à l’entrée en vigueur de la limitation de principe du droit aux allocations d’insertion à une période de 36 mois, (…) la modification réglementaire litigieuse parait constituer une mesure pertinente et proportionnée ». Elle ne viole donc pas l’obligation de standstill. Cet arrêt intervient dans un cas d’espèce où le chômeur, admis au bénéfice des allocations d’insertion au 1er novembre 2012, avait déclaré le 15 septembre 2015, sur son formulaire C1, qu’il vivait seul, en donnant une adresse où il ne résidait pas effectivement. Concernant le recalcul des allocations suite à cette fausse déclaration, l’ONEm soutenait que, lorsqu’un chômeur devient cohabitant non privilégié, il ne peut bénéficier des allocations plus de trente-six mois après le premier jour d’octroi. Cette thèse, comme le souligne la cour du travail, revenait à faire perdre rétroactivement au jeune chômeur le bénéfice d’une période de neutralisation du calcul des trente-six mois pendant laquelle il bénéficiait d’un statut protecteur. La cour écarte l’interprétation par l’ONEm du texte de l’article 63, § 2 : même si le chômeur devient cohabitant non privilégié pendant la période antérieure au mois qui suit son trentième anniversaire, la période où il était chef de famille ou isolé demeure neutralisée.

Un arrêt du 3 mars 2023 rendu par la chambre 2-E de la Cour du travail de Liège (division Liège) (R.G. 2022/AL/63) statue sur le cas d’une personne ayant perdu le bénéfice des allocations d’insertion à partir du 1er janvier 2018, alors qu’elle était âgée de cinquante-huit ans. A l’égard de cette catégorie de chômeurs, l’arrêt retient que (i) l’objectif de relance du taux d’emploi des jeunes n’est pas pertinent, que (ii), concernant l’objectif d’augmentation du taux global de l’emploi, l’ONEm ne démontre pas que sa réflexion aurait pris en compte les spécificités de la catégorie des chômeurs de cinquante ans et plus, qui n’est pas comparable à celle des chômeurs âgés de moins de cinquante ans, alors que, dans ses rapports, il reconnaît expressément qu’ils ont moins de possibilités de trouver un nouvel emploi (les chiffres produits dans le rapport 2015 de l’ONEm confirment ce constat – cf. pp.192 et 193) et que, (iii) concernant l’objectif budgétaire, ce même rapport (p. 191) confirme que, pour cette catégorie, la mesure contrôlée n’a eu qu’un faible impact. L’arrêt en déduit que, pour cette catégorie, l’ONEm ne démontre pas que la mesure litigieuse est appropriée et nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis. Bien qu’il admette que le caractère proportionné de la mesure est établi, l’arrêt décide donc d’écarter, pour cette catégorie, l’article 9, 2°, de l’arrêté royal du 28 décembre 2011 pour violation de l’article 23 de la Constitution et de l’effet de standstill qui en découle. Par contre, la cour indique que, pour les chômeurs âgés de moins de cinquante ans, la mesure était appropriée et nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis.


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