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Délégué commercial et conditions du droit au paiement de commissions

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 27 mars 2023, R.G. 21/3.744/A

Mis en ligne le vendredi 27 octobre 2023


Trib. trav. Liège (div. Liège), 27 mars 2023, R.G. 21/3.744/A

Dans un jugement du 27 mars 2023, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) reprend les articles 89 et 90 de la loi du 3 juillet 1978, relatifs aux conditions de paiement de commissions à un représentant de commerce, concluant que la « faute » du représentant doit être celle visée à l’article 18 de la loi : dol, faute lourde ou faute légère présentant un caractère habituel.

Les faits

Un délégué commercial est engagé en 2015 par une société informatique spécialisée dans le secteur de la commercialisation de solutions informatiques professionnelles pour l’industrie pharmaceutique et les officines. Celui-ci tombe en incapacité de travail le 28 août 2020, incapacité qui se prolonge jusqu’au 31 mars 2021. Se pose alors la question du sort de ses commissions, dont le calcul n’était pas clair depuis plusieurs mois, ceci ayant amené l’intéressé à interpeller son employeur.

Fin décembre 2020, soit pendant l’incapacité de travail, un courrier simple lui est envoyé, lui notifiant la fin de son contrat de travail, un C4 étant annexé et une indemnité compensatoire annoncée. Des griefs personnels lui sont faits sur le document C4 lui-même.

L’intéressé demande, dans le délai légal, la communication des motifs concrets du licenciement et la société lui répond (agressivité, insubordination, refus de suivre des directives, etc.). L’organisation syndicale du travailleur demande certains paiements, rappelant également des demandes précédentes.

Une procédure est finalement introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), portant sur les commissions (commissions en période d’occupation, en période d’incapacité et pécules de vacances sur celles-ci), ainsi qu’une régularisation du simple pécule, le paiement d’une prime sectorielle et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, estimée provisionnellement à 1 euro.

Les demandes sont ajustées dans le cadre des conclusions, certains postes – mineurs – étant devenus sans objet.

La décision du tribunal

Le tribunal résume tout d’abord les règles exposées en doctrine quant au paiement des commissions, s’agissant essentiellement du rappel de la doctrine de Ph. LECLERCQ (Ph. LECLERCQ, « Le statut des représentants de commerce : le représentant de commerce et l’agent commercial », Ors., n° 8, octobre 2005).

L’article 97 de la loi du 3 juillet 1978 impose à l’employeur la remise mensuelle des relevés et documents relatifs aux commissions du mois précédent. Cette disposition n’impose cependant pas la remise systématique de tous les justificatifs et, en l’absence de remise et de conservation des relevés mensuels, c’est-à-dire en cas de non-respect de l’article 97, l’employeur sera redevable des commissions, à la condition que le représentant apporte des éléments probants suffisants pour établir qu’elles lui sont dues.

Le tribunal renvoie également aux nouvelles dispositions du Code civil en matière de preuve (articles 8.4 à 8.6 et 8.8).

La question particulière du droit aux commissions en période d’incapacité de travail est réglée à l’article 77 de la loi du 3 juillet 1978, qui dispose que la commission doit, dans cette hypothèse, être calculée sur la base de la moyenne mensuelle de celles allouées pendant les douze mois précédant la période d’incapacité de travail ou, le cas échéant, pendant la partie de ces douze mois au cours de laquelle le délégué a été en service. Pour la perte des commissions en cas de jour férié, celle-ci – comme pour les vacances annuelles ou les incapacités – fait l’objet de dispositions spécifiques. Ainsi, pour les jours fériés, l’article 8 de l’arrêté royal du 18 avril 1974 déterminant les modalités générales d’exécution de la loi relative aux jours fériés prévoit de retenir, outre le fixe, la moyenne quotidienne de la rémunération variable, dont la disposition donne un mode de calcul détaillé.

Le délégué sollicitant également des commissions négatives, étant les commissions dues sur tout ordre accepté, même non suivi d’exécution (sauf en cas d’inexécution par la faute du représentant), le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 1992 (Cass., 1er juin 1992, n° 7.786), dont il reprend un large extrait, qui a rappelé l’application de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 à cette situation, les parties ne pouvant déroger contractuellement à la responsabilité légale (dol, faute lourde et faute légère présentant dans le chef du travailleur un caractère habituel plutôt qu’accidentel). La seule dérogation admise serait une règle prévue par convention collective de travail rendue obligatoire. La Cour suprême a dès lors censuré la cour du travail, qui avait refusé le remboursement de commissions négatives retenues à tort.

Le tribunal en vient ainsi à examiner les prétentions du demandeur.

Pour ce qui est des commissions ordinaires (arriérés), il constate la non-production des relevés mensuels imposés à l’article 97. Il rappelle cependant que celle-ci ne constitue une faute que si le représentant démontre un indu. Or, en l’espèce, la démonstration manque, le tribunal reprochant au demandeur de ne produire que des tableaux élaborés unilatéralement, qui n’apparaissent pas fiables. Il estime dès lors ne pas devoir faire droit à ce chef de demande.

Pour ce qui est de la perte sur commissions en période d’incapacité de travail, les parties sont opposées sur les chiffres, le travailleur ayant rédigé un relevé de la moyenne mensuelle des commissions des douze mois précédant le début de l’incapacité de travail et l’employeur ne donnant pas des informations claires et précises permettant d’établir, avec la vraisemblance requise, que des sommes versées constitueraient bien les éléments rémunératoires dus au travailleur à ce titre. Une réouverture des débats est ordonnée, ainsi que sur la question des commissions pour les jours fériés, le travailleur sollicitant en effet le paiement de celles-ci pour la période de mars 2015 à décembre 2020, sur la base de l’article 8 de l’arrêté royal du 18 avril 1974 ci-dessus.

Se pose ici une question de prescription et, l’employeur se fondant sur la prescription annale, le tribunal retient au contraire la prescription quinquennale sur pied de l’article 2262bis C. civ. Il en vient au point de départ, devant, pour déterminer celui-ci, vérifier si l’infraction a eu en l’espèce un caractère continué ou instantané, la Cour de cassation ayant, dans son arrêt du 22 juin 2015 (Cass., 22 juin 2015, n° S.15.0003.F), conclu que le non-paiement de la rémunération est une infraction instantanée et non un délit continué. C’est ce même caractère que retient le tribunal en l’espèce, aboutissant à la prescription de l’action pour la première année. La même question se pose concernant la clarté et la fiabilité des fiches de paie, ainsi qu’un déficit d’information pour chacune des années.

Enfin, sur la question des commissions négatives, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 1992 ci-dessus, le tribunal constate que la société se fonde sur une disposition du contrat de travail, celle-ci l’autorisant, selon sa thèse, à retenir les montants en cause des commissions dues, et ce en contravention avec les articles 23 de la loi du 12 avril 1965 et 18 de celle du 3 juillet 1978. Il conclut que la retenue est prohibée et les conditions de l’article 18 ne sont pas remplies.

Après l’examen de ce chef de demande, le tribunal vérifie enfin celui relatif à l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et constate rapidement à cet égard des comportements « inadéquats », s’agissant d’un manque de respect envers les collègues et la hiérarchie, un ton qualifié de « condescendant », ainsi qu’une insubordination. Ce chef de demande est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

L’article 89 de la loi du 3 juillet 1978 dispose que, s’agissant des représentants de commerce, la rémunération peut être soit un traitement fixe, soit des commissions, soit les deux.

Les conditions de débition des commissions sont fixées à l’article 90 de la loi, la commission étant due sur tout ordre accepté par l’employeur, même non suivi d’exécution, sauf si la non-débition découle de la « faute » du représentant de commerce. L’ordre est présumé accepté, sauf refus ou réserve formulés par écrit par l’employeur au représentant dans un délai fixé contractuellement et, à défaut, dans un délai d’un mois à partir de la transmission. La commission sera due même si elle n’est pas exécutée suite à une force majeure.

Rappelons un arrêt de la Cour du travail de Liège du 27 avril 2012 (C. trav. Liège, div. Liège, 27 avril 2012, R.G. 2011/AL/476), qui a repris les principes relatifs à la question (particulièrement sur les ordres acceptés et la clause de ducroire).

Il en découle notamment qu’une disposition contractuelle qui ferait dépendre l’existence ou l’exigibilité du droit à la commission à la condition d’exécution de la demande ou du paiement par le client selon les conditions du bon de commande serait nulle.

En l’espèce, le tribunal du travail a rappelé que, si le terme « faute » n’est pas défini à l’article 89 de la loi, cette disposition doit être lue en combinaison avec son article 18 relatif aux hypothèses de responsabilité du travailleur. Ce n’est ainsi qu’en cas de dol, de faute lourde ou de faute légère présentant un caractère habituel que la responsabilité du représentant de commerce pourrait être retenue et que le droit à la commission devrait lui être retiré.

Toute clause contractuelle contraire est dès lors nulle et l’employeur n’est pas autorisé à retenir une commission dès lors qu’un ordre n’aurait pas été exécuté, en dehors de l’hypothèse ci-dessus. Il s’agit d’une retenue illégale, n’étant pas prévue à l’article 23 de la loi sur la protection de la rémunération.


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