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Travail adapté en E.T.A. : prise en compte des limitations de la personne en situation de handicap

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 décembre 2022, R.G. 2020/AB/446

Mis en ligne le lundi 26 juin 2023


Cour du travail de Bruxelles, 12 décembre 2022, R.G. 2020/AB/446

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 décembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’une entreprise de travail adapté a l’obligation de tenir compte des capacités professionnelles du travailleur en situation de handicap et qu’elle est par ailleurs subventionnée en fonction de celles-ci.

Les faits

Une personne en situation de handicap (celui-ci étant reconnu par le SPF Sécurité sociale) a été engagée en 1993 par une entreprise de travail adapté. Son travail consiste à coller des timbres et des codes-barres, à mettre des produits dans des boîtes et à nettoyer celles-ci.

Des difficultés professionnelles sont intervenues en 2014, le travail de l’intéressée étant évalué négativement. Lui est reproché un manque de rapidité, de qualité et de motivation.

La travailleuse s’adresse le 14 mars 2014 à la police, aux fins de faire état de harcèlement moral au travail. Quatre jours plus tard, il est mis fin à son contrat moyennant la prestation d’un préavis. Lui est alors envoyée une lettre contenant des griefs d’ordre professionnel, étant essentiellement des réactions négatives, une faible productivité et l’absence de polyvalence.

L’intéressée s’est ensuite trouvée en incapacité de travail pendant quatorze mois, son médecin attestant d’un état anxio-dépressif en rapport avec des problèmes relationnels au travail. Une plainte est alors déposée auprès de la police pour harcèlement moral. L’organisation syndicale intervient, soulignant que le licenciement ne correspond pas à la vocation sociale prioritaire d’une E.T.A. et considérant celui-ci abusif.

Alors que l’A.S.B.L. est ainsi priée de revenir sur sa décision, elle la maintient, en ajoutant des griefs supplémentaires, essentiellement relatifs au comportement de l’intéressée.

Le contrat de travail prend fin à l’échéance du délai de préavis.

Une procédure est engagée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, celui-ci concluant dans son jugement du 26 février 2020 à l’existence d’un harcèlement et au caractère abusif du licenciement.

Appel est interjeté par l’employeur.

Dans le cadre de celui-ci, l’appel principal porte sur la réformation du jugement et un appel incident est introduit par la travailleuse, le tribunal l’ayant déboutée d’une demande d’indemnité pour licenciement discriminatoire. Elle sollicite dès lors, en sus des deux indemnités qui ont été allouées par le tribunal, six autres mois de rémunération pour discrimination.

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu au rappel du cadre légal de l’engagement par une E.T.A. d’une personne en situation de handicap.

Sont applicables le décret de la COCOF de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 janvier 2014 relatif à l’inclusion de la personne handicapée et l’arrêté du Collège de la COCOF du 12 février 2009 relatif à l’agrément des E.T.A.

La cour reprend des extraits de ces réglementations. Elle rappelle que, même si la pérennité des E.T.A. nécessite une certaine rentabilité, celle-ci est un moyen qui doit être tourné vers le but prioritaire défini par la législation, étant l’inclusion par le travail de la personne handicapée, et ce par l’exercice d’un travail adapté et rémunéré. Elle rappelle les obligations de l’E.T.A. au vu de cet objectif prioritaire. Ces entreprises bénéficient de subventions couvrant les charges dues au rendement moins élevé des travailleurs en situation de handicap ainsi qu’à l’occupation de personnel d’encadrement. Celles-ci sont octroyées avec toujours le même objectif, qui est l’intégration professionnelle des travailleurs en situation de handicap.

L’arrêté prévoit que l’E.T.A. doit tenir compte des capacités professionnelles de ces travailleurs et que les subventions sont octroyées eu égard à celles-ci, notamment pour ce qui est de la mobilité, de la vitesse et de la qualité du travail, de la capacité d’adaptation, ainsi que pour les aptitudes comportementales (ponctualité, rapport avec l’autorité et sociabilité). Une évaluation de ces capacités eu égard aux limitations constatées doit intervenir et le résultat détermine la catégorie de capacité professionnelle du travailleur, qui elle-même donne lieu à un niveau de subvention déterminé.

En l’espèce, la cour constate que, même si les griefs à la base du licenciement existent, l’A.S.B.L. en avait connaissance, vu la longue ancienneté de l’intéressée, et qu’elle a le devoir de s’organiser de manière à tenir compte des capacités professionnelles de chacun et d’assurer leur encadrement. Aucune information n’est donnée par l’E.T.A. à la cour de ces spécificités qui ont été retenues dans le cadre du subventionnement. Elle constate par ailleurs que l’intéressée fait valoir qu’elle a non seulement des limitations physiques, mais également un retard mental, ne sachant ni lire, ni écrire, ni utiliser un téléphone ou un GSM et qu’elle a en outre des troubles psychotiques.

La cour examine dès lors les chefs de demande.

Pour ce qui est du harcèlement moral – dont elle reprend les éléments de la définition ainsi que les règles de preuve et d’indemnisation –, elle retient que les faits permettant de présumer l’existence de ce harcèlement sont établis (ainsi le reproche de se rendre trop souvent aux toilettes, alors qu’un motif médical semble exister). Pour la cour, il incombait à l’A.S.B.L. d’aider l’intéressée plutôt que de la mettre sous pression, l’arrêté du 12 février 2009 faisant obligation à l’E.T.A. d’assurer un encadrement professionnel adapté, la surveillance médicale et le suivi social en assurant un rôle effectif d’aide, de conseil et de suivi. En outre, elle pouvait avertir le conseiller en prévention-médecin du travail sur la base de l’article 5 de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs.

D’autres faits sont également pointés, la cour relevant que, considérés dans leur contexte ainsi qu’au vu de leurs conséquences sur l’intéressée, ils permettent de présumer l’existence du harcèlement. L’E.T.A. ne donnant pas de justification aux conduites retenues par la cour, elle ne satisfait pas à son obligation de preuve. Pour la cour, elles sont abusives et ont porté atteinte à la dignité de l’intéressée, ont créé un environnement intimidant et humiliant à son égard et ont finalement abouti à la perte de l’emploi.

Le jugement est dès lors confirmé sur la question de l’indemnisation pour faits de harcèlement, la cour confirmant également le caractère abusif du licenciement. Pour ce, elle renvoie à l’article 63 de la loi relative aux contrats de travail (en vigueur à la date du licenciement) et rappelle que l’employeur a la charge de la preuve des motifs de la rupture et que, à défaut de satisfaire à cette obligation, il est tenu au paiement de l’indemnité légale.

Pour la cour, à supposer que les comportements reprochés soient avérés, la décision de licencier l’intéressée sans prendre en considération la limitation de ses capacités professionnelles liée à sa situation de handicap est manifestement déraisonnable. Par ailleurs, si l’on examine la question sous l’angle des nécessités de l’entreprise, une E.T.A. ne peut se contenter de mettre en avant des exigences de productivité. La cour rappelle le subventionnement des institutions publiques aux fins d’assurer l’occupation de personnes en situation de handicap en dépit des limitations de leur capacité professionnelle. Les nécessités de ce type d’entreprise ne sont dès lors pas prioritairement économiques mais d’abord sociales, la cour relevant que l’E.T.A. n’établit pas le bien-fondé de sa décision à cet égard non plus.

Enfin, elle aborde la question du licenciement discriminatoire, l’intéressée faisant ici valoir ses problèmes d’incontinence urinaire. Dans la mesure où le comportement de l’A.S.B.L. face à celui-ci a été retenu comme constitutif d’une conduite abusive et que le harcèlement moral a été retenu, la cour considère qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la loi du 10 mai 2007.

Intérêt de la décision

La question spécifique de l’affaire faisant l’objet de cet arrêt du 12 décembre 2022 est bien évidemment la nature particulière de l’employeur, qui bénéficie de subventionnement aux fins de permettre l’occupation de personnes en situation de handicap et doit, dans le cadre de la mise au travail, tenir compte de celles-ci sur divers plans. La cour a ainsi pointé la mobilité, la vitesse et la qualité du travail, la capacité d’adaptation, ainsi que les aptitudes comportementales. Parmi ces dernières, figurent la ponctualité, le rapport avec l’autorité et la sociabilité.

Dès lors que, lors de l’engagement, il est procédé à l’évaluation des capacités du travailleur en situation de handicap et que des catégories spécifiques ont été prévues aux fins de préciser le niveau de subventionnement requis à attribuer à l’E.T.A., la mission de l’employeur n’est pas d’examiner des « manquements professionnels » dans le cadre général des obligations du travailleur tel que fixé aux articles 16 et 17 de la loi du 3 juillet 1978.

Le dossier est également l’occasion de rappeler la modification de la définition du harcèlement moral depuis le 1er septembre 2014, qui exige non plus « plusieurs conduites abusives similaires ou différentes (...) » mais « un ensemble abusif de plusieurs conduites similaires ou différentes (...) ». Précédemment, la loi requérait ainsi que chaque conduite prise en considération soit abusive. Actuellement, les conduites en cause doivent former un ensemble abusif et le caractère abusif requis permet de distinguer le harcèlement moral de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique de l’employeur.


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