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Paiement d’une contribution alimentaire à un jeune majeur et droit aux allocations de chômage au taux « charge de famille »

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 21 octobre 2022, R.G. 21/565/A

Mis en ligne le mardi 25 juillet 2023


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 21 octobre 2022, R.G. 21/565/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 21 octobre 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) examine la conformité d’un procès-verbal de conciliation judiciaire prévoyant le paiement d’une pension alimentaire à un enfant majeur ayant terminé ses études au regard des exigences de l’article 110, § 1er, 3°, de l’arrêté royal organique, qui exige une décision judiciaire ou un acte notarié.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage s’est vu attribuer la catégorie de travailleur avec charge de famille suite à ses déclarations figurant sur son document C1 (2017), selon lequel elle vivait seule et payait une pension alimentaire. Elle avait produit un procès-verbal de comparution en conciliation en matière de parts contributives établi par le Tribunal de première instance du Hainaut (division Charleroi – chambre famille) de juin 2017.

Ultérieurement, une cohabitation est soupçonnée, la police de Charleroi transmettant un Pro Justitia à l’ONEm. L’intéressée est alors invitée à plusieurs reprises au cours de l’année 2020 à présenter ses explications concernant sa situation familiale ainsi qu’à fournir les preuves de paiement de la pension alimentaire. Celle-ci produit, pour la période concernée (2017-2020), des extraits bancaires et des documents manuscrits. Il s’agit de paiements en faveur de sa dernière fille, majeure depuis fin janvier 2016. Celle-ci a par ailleurs bénéficié du revenu d’intégration sociale avant de courtes périodes de travail et cohabite avec un tiers. Dans ses explications, la mère expose que sa fille n’est plus scolarisée depuis juin 2017 et qu’elle a quitté son domicile pour se mettre en ménage. Elle entame les démarches auprès du tribunal de première instance en vue d’obtenir un jugement d’état de besoin, vu la majorité de l’enfant, le déménagement intervenu, ainsi que l’arrêt de la scolarité.

D’autres éléments étant demandés, relatifs à l’effectivité des paiements, l’intéressée communique un complément de dossier, dont un jugement de l’année 2002 condamnant le père au paiement d’une part contributive de 150 euros par mois en faveur des trois enfants en commun, mesure temporaire.

L’ONEm prend alors une décision en date du 6 janvier 2021, excluant la mère du droit aux allocations comme travailleur avec charge de famille et lui octroyant, pour la période considérée, les mêmes allocations au taux de travailleur isolé. La récupération est ordonnée et une sanction d’exclusion de treize semaines est prise, au motif de déclarations inexactes ou d’omission de déclaration.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend brièvement les catégories de bénéficiaires d’allocations de chômage telles que précisées aux articles 110 et 114 de l’arrêté royal organique, rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation en son arrêt du 15 janvier 2007 (Cass., 15 janvier 2007, S.06.0062.F) relatif à la charge de la preuve en la matière. Celle-ci repose sur le chômeur, la déclaration de la situation familiale pouvant être écartée sur simple contestation de principe de l’ONEm (avec renvoi à la doctrine de E. DERMINE et S. PALATE, « Questions de preuve en matière de chômage », Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., 2012, pp. 515 à 524.).

Le tribunal reprend ensuite très en détail les conditions de la réglementation pour que des personnes puissent être considérées comme étant à charge. Il faut, en matière de paiement d’une pension alimentaire, (i) que ce paiement soit effectif, (ii) qu’il soit imposé par une décision judiciaire ou par un acte notarié dans le cadre d’une procédure de divorce (consentement mutuel ou séparation de corps), ou encore sur la base d’un acte notarié au profit de l’enfant, soit à la personne qui exerce l’autorité parentale, soit encore à l’enfant majeur lui-même si l’état de besoin subsiste.

L’ensemble de ces conditions sont dès lors vérifiées, le tribunal constatant cependant, pour le premier point, que le paiement effectif n’est pas établi, les documents en cause étant des attestations de la mère. Celle-ci certifie dès lors elle-même ce qu’elle est tenue de prouver. Le tribunal ne retient à cet égard que les paiements effectués par extraits bancaires. Ceux-ci remplissent la condition d’effectivité.

Pour ce qui est de la décision judiciaire requise, l’intéressée dépose un procès-verbal de comparution volontaire en conciliation, s’agissant d’une demande de conciliation déposée par la mère et la fille conjointement. Il est acté dans celui-ci que la mère s’engage au paiement d’une somme mensuelle de 100 euros au titre de part contributive, ceci à partir du 1er juillet 2017.

Le tribunal examine la conformité de cette décision aux exigences de l’article 110, § 1er, 3°, de l’arrêté royal. Celui-ci exige soit un jugement rendu en application de l’article 203 de l’ancien Code civil (relatif aux obligations des père et mère en matière d’entretien et d’éducation des enfants), dont les effets se poursuivent au-delà de la majorité si la formation du jeune n’est pas achevée, soit un jugement fondé sur les articles 205 et 207 du Code civil (relatifs aux obligations alimentaires réciproques des enfants envers leurs père et mère et autres ascendants dans le besoin).

Il en découle qu’un jugement fondé sur l’article 203 de l’ancien Code civil est caduc à la majorité de l’enfant lorsque sa formation est achevée. Une nouvelle décision judiciaire est nécessaire, celle-ci devant être rendue sur pied des articles 205 et 207. A défaut, le travailleur au chômage ne peut prétendre avoir charge de famille et il faut considérer que les paiements intervenus le sont sur une base volontaire. Par ailleurs, les articles 205 et 207 du Code civil supposent un état de besoin de l’enfant (l’article 205 disposant que les enfants doivent des aliments à leurs père et mère et autres ascendants qui sont dans le besoin, la condition de réciprocité figurant à l’article 207). Le juge doit dès lors vérifier l’état de besoin.

Pour le tribunal, le procès-verbal de comparution en conciliation n’offre pas les garanties requises par la réglementation chômage. Celle-ci permet en effet de tenir compte des obligations alimentaires pour obtenir un taux majoré, mais ceci implique de « limiter les risques de connivence » au détriment de l’assurance chômage).

Il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 19 mai 2016, R.G. 2015/AM/127), à propos du procès-verbal de conciliation en cause. La cour y a considéré que celui-ci ne constitue en aucun cas « une décision judiciaire » au sens de l’article 110, § 1er, 3°, a), mais s’apparente à un « acte notarié » au sens de l’article 110, § 1er, 3°, c), susceptible d’être attaqué par une action en nullité. Le tribunal constate que ce procès-verbal se borne en l’espèce à acter un accord des parties sans que n’ait été vérifié l’état de besoin de l’enfant majeur. En l’espèce, il considère que le risque de collusion est évident, puisque, si le paiement est effectué à raison de 100 euros par mois, la différence entre les deux taux d’allocations (charge de famille et isolé) est supérieure. Le tribunal fait dès lors sienne la conclusion de la Cour du travail de Mons, considérant que le procès-verbal en cause s’apparente à un acte notarié et qu’il faut vérifier l’état de besoin de la fille, bénéficiaire d’aliments.

Cette notion ne trouve aucune définition dans la réglementation chômage, seul le commentaire ONEm (ONEm Tech – RioLex : https://www.onem.be/fr/onem-tech-le-portail-technique-de-lonem) précisant que cet état signifie en principe que l’enfant n’a pas de revenu professionnel ou de remplacement propre qui soit au moins égal au revenu d’intégration. Il y a lieu, dans cet examen, d’avoir égard à la situation globale de l’enfant (le tribunal renvoyant à la doctrine de F. LAMBRECHT, « Montant des allocations », Chômage, dir. M. SIMON, R.P.D.B., 2021, Larcier, p. 366).

En l’espèce, la fille de la demanderesse a presté pendant de brèves périodes pendant l’année 2017 et n’a plus eu de revenu propre par après. Pour les périodes en cause, l’état de besoin est ainsi admis. Le tribunal décide en conséquence de réformer la décision administrative à concurrence de la période admise. La récupération est dès lors limitée et il en va de même de la sanction, réduite au minimum de quatre semaines, vu la période infractionnelle.

Intérêt de la décision

Les juridictions du travail sont régulièrement amenées à vérifier la question de l’effectivité du paiement d’une pension alimentaire lorsque celle-ci conditionne l’octroi de la catégorie de bénéficiaire « avec charge de famille ».

Le jugement commenté présente l’intérêt particulier d’avoir exploré les effets d’un procès-verbal de conciliation, procès-verbal rendu dans le cadre d’une procédure en conciliation, dans laquelle il n’y a pas de litige entre les parties. La réglementation chômage exigeant l’existence d’une décision judiciaire, le tribunal ne reconnaît pas à un tel procès-verbal le caractère de décision au sens de l’article 110, § 1er, 3°, de l’arrêté royal, considérant qu’il s’agit – vu l’absence de contestation et la seule prise d’acte de l’engagement de paiement d’une contribution alimentaire – d’un acte pouvant être assimilé à un acte notarié, hypothèse dans laquelle l’état de besoin de l’enfant majeur doit être vérifié.

Ce contrôle n’ayant pas été fait au niveau du tribunal de première instance, le tribunal du travail y procède, vérifiant la situation professionnelle de la jeune majeure pendant la période où elle a bénéficié d’une contribution alimentaire de la part de sa mère.


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