Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2023, R.G. 2020/AB/197
Mis en ligne le samedi 13 janvier 2024
C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2023, R.G. 2020/AB/197
Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 septembre 2023 donne la lecture de la cour sur le contrôle du motif du licenciement : celui-ci suppose la vérification successive de plusieurs points, à savoir si les motifs allégués entrent dans une des trois catégories de motifs admissibles, s’ils sont établis, s’ils constituent la cause du licenciement et, enfin, si le licenciement n’eut jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable. Ce contrôle s’opère dans le cadre de la CCT n° 109, contrairement au caractère abusif du licenciement.
Les faits
Une société de courtage en assurances engagea un employé en 2009, pour des tâches de classement, de secrétariat téléphonique et d’accueil. Celui-ci exerça ultérieurement des fonctions de gestionnaire de sinistres et de production.
Il connut en 2017 et 2018 deux longues périodes d’incapacité de travail. À sa reprise, il fut licencié moyennant un préavis à prester, qui fut rapidement transformé en congé avec effet immédiat moyennant le paiement d’une indemnité.
Après son licenciement, l’employé demanda à connaître les motifs concrets de celui-ci, que la société identifia comme étant relatifs à son aptitude d’une part et à des faits d’insubordination de l’autre. Elle invoquait également les nécessités de fonctionnement de l’entreprise.
Une procédure fut engagée devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles.
Dans le cadre de celle-ci, l’employé sollicite une indemnité sur pied de la CCT n° 109, la réparation d’un dommage moral et un complément d’indemnité compensatoire de préavis. L’employeur introduit une demande reconventionnelle (frais relatifs à des clés de voiture, ainsi que le remboursement d’écochèques indûment octroyés)
Le tribunal du travail ne fait que très partiellement droit à la demande originaire, allouant un léger complément d’indemnité compensatoire de préavis. Il accueille, par ailleurs, la demande reconventionnelle de l’employeur.
Appel est interjeté.
La décision de la cour
La cour reprend quelques principes énoncés par la CCT n° 109 du 12 février 2014, renvoyant particulièrement à son commentaire. Elle souligne, ainsi que précisé par celui-ci, que le contrôle judiciaire du caractère raisonnable du licenciement ne porte pas sur les circonstances de celui-ci mais sur les motifs, étant de vérifier si ceux-ci sont des motifs admissibles et si la décision n’aurait jamais été prise par un employeur normal et raisonnable. Le contrôle judiciaire n’est pas un contrôle d’opportunité de la gestion de l’employeur, c’est-à-dire de son choix entre les différentes alternatives de gestion raisonnable dont il dispose.
Sur le plan de la preuve, la cour précise que l’employeur a répondu à la demande et que le travailleur ne bénéficie pas d’un renversement de la charge de la preuve des motifs. Il convient dès lors de vérifier si les motifs allégués entrent dans une des trois catégories de motifs admissibles, s’ils sont établis, s’ils constituent la cause du licenciement et, enfin, si le licenciement n’eut jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.
Un premier motif est relatif à la nécessité de licencier l’employé en vue d’un transfert d’entreprise. La cour rappelle d’emblée que même si ce transfert n’était qu’envisagé, il s’agit d’un motif illicite (l’article 9 de la CCT disposant d’ailleurs que le changement d’employeur ne constitue pas, en lui-même, un motif de licenciement pour le cédant ou pour le cessionnaire, les travailleurs qui changent d’employeur pouvant toutefois être licenciés pour motif grave ou pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation entraînant des changements dans le domaine de l’emploi. Il ne peut s’agir d’un motif relatif aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise (la cour renvoyant à Cass., 29 avril 2013, S.10.0116.N).
Par ailleurs, la restitution d’un véhicule endommagé ne peut pas – en l’absence d’éléments susceptibles de mettre en cause la responsabilité du travailleur au sens de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 - justifier le licenciement, aucun fait lié à la conduite du travailleur n’étant avéré.
Cependant, la cour retient d’autres éléments, essentiellement liés à l’exécution des tâches dont l’intéressé était responsable, ainsi qu’à des difficultés avec des clients. La demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable est rejetée.
Il en est de même pour ce qui est des dommages et intérêts pour abus de droit de licencier, la cour constatant que l’employé reste en défaut d’établir un abus de droit dans le chef de son ex-employeur. Quoique diverses attestations soient produites, la cour ne les retient pas comme suffisamment probantes, eu égard à leur contenu.
Enfin, elle examine le chef de demande relatif à l’indemnité compensatoire de préavis, revenant, pour ce, sur la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement. Si le contrat de travail a été conclu avant le 1er janvier 2014, il y a lieu d’additionner deux délais, la première partie étant calculée en fonction de l’ancienneté de service ininterrompue acquise au 31 décembre 2013 (le délai étant déterminé sur la base des règles légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur à cette date applicables en cas de congé notifié à ce moment avec une distinction pour les employés dont la rémunération annuelle dépasse 32.254 €, pour qui le délai est fixé à un mois par année d’ancienneté entamée en cas de congé donné par l’employeur avec un minimum de trois mois), la seconde partie étant calculée en fonction de l’ancienneté de service ininterrompue acquise à partir du 1er janvier 2014 (articles 67 et 69).
Après avoir fixé la contrepartie de la mise à disposition d’un véhicule de société avec usage privé à 350 € par mois, la cour procède au calcul de la rémunération annuelle globale, qui s’avère supérieure au montant ci-dessus. Vu l’ancienneté du travailleur, la première partie de l’indemnité de préavis doit être fixée à cinq mois, la seconde étant de 15 mois (montant non contesté).
La cour alloue dès lors un important complément d’indemnité compensatoire.
Intérêt de la décision
L’entrée en vigueur de la CCT n° 109 n’a pas privé le travailleur licencié de la possibilité d’invoquer les articles 1134 et 1382 C. civ. Ce n’est cependant possible, compte tenu de l’interdiction de cumul énoncée par l’article 9 de ladite CCT, qu’à la condition que la faute invoquée ne concerne pas les motifs du licenciement, mais qu’elle ait trait, essentiellement, aux circonstances dans lesquelles il a été donné, ces circonstances n’étant pas visées par la CCT. Cette règle a été rappelée par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 24 août 2018 (C. trav. Liège (div. Namur), 24 août 2018, R.G. 2017/AN/164).
Dans un arrêt récent, la même cour (division Liège) a précisé que depuis l’entrée en vigueur de la CCT n° 109, la faute requise pour qu’il puisse être question d’abus de droit ne peut plus être constituée par le motif du licenciement, lequel ne peut plus faire l’objet que du contrôle prévu par ladite CCT (sous réserve du contrôle des motifs qui s’impose par ailleurs en cas de discrimination ou de protection contre le licenciement) mais uniquement par les seules circonstances du licenciement. Le dommage requis doit également se distinguer de celui qui résulte du motif du licenciement (C. trav. Liège (div. Liège), 20 janvier 2023, R.G. 2022/AL/269).
L’on peut constater, à la lecture de la décision commentée, que les règles de preuve sont spécifiques à chacun des deux contextes, la CCT n° 109 permettant diverses situations en matière de charge de la preuve selon que le travailleur a ou n’a pas demandé les motifs concrets de licenciement ou selon que l’employeur a ou n’a pas répondu. Pour ce qui est de l’abus de droit, les règles sont celles du Code civil, le demandeur ayant la charge complète des éléments qu’il invoque. Une demande de reconnaissance d’un abus de droit est dès lors plus aléatoire.
La décision commentée revient également sur les règles en matière de fixation du délai de préavis lorsque le contrat a débuté avant le 1er janvier 2014, règles introduites par la loi du 26 décembre 2013. En l’espèce, c’est la période avant le 1er janvier 2014 qui était litigieuse, la durée du délai de préavis étant fonction de la rémunération annuelle du travailleur – dont la fixation, en l’espèce, dépendait d’un élément dont l’évaluation n’était pas certaine, s’agissant d’un avantage de toute nature.