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Allocations familiales : incidence de domiciles séparés sur l’existence d’une cohabitation

Commentaire de C. trav. Mons, 14 juin 2023, R.G. 2022/AM/121

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2024


C. trav. Mons, 14 juin 2023, R.G. 2022/AM/121

Un arrêt de la Cour du travail de Mons du 14 juin 2023 rappelle que l’inscription dans les registres de la population entraîne une présomption légale quant à la situation de l’attributaire et de l’allocataire. En cas de domiciliations différentes, il appartient à l’institution de sécurité sociale de renverser la présomption de résidence séparée. Ce renversement ne s’opère qu’à la condition que celle-ci démontre l’existence d’une cohabitation ou à tout le moins d’une vie sous le même toit.

Le litige

FAMIWAL a notifié le 18 septembre 2020 à une allocataire une décision en vue de la récupération de suppléments d’allocations familiales pour malade de longue durée (période du 1er février 2015 au 31 mars 2018) et de suppléments pour famille monoparentale indûment octroyés (période du 1er avril 2018 au 31 décembre 2018).

Une deuxième notification est intervenue le 22 septembre pour une récupération d’un indû de suppléments pour famille monoparentale (période du 1 avril 2011 au 31 décembre 2018).

Une troisième décision a été prise le 23 septembre 2020 en vue de la récupération d’un indû au titre de suppléments d’allocations pour chômeurs de longue durée (période du 1er janvier 2019 au 31 août 2020).

Ces décisions ont pour origine une enquête du service de contrôle de l’AVIQ demandée par FAMIWAL à la suite de la naissance du troisième enfant de l’intéressée, qui a déclaré être domiciliée seule avec ceux-ci.

Un contrôle réalisé le 23 septembre 2019 fit apparaître qu’elle confirmait ne plus cohabiter depuis l’année 2010 et élevait seule ses 3 enfants, reconnus par leur père respectif. À ce moment, l’intéressée bénéficie d’allocations de chômage au taux famille à charge.

Le 11 décembre 2019, l’inspection sociale de l’AVIQ a sollicité auprès de l’auditorat du travail du Hainaut, division de Charleroi, la réalisation d’une enquête de voisinage. Celle-ci fut faite en janvier 2020, les personnes entendues confirmant, l’une qu’un homme rentrait tous les jours dans la maison après être parti travailler pendant la journée, une autre qu’elle le voyait tous les jours et une troisième qu’il y avait cohabitation.

C’est à la suite de cette enquête que les notifications de récupération sont intervenues en septembre 2020.

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi. L’intéressée fut déboutée de son action et interjette appel.

La décision de la cour

La cour aborde en premier lieu les règles relatives aux suppléments d’allocations familiales (famille monoparentale, chômeur de longue durée, malade de longue durée) ainsi qu’à la notion de ménage de fait.

Des suppléments sont prévus pour famille monoparentale à trois conditions cumulatives étant que (i) l’allocataire ne forme pas un ménage de fait au sens de l’article 56bis, § 2, des lois coordonnées et n’est pas marié, sauf si le mariage est suivi d’une séparation de fait, la séparation de fait devant apparaître de la résidence principale séparée des personnes, (ii) l’allocataire ne bénéficie pas de revenus professionnels et/ou de remplacement supérieurs au montant journalier maximum de l’indemnité d’invalidité pour travailleur ayant personne à charge et (iii) l’attributaire ne peut ouvrir le droit à un supplément visé à l’article 42bis ou 50ter de la LGAF.

Pour bénéficier du supplément pour chômeur de longue durée, il y a lieu d’être chômeur complet indemnisé, le supplément étant payé à partir du septième mois de chômage. Les attributaires dans cette situation doivent de plus avoir la qualité d’attributaire ayant personne à charge aux conditions déterminées par le Roi. L’arrêté royal du 26 octobre 2004 vise ici l’attributaire qui cohabite avec un ou plusieurs enfants en faveur desquels il ouvre le droit aux allocations familiales et avec son conjoint ou avec une personne avec laquelle il forme un ménage de fait au sens de l’article 56bis, § 2, LGAF. Pour que la qualité d’attributaire ayant personne à charge soit retenue, est également posée une question de maximum de revenus.

Quant au supplément pour malade de longue durée, il peut être octroyé aux enfants d’un travailleur salarié ou indépendant invalide et aux enfants d’autres attributaires assimilés, étant les travailleurs malades ou victimes d’un accident du travail ou la travailleuse salariée pendant la période de protection de maternité. Pour bénéficier du supplément, ils doivent en règle être malades depuis plus de 6 mois. Le travailleur (salarié ou indépendant) doit également avoir la qualité d’attributaire avec personne à charge.

Quant à la notion de ménage de fait, la cour rappelle l’article 56bis, § 2, LGAF, la preuve de la cohabitation résultant en principe du registre national, exception faite des cas dans lesquels il apparaît sur base d’éléments probants que la situation ne correspond pas à l’information qui figure dans celui-ci. La cour souligne les termes actuels de la réglementation, étant que l’article 107, § 2, alinéa premier du Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales prévoit que les informations obtenues auprès du registre national des personnes physiques et consignées sur une fiche d’identification versée au dossier font foi jusqu’à preuve du contraire.

Un régime transitoire est intervenu suite à la régionalisation des allocations familiales, la loi générale ayant pour certaines dispositions continué à s’appliquer après le 1er janvier 2019 aux enfants nés au plus tard le 31 décembre 2019 (avec plafond de revenus du ménage).

La cour souligne encore que la notion d’attributaire a été supprimée par le décret wallon et que ce terme doit s’entendre comme le parent au premier degré ou toute autre personne définie à l’article 120, al. 3 et 4 du décret.

Elle constate en l’espèce qu’il y a eu des domiciliations différentes pendant toute la période litigieuse et qu’il appartient dès lors à FAMIWAL de renverser la présomption de résidence séparée. Ceci a été admis par le tribunal, qui a retenu des présomptions graves, précises et concordantes permettant de supposer l’existence d’une cohabitation.

La cour reprend l’ensemble des éléments de fait dégagés lors des enquêtes intervenues et notamment l’enquête de voisinage. Elle conclut cependant que ces éléments, pris isolément ou dans leur ensemble, ne suffisent pas au renversement de la présomption. Celui-ci ne s’opère qu’à la condition que l’institution de sécurité sociale démontre l’existence d’une cohabitation ou à tout le moins d’une vie sous le même toit, ce qui n’est pas établi en l’espèce.

La cour renvoie également à une enquête de l’ONEm, où divers devoirs ont été effectués, dont une analyse des consommations en eau et électricité. Si celle-ci fait apparaître la faible importance des consommations du tiers à son adresse, la cour estime qu’il ne peut en être déduit pour autant qu’il vivait nécessairement avec la mère des enfants plutôt que chez ses parents à lui ou à une autre adresse. Chez la mère, les consommations sont estimées correspondre à un ménage de deux adultes pour l’eau et un ménage de cinq adultes pour l’électricité. La cour relève à cet égard que ces estimations ne sont pas concluantes, étant soit trop basses soit trop hautes par rapport à la réalité.

Une visite au domicile a également eu lieu avec l’accord de l’intéressée et celle-ci n’a pas permis de relever une présence masculine dans la maison (notamment absence de tout vêtement de chantier ou d’autres effets personnels). La cour relève encore que l’enquête de l’ONEm - plus approfondie que celle de FAMIWAL - a conclu que la situation déclarée était conforme à la réalité.

Pour la cour, si cette décision ne lie pas l’institution de sécurité sociale en la présente cause, ni les juridictions sociales, l’assuré social est quant à lui en droit de s’attendre à ce que les institutions de sécurité sociale et les autorités administratives n’appréhendent pas sa situation de fait de manière totalement divergente, voire contradictoire.

La cour conclut que la présomption n’est pas renversée.

Intérêt de la décision

Le renversement de la présomption issue des mentions du registre national a donné lieu à plusieurs arrêts de la Cour du travail de Mons en juin dernier. Ceux-ci présentent un intérêt particulier eu égard aux éléments susceptibles de constituer des indices du renversement de celle-ci. Il s’agit de cas d’espèce présentant la caractéristique commune d’inscriptions à des adresses séparées dans le registre de la population, entraînant une présomption (réfragable) de vies séparées.

Dans un autre arrêt de la même date (2022/AM/164), la cour relève le caractère incomplet du dossier administratif (l’affaire ayant démarré sur la base d’une « dénonciation »). Sur le plan de la preuve, elle souligne que la mère parvient quant à elle à démontrer qu’elle résidait effectivement seule avec ses enfants, produisant l’intégralité des extraits du compte bancaire dont il ressort qu’elle prenait en charge les frais fixes relatifs à son logement ainsi qu’à divers abonnements.

Dans un arrêt du 26 juin 2023 (R.G. 2022/AM/165), le couple avait également conservé des domiciles officiels séparés. La cour a retenu comme éléments de nature à contribuer au renversement de la présomption la naissance de deux enfants reconnus par le père, la copropriété de l’immeuble occupé par la mère et le refinancement en commun de l’emprunt hypothécaire (pour lequel le couple s’est déclaré cohabitant dans les documents d’ouverture de crédit) et autres éléments factuels annexes. La cour souligne dans son arrêt qu’il s’agit d’indices sérieux que les mentions du registre national ne sont pas conformes à la réalité et que la preuve de la cohabitation implique de démontrer l’existence d’une vie principalement sous le même toit et de la mise en commun des ressources. Dans cette affaire, la cour s’est également fondée sur un rapport de contrôle de l’ONSSAPL et a retenu une évolution de la situation pendant la période litigieuse permettant de fixer une date certaine de la cohabitation (vu les déclarations faites à ce moment à l’organisme bancaire dans le cadre du refinancement de l’immeuble).

Dans un autre arrêt du 26 juin 2023 (2022/AM/197), la cour s’est largement fondée sur la décision du CPAS, des autorités communales ainsi que de FAMIWAL (le recours concernant l’ASBL Kids Life Wallonie). Elle a rappelé les attentes légitimes d’un assuré social par rapport aux positions des institutions de sécurité sociale et des autorités administratives quant à sa situation administrative influençant le montant de la prestation social à laquelle il a droit.

Dans un précédent arrêt du 5 juin 2023 (2022/AM/159), elle avait rappelé l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 février 2021, qui invite à une analyse très factuelle de la situation de l’allocataire social, ce qui implique de se pencher concrètement sur sa situation financière et domestique. Pour la cour, cette analyse - intellectuellement séduisante – se heurte en pratique à la matérialité des preuves et au respect de la vie privée et familiale des allocataires sociaux.


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