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Refus de mi-temps médical et législation anti- discrimination

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège, 24 octobre 2023, RG/1.038/A

Mis en ligne le mercredi 31 janvier 2024


Prés. Trib. trav. Liège, 24 octobre 2023, RG/1.038/A

Dans une ordonnance du 24 octobre 2023, le Président du Tribunal du travail de Liège, renvoyant à l’arrêt Ring de la Cour de Justice de l’Union européenne, constate, à propos d’un refus d’un mi-temps médical à un travailleur victime d’un accident du travail, qu’il y a discrimination fondée sur le critère du handicap vu le refus d’un aménagement raisonnable et en ordonne la cessation.

Les faits

Un chauffeur du TEC subit un accident du travail en décembre 2019, laissant essentiellement des séquelles orthopédiques. Dans le cadre de l’incapacité de travail, le conseiller en prévention – médecin du travail ainsi que le médecin-conseil de la mutuelle recommandèrent une reprise du travail à mi-temps uniquement ou un changement de poste de travail.

Un litige survint à la date du 31 août 2021, l’employeur refusant la prolongation du mi-temps médical, qui avait été accepté jusqu’alors.

En décembre 2021, l’intéressé fut examiné par le conseiller en prévention – médecin du travail, qui conclut à une aptitude à la fonction. Aucune recommandation n’était formulée.

Le travailleur considérera ne pas pouvoir reprendre autrement que dans un mi-temps médical, produisant divers rapports médicaux.

Les relations entre parties devinrent difficiles, l’intéressé considérant qu’il y avait des actes de harcèlement/discrimination posés à son encontre.

La procédure

Il introduisit devant le président du tribunal du travail de Liège une action en cessation de faits de harcèlement moral et de discrimination.

Un médiateur fut désigné par ordonnance du 4 mai 2022 mais sa mission n’aboutit pas.

La procédure fut dès lors poursuivie et, dans le cadre de celle-ci, UNIA déposa une requête en intervention volontaire, vu la problématique de la discrimination.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur sollicite que soit reconnue l’existence d’une discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007 et que sa cessation soit ordonnée, avec injonction à l’employeur en vue de la poursuite du mi-temps médical tant que le handicap le justifierait et condamnation à des dommages et intérêts de six mois de rémunération. En outre il demande de constater l’existence de faits de harcèlement moral, d’en ordonner la cessation et de prendre les mesures appropriées à définir en cours de procédure avec une demande de condamnation à six mois de rémunération au titre de dommages et intérêts.

L’employeur, qui conteste par ailleurs la compétence territoriale du tribunal, demande sur le fond de dire que l’action est non fondée ou devenue sans objet. Il développe une thèse à titre subsidiaire en vue de la limitation de l’indemnisation forfaitaire du préjudice pour discrimination à trois mois. Il sollicite également le débouté du demandeur sur la question du harcèlement.

UNIA appuie la position du demandeur sur les mesures sollicitées ainsi que sur la demande de dommages et intérêts pour ce qui est de la discrimination. L’institution sollicite également la publication de la décision avec affichage et astreinte, ajoutant une demande de dommages et intérêts pour ce qui la concerne, fixés à 1.300 € à majorer de l’indemnité de procédure.

La décision du tribunal

Le tribunal admet qu’il est territorialement compétent pour connaître de la cause, et ce sur pied de l’article 627, 9°, du Code judiciaire. Il rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 16 février 2015 (Cass.,16 février 2015, S.13.0085.F), qui a précisé que cette disposition n’est impérative qu’en faveur du seul travailleur et que celui-ci peut y renoncer, s’agissant d’une disposition protectrice en sa seule faveur. Il pouvait dès lors, en l’espèce, choisir la règle supplétive de l’article 624, 1°, du Code judiciaire, qui autorise le demandeur à porter son action devant le juge du domicile du défendeur.

Le tribunal examine, ensuite, le fondement, abordant d’abord la question de la discrimination, et y réserve d’importants développements en droit, rappelant d’abord les textes et ensuite l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 11 avril 2013 (C.J.U.E., 11 avril 2013, HK Danmark, Aff. jointes C–335/11 et C–337/11 – dit « Ring ») et reprend la définition du handicap : c’est la limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs.

Se référant aux éléments de fait et à la poursuite de l’incapacité temporaire, il retient que le demandeur est victime d’une entrave durable à une pleine et effective participation à la vie professionnelle, soulignant qu’une approche sociale s’ajoute à une approche médicale du handicap. L’on ne peut limiter la définition du handicap au seul concept d’état de santé actuel et futur.

Il en vient ensuite aux principes en la matière, examinant minutieusement la question de la mise en place d’aménagements raisonnables au sein de l’entreprise. Il considère que le demandeur apporte la preuve de refus d’aménagement, à savoir du mi-temps médical, l’explication donnée par l’employeur ne reposant pas sur une analyse concrète des besoins de la personne handicapée.

Le handicap et le refus de mettre en place des aménagements raisonnables ayant été démontrés, il examine si l’employeur démontre que l’aménagement en cause entraîne pour lui une charge disproportionnée dans sa mise en place.

Les explications de ce dernier, selon lesquelles cette demande contreviendrait à une convention collective sectorielle du 30 juin 2008 (selon laquelle le travail dans un régime de prestations à mi-temps peut être autorisé pour une durée maximale de trois mois en vue d’une reprise de prestations à temps plein – avec possibilité de prolongation exceptionnelle), au motif de l’obligation pour lui de respecter la hiérarchie des normes figurant à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Cette convention collective ne peut primer la loi.

L’employeur faisant également valoir le caractère non raisonnable de l’aménagement, le tribunal se livre à un examen approfondi des éléments de fait, analysant les exigences organisationnelles, et conclut en rappelant que l’aménagement raisonnable implique une analyse des besoins concrets de la personne handicapée et qu’il s’agit de statuer sur la situation actuelle du travailleur et non d’anticiper les éventuels cas futurs d’un recours abusif (ou non) au temps partiel. Il insiste encore sur la nécessité de reprise progressive du travail, celle-ci étant d’ailleurs préconisée par plusieurs médecins.

Cette reprise, qui est un aménagement raisonnable au sens de la loi anti – discrimination, n’est ni insurmontable ni disproportionnée. Sans négliger la possibilité d’existence de difficultés d’organisation et de planification du travail, le tribunal retient qu’il faut avoir égard au fait que l’intéressé ne travaille plus depuis plus de deux ans, et ce malgré sa volonté de reprendre ses fonctions de façon compatible avec son handicap. Le refus d’aménagements raisonnables – et par conséquent la discrimination – étant établis, le tribunal fait droit à la demande.

Sur l’indemnisation forfaitaire du préjudice subi du fait de la discrimination, il accueille la demande de l’employeur de limiter celle-ci à trois mois, et ce au motif qu’il aurait refusé l’octroi ou la prolongation d’un mi-temps à n’importe quel chauffeur, quel que soit le fondement de la demande, le traitement défavorable étant ainsi susceptible d’être adopté même en l’absence de discrimination.

Enfin, ayant fait droit à la demande de discrimination, le tribunal se penche sur l’existence de faits de harcèlement mais ne retient pas l’existence de celui-ci, vu l’absence de conduites abusives et répétées au sens des textes légaux.

Le tribunal condamne l’employeur aux dépens, retenant le droit pour UNIA à une indemnité de procédure (sa demande de dommages et intérêts ayant préalablement été rejetée dans une brève motivation).

Intérêt de la décision

La notion d’aménagements raisonnables dans le cadre de la protection du handicap dans les relations de travail a fait l’objet de nombreux cas d’application en jurisprudence, intégrant les décisions rendues en la matière par la Cour de Justice de l’Union européenne.

La question de savoir si l’adaptation du régime de travail constitue une telle mesure a été tranchée dans l’arrêt Ring, rappelé dans l’arrêt commenté.

Rappelons, pour son intérêt particulier, un arrêt du 1er mars 2023 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 1er mars 2023, R.G., 2017/AB/136 – précédemment commenté), qui a repris l’arrêt de la Cour de Justice du 10 février 2022 (C.J.U.E., 10 février 2022, n° C-485/20, X c/ HR RAIL SA, EU:C:2022:85), où celle-ci, interrogée par le Conseil d’Etat belge (C.E., 30 juin 2020, n° 247.959) sur l’existence d’une obligation - en vertu de de l’article 5 de la Directive n° 2000/78/CE - d’affectation d’un stagiaire à un autre poste, a répondu que la notion d’aménagements raisonnables implique qu’un travailleur, y compris celui accomplissant un stage consécutif à son recrutement, qui, en raison de son handicap, a été déclaré inapte à exercer les fonctions essentielles du poste qu’il occupe, doit être affecté à un autre poste pour lequel il dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises, sous réserve qu’une telle mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée. La notion couvre dès lors clairement l’obligation de réaffectation.
La cour du travail a également renvoyé à la même décision sur la question de la charge disproportionnée, critère pour lequel il convient de tenir compte notamment des coûts financiers impliqués, mais également de la taille et des ressources financières de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide.


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