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Action de l’institution hospitalière contre un CPAS en vue d’obtenir l’aide médicale urgente

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 3 octobre 2023, R.G. 2022/AL/510

Mis en ligne le lundi 15 avril 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 3 octobre 2023, R.G. 2022/AL/510

Terra Laboris

Par arrêt du 3 octobre 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège), réformant la décision du tribunal du travail, admet la possibilité pour une institution hospitalière, en possession d’un mandat ad agendum, d’agir contre le C.P.A.S. en vue d’obtenir l’aide médicale urgente permettant la couverture des frais d’hospitalisation. Elle est cependant tenue d’établir l’état de besoin.

Les faits

Une personne domiciliée au Luxembourg et ayant la nationalité de cet État se trouvait en Belgique chez un membre de sa famille auprès duquel elle résidait temporairement vu la fin de sa grossesse lorsqu’elle dut être hospitalisée dans le cadre d’une prise en charge urgente.

Une convention lui a été soumise par l’institution hospitalière, par laquelle elle donnait mandat et procuration à l’hôpital en vue de bénéficier de l’aide médicale urgente couvrant les soins qui y ont été prodigués. Le mandat précise qu’il comprend notamment l’introduction d’une procédure judiciaire, la poursuite de celle-ci et le cas échéant les recours devant les juridictions compétentes contre la décision de refus qui serait notifiée par le C.P.A.S. Mandat est également donné à l’institution hospitalière de se faire assister par les avocats de son choix afin de mener à bien les procédures susvisées. Il est encore précisé notamment que le mandat n’est révocable que de l’accord mutuel des deux parties.

L’hôpital a adressé une demande au C.P.A.S. de Liège, communiquant les documents établissant le caractère urgent des soins et une déclaration sur l’honneur de l’intéressée en ce qui concerne son incapacité financière à prendre en charge les frais d’hospitalisation.

Il a également demandé à la Caisse nationale de santé luxembourgeoise un certificat de remplacement de la carte européenne de l’intéressée. La caisse a répondu concluant à l’impossibilité de délivrer ce document, l’intéressée n’étant plus affiliée.

Entendue par le C.P.A.S., celle-ci a confirmé qu’elle ne travaillait plus et ne bénéficiait d’aucun revenu.

Le C.P.A.S. a refusé de prendre en charge les frais d’hospitalisation, décision motivée par le fait que celle-ci est européenne et doit circuler sur le territoire « munie de (ses) droits sociaux » et ne peut être à charge des pouvoirs publics.

Une procédure a été introduite par l’hôpital devant le tribunal du travail de Liège (division Liège).

Le jugement dont appel

Le tribunal, statuant par jugement du 13 octobre 2022, a dit le recours irrecevable et a condamné le C.P.A.S. aux dépens.

Il a considéré notamment que l’objet de la demande relevait d’un droit attaché à la personne et que l’hôpital ne disposait pas à titre personnel d’un droit à l’aide médicale urgente.

Il a en outre posé la question de savoir si la qualité de mandataire de celui qui prétend à l’aide sociale est suffisante pour justifier d’une qualité à agir en justice, s’agissant d’obtenir la réformation d’une décision en matière d’aide sociale prise par le C.P.A.S. Il a répondu négativement à cette question, estimant que raisonner autrement reviendrait à réduire l’aide sociale à un droit de nature essentiellement pécuniaire sans considération pour l’objectif de cette aide, qui est de permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Il a conclu que le mandat d’intérêt commun est à analyser comme une action oblique déguisée mue par l’hôpital en sa qualité de créancier de son patient et a souligné l’existence d’un conflit d’intérêts manifeste dans le chef de l’hôpital, qui endosse à la fois la casquette de créancier du patient mais également celle de mandataire judiciaire de son débiteur, situation que le législateur a précisément souhaité éviter.

Enfin il a déploré que, la partie concernée n’étant pas à la cause, elle ne pouvait fournir d’informations sur sa situation, rappelant qu’il appartient au mandataire d’établir l’état de besoin et actuel quant aux arriérés aide sociale et non au C.P.A.S.

La requête d’appel

La requête d’appel est introduite au nom de « Madame (X), représentée par (l’institution hospitalière) » alors que, en première instance, la partie demanderesse était l’hôpital lui-même, agissant au nom et pour le compte de cette personne.

L’appelante demande à la cour l’annulation de la décision du C.P.A.S. et sa condamnation à l’octroi de l’aide médicale urgente ainsi qu’à la prise en charge du coût des soins prodigués, s’agissant d’un montant de l’ordre de 8 580 €. Subsidiairement elle forme une demande de condamnation à des dommages et intérêts, correspondant à ce montant.

Elle sollicite également la condamnation du C.P.A.S. aux dépens.

Ce dernier postule la confirmation du jugement.

L’avis du ministère public

Pour M. l’Avocat général, il y a lieu de réformer le jugement dont appel et de déclarer la demande d’aide médicale urgente recevable mais non fondée.

La demande de dommages et intérêts est irrecevable.

La décision de la cour

Dans son examen de la recevabilité de l’action et de la demande originaire, la cour examine successivement les conditions liées à l’intérêt et la qualité pour agir ainsi qu’au mandat ad agendum (ou représentation à l’action).

Un important rappel des principes est fait sur ces points, la cour réservant ensuite d’autres développements au droit à l’aide médicale urgente ainsi qu’à ses conditions d’octroi.

Elle en vient alors à l’application au cas d’espèce.

Quelle que soit la formulation adoptée par l’hôpital en première instance ou en appel, il est constant que l’intéressée a confié à celui-ci un mandat de représentation conventionnelle à l’action. Elle est, comme l’institution hospitalière, donc partie à la cause, l’étant en tant que partie matérielle et l’hôpital en tant que partie formelle. Elle est donc le mandant ad agendum, l’hôpital étant le mandataire ad agendum.

La validité de cette habilitation conventionnelle étant contestée par le C.P.A.S., la cour entreprend dès lors d’apprécier celle-ci, soulignant qu’il faut distinguer les deux demandes.

En ce qui concerne la demande d’aide médicale urgente, elle retient d’abord que l’intéressée a intérêt et qualité (au sens de qualité–titre) à former le recours et que l’hôpital et elle-même ont un intérêt commun, celui que les frais d’hospitalisation soient pris en charge par le C.P.A.S.

Ayant rappelé dans les principes applicables que le mécanisme de la représentation à l’action est bien établi et sa validité reconnue moyennant le respect de diverses conditions, elle entreprend d’examiner celles-ci.

Il incombe d’abord à l’hôpital de justifier de l’existence et de l’étendue de son pouvoir d’agir au nom et pour le compte de l’intéressée, preuve qui ressort de la convention elle-même. L’hôpital a introduit et poursuivi la procédure afin de formuler une demande d’aide médicale urgente, ce qui est l’exécution du mandat donné. Il justifie dès lors l’existence et l’étendue de son pouvoir.

Sur l’argument du C.P.A.S. selon lequel la nature du droit en cause (droit à l’aide sociale et plus particulièrement droit à l’aide médicale urgente) serait à ce point intimement liée à la personne qu’il ne pourrait faire l’objet d’un mandat – le C.P.A.S. plaidant que le mécanisme de représentation ad agendum est à rapprocher de celui de l’action oblique, exclu pour les droits et actions du débiteur qui sont exclusivement attachés à sa personne –, la cour souligne qu’il faut distinguer les deux actions.

Le débiteur est exclu du mécanisme de l’action oblique (celle-ci pouvant même être exercée par le créancier sans son consentement) alors que le consentement du débiteur est au centre du mécanisme de la représentation ad agendum. Les deux mécanismes étant distincts, la cour écarte qu’il s’agisse de l’exercice d’une action oblique, fût-elle cachée.

Sur la possibilité de dissocier le titulaire du droit subjectif et celui qui a la possibilité de l’exercer, la cour constate que des demandes d’aide sociale sont régulièrement introduites par un avocat, un membre de la famille du bénéficiaire ou encore une association et que, en l’espèce, la demande a été faite par l’hôpital sans que le C.P.A.S. n’y voie une quelconque irrégularité.

Elle conclut que le législateur lui-même envisage le droit à l’aide sociale comme un droit qui peut être dissocié du titulaire du droit subjectif et qu’il peut être sollicité par un tiers. Il y a cependant obligation pour celui-ci de détenir un mandat écrit donné par le titulaire du droit subjectif.

Le mandat ad agendum est dès lors admis.

Pour l’ensemble de ces motifs, la cour estime que Madame démontre son intérêt et sa qualité-titre à agir et que l’hôpital démontre sa qualité-pouvoir à agir. L’action et la demande sont dès lors recevables.

En revanche, pour ce qui est de la demande de dommages et intérêts, si l’intérêt et la qualité–titre dans le chef de l’intéressée sont établis, la qualité–pouvoir de l’hôpital ne n’est pas. La demande subsidiaire ainsi formulée ne vise pas l’obtention de l’aide médicale urgente (qui figure dans le mandat) mais l’obtention de dommages et intérêts en raison d’une faute qui aurait été commise par le C.P.A.S. Elle est dès lors irrecevable.

Enfin, pour ce qui est du fondement de la demande d’aide médicale urgente, la cour considère que le dossier est « particulièrement indigent ». L’état de besoin n’étant pas établi, la demande est jugée non fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail (deux autres ayant été rendus le même jour dans le même sens : R.G. 2022/AL/511 et 2022/AL/512) vient clarifier la question de la possibilité pour une institution hospitalière d’agir en justice aux fins d’obtenir du C.P.A.S. compétent l’octroi de l’aide médicale urgente destinée à couvrir des frais d’hospitalisation.

La question avait, au niveau du tribunal, été réglée négativement, celui-ci ayant estimé qu’existait une contradiction d’intérêts et que, s’agissant d’un droit lié à la personne, il ne pouvait être exercé que par son titulaire.

La cour du travail a jugé autrement, rappelant notamment les conditions d’exercice de la représentation conventionnelle à l’action.

Sur la question particulière de la délivrance d’un mandat ad agendum pour des actes intimement liés à la personne, la cour a rappelé la doctrine (P. WERY, « Mandat », Rép. Not., T. IX, Contrats divers, Livre 7, Larcier, 2019, n° 25 notamment), selon qui aucun mandat ne peut être donné pour des actes à ce point intimement liés à la personne qu’ils répugnent à faire l’objet d’un mandat. Pour ceux-ci, les deux qualités (sujet titulaire des droits subjectifs et personne qui a la possibilité de les exercer) se concentrent nécessairement sur la tête d’une seule et même personne. Et de citer ainsi le mariage, la comparution en justice lorsqu’elle est exigée à titre personnel ou encore la signature d’un testament. La cour a rappelé que l’exclusion des actes intimement liés à la personne constitue une exception et est dès lors de stricte interprétation.

Cette solution étant dégagée, elle a conclu, conformément aux principes, qu’aucune autre action ne peut être introduite, ainsi une action en dommages et intérêts, dans la mesure où le mandat lui-même ne vise que l’aide médicale urgente.

Enfin, l’on notera que, sur le plan de la charge de la preuve, c’est au demandeur à établir l’état de besoin et non au C.P.A.S. de prouver que celui-ci n’existe pas.


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