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La concomitance entre le début d’une incapacité de travail et le licenciement ne rend pas par elle-même celui-ci discriminatoire.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2023, R.G. 2020/AB/264

Mis en ligne le mardi 30 janvier 2024


C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2023, R.G. 2020/AB/264

Dans un arrêt du 13 juillet 2023, la Cour du travail de Bruxelles reprend l’enseignement de la Cour constitutionnelle, étant que les faits à établir par la personne qui se plaint d’être victime d’un comportement discriminatoire au sens de la loi du 10 mai 2007 doivent être suffisamment graves et pertinents et qu’il ne suffit pas de prouver que l’on a fait l’objet d’un traitement défavorable. Il faut également établir des faits qui semblent indiquer que celui-ci a été dicté par des motifs illicites.

Les faits

Un magasinier prestant dans un supermarché depuis 2017 est tombé en incapacité de travail le 23 mai 2019. Cette incapacité était prévue pour une durée de 4 semaines.

Le premier jour de celle-ci, la société lui notifia sa décision de mettre fin à son contrat de travail, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

L’intéressé demanda à connaître les motifs du licenciement. La société ne réserva aucune suite à sa demande.

Rétroactes de procédure

Une procédure fut introduite devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, dans laquelle le travailleur demandait condamnation de la société à diverses sommes suite à la rupture. Il s’agit d’une part d’un solde d’indemnité compensatoire de préavis, d’une prime de fin d’année et d’écochèques et de l’autre d’une indemnité pour licenciement discriminatoire (et à titre subsidiaire, pour licenciement manifestement déraisonnable). Enfin il sollicitait la condamnation de la société à une amende civile, telle que prévue dans la convention collective n° 109.

Par jugement du 10 mars 2020 (jugement par défaut), le tribunal fit droit à la demande en ce qu’elle tendait au paiement des sommes dues suite à la rupture, à l’amende civile et à l’indemnité forfaitaire pour licenciement discriminatoire. Le tribunal condamna également à la société aux dépens.

Appel a été interjeté par la société, qui demande à la Cour de débouter l’intéressé de toutes ces demandes.

Quant à celui-ci, il reprend les mêmes chefs de demande que devant le tribunal.

La décision de la Cour

La Cour confirme d’abord le droit de l’intéressé à la prime de fin d’année et aux écochèques.

Pour ce qui est de la prime de fin d’année, elle se fonde sur la convention collective de travail du 4 septembre 2007, convention collective conclue au sein de la commission paritaire n° 201. Celle-ci suppose l’occupation du travailleur à temps plein pendant une période de référence complète, qui s’étend du mois d’août d’une année au mois de juillet de l’année suivante, la prime étant payée avec le salaire du mois d’août ou éventuellement lors du décompte final. En cas de temps partiel, la prime est proratisée.
Examinant les conditions de travail de l’intéressé, dont le régime de travail a évolué au fil du temps, la Cour retient que celui-ci a droit pour l’année 2018 à une prime calculée au prorata de sa période d’occupation et de son régime de travail au cours de la période de référence. La Cour constate également que la prime de l’année 2019 a été payée et qu’elle n’est d’ailleurs plus réclamée.

En ce qui concerne les écochèques, la cour reprend la convention collective de travail du 4 février 2014 conclue au sein de la même commission paritaire. Celle-ci prévoit en faveur des employés de ce secteur des écochèques de 250€ pour un temps plein, occupé pendant une période de référence se calculant ici du mois d’avril au mois de mars de l’année suivante, la prime étant payée en avril. Les travailleurs à temps partiel voient leur prime proratisée en cas de régime de travail à temps partiel. La société est ici condamnée à une régularisation, ce poste étant accepté.

La cour examine ensuite le droit de l’intéressé à un complément d’indemnité compensatoire de préavis. Il a en effet presté dans le cadre de contrats d’intérim avant d’être engagé comme employé à durée indéterminée. Elle reprend dès lors les règles applicables dans une telle situation, rappelant que la période d’occupation comme travailleur intérimaire doit être prise en considération dans l’ancienneté à trois conditions, étant que (i) l’engagement doit suivre la période de travail intérimaire, (ii) la fonction doit être identique et (iii) elle ne doit pas être interrompue par une période d’inactivité de plus de 7 jours.

La cour constate en l’espèce que si l’engagement a duré indéterminée a suivi la période où l’intéressé a été occupé en qualité d’intérimaire, ce n’est pas dans la même fonction, la fonction initiale étant celle de caissier/réassortisseur, alors que le contrat à durée indéterminée concerne des fonctions de magasinier. Le complément réclamé n’est dès lors pas dû à ce titre.

Après avoir réglé rapidement la question de l’amende civile, point sur lequel elle fait droit à la demande du travailleur, vu l’absence de réponse de l’employeur, la cour passe à l’examen de l’indemnité pour discrimination. L’intéressé, se prévalant de la loi du 10 mai 2007, fonde sa demande sur l’état de santé.

La cour rappelle ici les principes, étant que cette loi interdit toute forme de discrimination fondée sur l’un des critères protégés et que l’état de santé, dans sa version applicable à l’époque, concernait l’état de santé actuel ou futur, visant ainsi tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur, au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment.

Pour établir l’existence d’une discrimination, il faut, comme la Cour constitutionnelle l’enseigne dans son arrêt du 12 février 2009 (C. Const., 12 février 2009, n° 17/2009, point B.93.3) interpréter la règle de preuve insérée dans la loi en ce sens qu’il n’est pas question d’un renversement de la charge de la preuve si la victime n’a pas prouvé des faits qui laissent présumer l’existence d’une discrimination. Ceci implique qu’elle doit établir que le défendeur a commis des actes ou donné des instructions qui pourraient de prime abord être discriminatoires. La Cour constitutionnelle a précisé par rapport à ces éléments (figurant déjà dans les travaux préparatoires) que les faits en question doivent être suffisamment graves et pertinents et qu’il ne suffit pas de prouver que l’on a fait l’objet d’un traitement défavorable. Il faut également établir des faits qui semblent indiquer que celui-ci a été dicté par des motifs illicites.

En l’espèce, si le licenciement est intervenu le lendemain de la réception du certificat médical, il ressort du dossier que l’employeur avait entamé des démarches précédemment auprès du secrétariat social en vue d’envisager la rupture du contrat. L’intention de rompre est antérieure au début de l’incapacité de travail et la seule coïncidence dans le temps ne permet pas de présumer que le licenciement est intervenu en raison de l’état de santé du travailleur. La présomption de discrimination ne peut dès lors s’appliquer.

Passant ensuite à l’examen du chef de demande relatif à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, la Cour donne d’abord sur le plan des principes son interprétation de la disposition. Pour être manifestement déraisonnable, le licenciement doit répondre à au moins un des 2 critères suivants : (i) il se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur et qui ne sont pas fondés sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise ; (ii) le licenciement n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable.

Vu l’absence de réponse de l’employeur à la demande de notification des motifs concrets, la cour note que c’est à ce dernier qu’incombe la charge de la preuve, étant que la société doit établir que le licenciement n’entre pas dans une des deux hypothèses ci-dessus. Après un examen des éléments du dossier, la cour constate que la société ne dépose pas de pièces à l’appui des motifs qu’elle invoque et qu’il y a absence de toute preuve de motif.

Sur le quantum, en l’absence d’éléments particuliers plaidant pour une indemnité plus ou moins élevée, elle fixe l’indemnité au montant médian, soit 10 semaines de rémunération.

Intérêt de la décision

Ce cas d’espèce tranché par la Cour du travail de Bruxelles est exemplatif des particularités de la législation en matière de discrimination.

Dans son arrêt du 12 février 2009 (rendu sur un recours en annulation de dispositions diverses de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, ainsi que les lois du 10 mai 2007 tendant à lutter d’une part contre certaines formes de discrimination et d’autre part contre la discrimination entre les hommes et les femmes), la Cour constitutionnelle a précisé les exigences quant à la preuve à apporter par la partie demanderesse, qui se prétend victime d’un comportement ou acte discriminatoire et sollicite l’application de la loi du 10 mai 2007.

Elle a souligné que selon les travaux préparatoires la législation en matière de discrimination ne peut pas fonctionner efficacement sans un déplacement équilibré de la charge de la preuve. Celle-ci incombe ainsi à la fois au travailleur et à l’employeur, par un mécanisme de présomption légale.

Pour que cette présomption légale soit activée, le plaignant doit, dans un premier temps, prouver des faits, qui doivent être suffisamment graves et pertinents. En outre, il ne suffit pas d’établir qu’il a fait l’objet d’un traitement défavorable. Pour la Cour constitutionnelle, un autre élément de preuve doit être apporté, étant que ceux-ci semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites.

Les faits ne peuvent par ailleurs pas avoir un caractère général, mais doivent pouvoir être imputés spécifiquement à l’auteur de la distinction lui-même.

Point en ce qui concerne la discrimination indirecte, la même exigence est posée. Il ne suffit pas de démontrer, sur la base statistique, qu’un motif apparemment neutre lèse des personnes caractérisées par un critère protégé, mais encore que le défendeur était conscient de cette situation. Les données statistiques doivent par ailleurs satisfaire à des exigences de qualité, permettant au juge d’exercer son contrôle.

Ce n’est qu’à ces conditions que la présomption légale sera applicable.


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