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Lien de subordination et statut d’« associé actif »

Commentaire de C. trav. Mons, 17 mai 2023, R.G. 2019/AM/445

Mis en ligne le jeudi 8 février 2024


C. trav. Mons, 17 mai 2023, R.G. 2019/AM/445

La cour du travail de Mons a rappelé, dans un arrêt du 17 mai 2023, la définition de l‘associé actif : c’est celui qui non seulement détient une part du capital et en recueille les fruits mais encore exerce au sein de la société une activité non salariée dans le but de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie.

Les faits

Une société exploitant des commerces de librairie/boulangerie (trois unités d’établissement), ayant un gérant commun, a fait l’objet, dans l’un de ses établissements, d’un contrôle de l’O.N.S.S. le 17 février 2017. Quatre personnes y étaient occupées. Deux d’entre elles ont déclaré être indépendantes avec le statut d’associé actif et les deux autres ont signalé être à l’essai. Aucune déclaration DIMONA n’avait été complétée pour celles-ci.

Peu après, un deuxième contrôle est intervenu dans un autre établissement, où la présence au travail d’une personne fut également constatée : celle-ci déclara être indépendante, associée active depuis plus d’un an.

Le gérant de la société fut auditionné. Il précisa travailler avec des associés actifs pour la flexibilité de leurs horaires de travail, préférant également ce statut par « facilité pour la gestion du personnel ». Il ajouta que ceux-ci n’avaient pas le choix du statut, qui était à prendre ou à laisser.

Après ces contrôles, des conventions de prestations de services en qualité d’associé actif furent signées.

Une enquête approfondie a été poursuivie au sein du service Direction du contrôle de l’O.N.S.S. De nouvelles auditions ont eu lieu, suite auxquelles l’O.N.S.S. considéra que le statut social de travailleur indépendant ne correspondait pas à la réalité et que les intéressés devaient être assujettis au statut social des travailleurs salariés.
Les périodes furent précisées pour chacun.

La décision fut notifiée à la société, dûment motivée. Elle précisait qu’une requalification de la relation était nécessaire, donnant des explications détaillées sur les critères généraux de la loi du 27 décembre 2006 (volonté réelle des parties, liberté d’organisation du temps de travail, liberté d’organisation du travail lui-même et possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique). Ces critères étaient, pour l’O.N.S.S., remplis.

La société contesta cette décision et introduisit une procédure judiciaire devant le tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière).

Par demande reconventionnelle, l’O.N.S.S. postula le paiement de cotisations de sécurité sociale de l’ordre de 34.000 €, à augmenter des accessoires
.
Le recours fut rejeté par jugement du 7 novembre 2019, le tribunal faisant par ailleurs droit à la demande de l’O.N.S.S. La société interjette appel.

Les arrêts de la cour

La cour a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 17 février 2021

Vu les attestations déposées par 4 des 5 travailleurs visés (attestations de 2019), contestant les conditions dans lesquelles leurs dépositions avaient été recueillies (déclarations orientées par les inspectrices), la cour ordonna la communication de la cause au Ministère public, invitant l’auditorat général à faire usage des pouvoirs lui conférés par l’article 138ter du Code judiciaire et à faire procéder à de nouvelles auditions, en veillant à ce que les réponses soient retranscrites dans les termes utilisés par les intéressés.

L’arrêt du 17 mai 2023

La cour reprend la position des parties à ce stade de la procédure.

La société persiste à considérer que l’O.N.S.S. ne prouve rien et que le vécu quotidien de la relation de travail ne permet pas d’écarter la qualification retenue par les parties (exercice des prestations en toute autonomie, directives limitées dans le cadre d’instructions générales justifiées par les nécessités du travail, possibilité pour les intéressés de travailler auprès de tiers s’ils le souhaitaient, obligation de prévenir la société en cas d’absence mais non de justifier de celle-ci, matériel appartenant à la société).

La société fait également valoir que les horaires étaient fixés au regard de nécessités économiques et que le pouvoir de direction et de contrôle n’est pas démontré.

Quant à l’ONSS, il souligne que les conventions ont été signées postérieurement à l’entrée en fonction et après le contrôle de son service d’inspection. Il insiste sur la déclaration du gérant selon laquelle les travailleurs ne se sont pas vu proposer un travail salarié et n’avaient pas le choix de leur statut. Il expose également que les travailleurs ne participaient pas au risque de l’entreprise et que le commerce était l’affaire personnelle du patron. L’O.N.S.S. relève encore des éléments de fait déduits des auditions, relatifs à l’absence de liberté d’organisation du travail, à l’obligation de respecter des contraintes, à l’existence d’un contrôle hiérarchique et à l’ignorance totale de la vie de la société (ignorance de la situation bilantaire, comptable et financière).

La cour reprend ensuite les principes guidant la qualification de la relation de travail, faisant un rappel très approfondi de la notion de subordination, dans lequel elle reprend l’évolution de la question et souligne que la loi programme du 27 décembre 2006 confirmé le schéma à suivre, mis en place par la jurisprudence de la Cour de cassation.

Lorsqu’il a relevé des éléments établissant le lien de subordination, à savoir un contrôle et une surveillance directe sur les prestations de travail d’une personne effectuant des prestations de simple exécutant qui n’apporte que sa force de travail, le juge du fond apprécie régulièrement la valeur probante de ces éléments pour procéder à une requalification (17e feuillet de l’arrêt – renvoyant à Cass., 12 mai 2003, Rev. rég. Dr., 2003, p. 194 et Cass., 22 mai 2006, S.05.0014.F).

La cour épingle encore plus particulièrement trois arrêts phares de la Cour de cassation (Cass., 18 octobre 2010, S.10.0023.N, 6 décembre 2010, S.10.0073.F et 26 mars 2013, P.12.0387.N), dont elle reprend de larges extraits.

Il en ressort que la primauté donnée à l’écrit ne crée pas une présomption mais que celui qui entend s’écarter de l’écrit doit apporter la preuve des indices incompatibles avec la qualification donnée par les parties à la convention en se fondant sur les critères généraux. La qualification donnée par celles-ci n’est dès lors pas un indice neutre, seul l’intitulé de la convention n’ayant pas d’incidence.

Pour la cour, il faut donc prendre comme point de départ la convention – écrite ou non – qui reflète la volonté commune des parties et, pour s’écarter de celle-ci (à la demande d’une partie ou d’un tiers – l’O.N.S.S. en l’occurrence), examiner l’exécution qui lui a été donnée et vérifier si des éléments inconciliables avec cette qualification sont établis par référence aux critères généraux.

Ces critères d’éléments inconciliables sont au nombre de trois étant (i) la liberté d’organisation du travail (définition des tâches à accomplir, détermination du lieu de travail, moyens et procédés à mettre en œuvre, faculté de se faire assister ou de se faire remplacer), (ii) la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique sur le travail (le contrôle ne devant pas être effectif mais pouvant être possible et étant susceptible de déboucher sur des sanctions) et (iii) la liberté d’organisation du travail (obligation de respecter des horaires, une durée du travail ou encore des périodes de vacances et de prévenir et de justifier de ses absences).

La cour procède à un examen des éléments en sa possession, relevant l’apport des auditions complémentaires réalisées par l’inspection de l’O.N.S.S. (en 2021) notamment sur les circonstances dans lesquelles les attestations (de 2019) ont été obtenues par le gérant de la société. L’ensemble des travailleurs y a confirmé le contenu de leur audition initiale recueillie par les services d’inspection et dénoncé la manipulation dont ils avaient fait l’objet de la part du gérant, les attestations déposées en 2019 ayant été rédigées par le gérant lui-même, qui les a priés de les signer.

Aussi, la cour décide-t-elle de n’accorder aucun crédit à ces attestations, constatant que la société, par l’entremise de son gérant, s’est livrée à une instrumentalisation des intéressés, en vue de manipuler la justice dans l’unique but de faire triompher sa thèse (23e feuillet de l’arrêt).

Elle en vient ainsi aux critères généraux, rappelant, pour ce qui est de la fonction d’associé actif, la définition qu’a donnée de celui-ci la Cour de cassation dans un arrêt du 26 janvier 1987 (Cass., 26 janvier 1987, n°7663), étant que l’associé actif est celui qui non seulement détient une part du capital et en recueille les fruits mais encore exerce au sein de la société une activité non salariée dans le but de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie.

La cour constatant, à partir des déclarations du gérant lui-même, l’absence d’affectio societatis, elle entreprend d’examiner les autres critères, écartant la réalité d’un tel statut.

Elle passe en revue les déclarations au dossier, déclarations très explicites quant aux conditions de travail subordonnées et conclut à l’absence d’autonomie des intéressés tant en ce qui concerne l’organisation du travail que le temps de travail lui-même et l’existence d’un contrôle hiérarchique.

Pour la cour, les déclarations de l’ensemble des travailleurs sont superposables, faisant ressortir que la convention de travail indépendant constitue une pure fiction, dès lors que les modalités de son exécution sont incompatibles avec une prestation de services dans ce cadre.

La cour rejette dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

Les conditions légales autorisant le statut d’associé actif ont été définies clairement par la Cour de cassation. Elles portent sur l’affectio societatis dans le chef de celui-ci, étant son lien particulier avec la société, dans la mesure où non seulement il détient une part du capital et en recueille les fruits mais encore où il exerce au sein de celle-ci une activité non salariée dans le but de faire fructifier ce capital, qui lui appartient en partie.

Dès lors que l’activité ne correspond pas à une activité non salariée, les conditions de la requalification sont présentes et le contrôle du lien de subordination peut intervenir selon les critères généraux de la loi du 27 décembre 2006.

Notons sur la question deux arrêts récents.

Le premier, également de la Cour du travail de Mons, a considéré qu’au-delà des contraintes d’organisation exigées en vue du fonctionnement de la société, lorsque celle-ci peut imposer aux associés actifs le contenu de leur travail (ainsi que les heures de prestation et les critères de fixation de prix) et que l’activité de ceux-ci tend non à faire fructifier le capital qu’ils auraient investi mais à justifier une rémunération, qui elle-même est fonction des seules prestations professionnelles fournies sous le contrôle permanent d’un administrateur-délégué, les conditions de l’affectio societatis caractéristique de l’activité de l’associé actif ne sont pas réunies. Ces éléments sont inconciliables avec une collaboration indépendante (C. trav. Mons, 8 février 2023, R.G. 2022/AM/44).

Par ailleurs, la Cour du travail de Bruxelles a précisé que pour avoir le statut d’associé actif, il faut qu’il y ait un apport réel en capital, l’intention de le faire fructifier, tout en risquant de le perdre. L’associé actif reçoit en règle une rétribution calculée en fonction du bénéfice de l’entreprise. Il exerce généralement une fonction qui a un impact direct sur les résultats de la société. Il doit être libre d’organiser son travail sans contrôle hiérarchique. Enfin, il doit participer aux décisions de la société par le biais de l’assemblée générale. Si les éléments ci-dessus ne sont pas réunis, la qualification donnée par les parties à leurs relations de travail peut se révéler incompatible avec l’exécution effective de celles-ci. L’on peut dès lors conclure à l’existence d’un lien de subordination juridique et factuelle (C. trav. Bruxelles, 9 juin 2016, R.G. 2014/AB/525).


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