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Ordre de quitter le territoire et demande ultérieure de séjour pour raisons médicales

Commentaire de Cass., 12 juin 2023, n° S.17.0054.F

Mis en ligne le mercredi 11 octobre 2023


Cass., 12 juin 2023, n° S.17.0054.F

La Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 12 juin 2023, que, tel qu’applicable aux faits jugés, soit avant l’entrée en vigueur du nouvel article 1er/3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, un ordre de quitter le territoire était implicitement retiré du fait de l’octroi d’une attestation d’immatriculation, l’étranger ne pouvant être à la fois sous le coup de cet ordre et autorisé au séjour.

Rétroactes

Un ordre de quitter le territoire avait été délivré à la demanderesse en octobre 2014, après le rejet de sa demande d’asile. Elle fit ensuite une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales, sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. Lorsque celle-ci fut déclarée recevable, elle reçut une attestation d’immatriculation. Après l’examen de la demande au fond, qui conclut au rejet, l’attestation d’immatriculation a cessé de lui être octroyée, et ce en avril 2016. Le C.P.A.S. de Liège avait octroyé l’aide sociale depuis la délivrance de l’attestation d’immatriculation jusqu’à son retrait. L’intéressée contesta le refus de l’aide sociale notifié au motif du caractère illégal du séjour depuis le rejet de la demande de régularisation médicale.

Dans le cadre du recours ainsi formé devant les juridictions du travail, la Cour du travail de Liège avait considéré, dans un arrêt du 15 mars 2017, que la demande et l’appel de la demanderesse étaient non fondés. Pour la cour du travail, le séjour des demandeurs d’asile est illégal en cas de rejet de la demande et de notification d’un ordre de quitter le territoire (ordre notifié à l’intéressée en l’occurrence). Cet ordre n’ayant pas été annulé après que la demande d’autorisation de séjour sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 avait été déclarée recevable, il avait été prolongé, conformément à l’article 52/3 de la loi du 15 décembre 1980, et n’avait pas été retiré de l’ordonnancement juridique. L’aide sociale devait dès lors être limitée à l’aide médicale urgente.

Un pourvoi fut formé contre cet arrêt.

L’arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2021

La demanderesse en cassation considère essentiellement que, par la délivrance de l’attestation d’immatriculation, l’étranger est autorisé à séjourner sur le territoire, fût-ce de manière temporaire et précaire. Ceci implique le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire antérieurement notifié. En conséquence, la cour du travail ne pouvait conclure au caractère illégal du séjour et limiter l’intervention du C.P.A.S. à l’aide médicale urgente.

La Cour a interrogé la Cour de Justice sur la compatibilité avec la Directive n° 2008/115/CE de la règle selon laquelle, en cas d’introduction ultérieure d’une demande de séjour pour raisons médicales déclarée recevable entraînant la délivrance d’une autorisation de séjour, il y a retrait implicite de la décision de retour.

L’arrêt de la Cour de Justice du 20 octobre 2022

Par arrêt du 20 octobre 2022 (C.J.U.E., 20 octobre 2022, Aff. n° C-825/21, UP c/ CPAS DE LIEGE, EU:C:2022:810), la Cour de Justice a conclu que le retrait implicite d’un ordre de quitter le territoire découlant de l’octroi d’une autorisation de séjour suite à l’acceptation de la recevabilité d’un recours sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 n’est pas incompatible avec l’article 6, § 4, de la Directive n° 2008/115/CE.

L’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2023

L’affaire a été reprise par la Cour de cassation, qui a rendu, en date du 12 juin 2023, l’arrêt commenté.

Elle reprend, au titre de dispositions légales, l’article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 8 juillet 1976 organique des C.P.A.S., l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, l’article 7, § 2, de l’arrêté royal du 17 mai 2007 en fixant les modalités d’exécution, ainsi que l’article 6 de la Directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

Vient ensuite le rappel de la conclusion de la Cour de Justice dans son arrêt du 20 octobre 2022, interprétant l’article 6, § 4, de la Directive : celui-ci ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant que, lorsqu’un droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs relevant de cette disposition, en raison du caractère recevable de la demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite d’une décision de retour adoptée antérieurement à l’égard dudit ressortissant à la suite du rejet de sa demande de protection internationale.

La Cour rappelle que l’attestation d’immatriculation indique qu’il y a autorisation de séjour, fût-ce de manière temporaire et précaire. Elle implique dès lors, en règle, le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire, étant incompatible avec celui-ci.

Pour la Cour de cassation, la cour du travail ne pouvait dès lors conclure que l’ordre de quitter le territoire avait vu ses effets suspendus et qu’il avait pu subsister et reprendre ses effets lorsque les attestations d’immatriculation accordées avaient cessé de l’être, le séjour redevenant illégal et donnant lieu à l’application de l’article 57, § 2, alinéa 4, de la loi du 8 juillet 1976.

L’affaire est renvoyée devant la Cour du travail de Mons.

Intérêt de la décision

La question tranchée est d’importance et l’on notera que c’est la Cour de cassation elle-même qui, saisie d’un pourvoi contre la survivance (ou non) de l’ordre de quitter le territoire, examinée au regard de la Directive européenne n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, avait cru devoir obtenir une décision de la Cour de Justice sur l’interprétation de l’article 6, § 4 , de la Directive sur la question.

Pour la Cour de Justice, l’Etat membre peut, dans la situation en cause – et ce tout en respectant l’article 6, § 4, de la Directive n° 2008/115/CE –, prévoir, vu le caractère recevable d’une demande sur pied de l’article 9ter, que l’octroi d’un tel droit de séjour entraîne le retrait implicite d’une décision de retour adoptée antérieurement à l’égard de ce même ressortissant.

La réponse donnée par la Cour de Justice laissait entrevoir la solution dégagée par la Cour de cassation. Signalons que, dans ses conclusions, M. l’Avocat général MORMONT a rappelé l’articulation des règles applicables aux demandeurs d’asile, en ce compris lorsqu’ils sont déboutés. Il a souligné qu’il n’était pas possible d’être simultanément sous le coup d’un ordre de quitter le territoire et détenteur d’une autorisation d’y rester – fût-ce temporairement.

Pour M. l’Avocat général, l’article 1er/3 de la loi du 15 décembre 1980 ne paraît pas devoir conduire à une solution différente, étant entré en vigueur le 29 avril 2017 et n’étant dès lors pas applicable à l’espèce. Signalons qu’en vertu de cette disposition nouvelle, l’introduction d’une demande de séjour ou d’une demande de protection internationale ou de protection temporaire par un étranger qui fait déjà l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement ne modifie en rien l’existence de cette mesure et que, si l’intéressé peut rester provisoirement sur le territoire dans l’attente d’une décision relative à sa demande de séjour, de protection internationale ou de protection temporaire, le caractère exécutoire de la mesure d’éloignement ou de refoulement est suspendu.


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