Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 20 juin 2023, R.G. 21/1.040/A
Mis en ligne le jeudi 4 avril 2024
Trib. trav. Liège (div. Liège), 20 juin 2023, R.G. 21/1.040/A
Un jugement du 20 juin 2023 rendu par le tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle la distinction entre ces concepts, l’offre ou la promesse unilatérale du contrat supposant que les éléments essentiels et substantiels en soient fixés, au contraire de la simple proposition ouvrant la porte à des négociations.
Les faits
Le directeur financier d’une société métallurgique reçut en août 2019 un courrier de son employeur, l’informant de perspectives le concernant en cas de réalisation d’une opération de cession projetée.
L’employeur y précisait s’engager en cas de reprise d’activité par un nouvel acquéreur à lui proposer dans un délai de six mois maximum à compter de la date effective et légale de la reprise de la société par celui-ci un reclassement au sein des équipes du au groupe en gardant les mêmes conditions salariales et le même niveau d’ancienneté. Il ajoutait (utilisant ici le mode conditionnel) qu’il s’engageraait en outre dans ces mêmes circonstances, délais et conditions, à mettre en œuvre tous les moyens en vue de lui permettre de retrouver un emploi correspondant à sa compétence et son niveau de responsabilité dans une filiale ou à l’intérieur du groupe dans la mesure de sa mobilité géographique et des opportunités. Passé ce délai de six mois, il appartiendrait au nouvel acquéreur d’assumer l’entière responsabilité d’une proposition de reclassement au sein d’une de ses sociétés ou filiales.
Ce même courrier fut adressé à un autre cadre, directeur général de la société quelques mois plus tard.
L’opération se réalisa et la société fut cédée à un fonds d’investissement. Le changement d’actionnariat n’eut aucun impact sur le contrat de l’intéressé, qui fut maintenu à son poste de directeur financier et garda les mêmes conditions de travail et de rémunération.
Trois mois plus tard, il adressa un courriel au président du conseil d’administration, précisant que la société avait à ce moment été reprise depuis trois mois et qu’il souhaitait bénéficier de la possibilité de reclassement annoncée. Le président du conseil d’administration signala alors qu’il n’entendait pas donner suite à la demande, dans la mesure où l’intéressé avait conservé son emploi au sein de la société nouvelle.
Après l’expiration du délai de six mois, l’intéressé fit intervenir son conseil, qui constata qu’à aucun moment au cours du délai de six mois ci-dessus le moindre reclassement n’avait été proposé à son client. Il considérait le courrier adressé en 2019 comme une promesse de contrat et poursuivait que ne pas donner suite à celui-ci et se rétracter sans justification constituait un comportement fautif, constituant un refus de permettre à l’intéressé de poursuivre sa carrière au sein de la société et partant une rupture des relations contractuelles à l’initiative de l’employeur. Il ajoutait encore que l’engagement pris ne devait pas être compris comme étant limité à l’hypothèse d’un licenciement par le nouvel employeur dans les six mois suivant la reprise, ce qui ne figurait pas dans le courrier. La société était par conséquent mise en demeure de verser une indemnité compensatoire de préavis, évaluée conditionnellement à plus de 400 000 €.
Les parties restèrent sur leur position et une procédure fut lancée. Le demandeur continua à être occupé en qualité de directeur financier par la société repreneuse.
Objet de la demande devant le tribunal
L’objet de la demande a été modifié en cours d’instance, celle-ci étant libellée dans la requête introductive d’instance à titre principal comme tendant à l’octroi de dommages et intérêts pour violation d’un engagement contractuel ou à tout le moins d’une indemnisation pour « perte de chance » de pouvoir être reclassé. A titre subsidiaire, elle visait la responsabilité précontractuelle.
Dans le cadre de ses conclusions, l’intéressé postule une indemnité compensatoire de préavis et subsidiairement des dommages et intérêts.
Le montant de la demande est de 25.000 € provisionnels dans chacune des formulations.
La position des parties devant le tribunal
Pour le demandeur, le courrier litigieux vaut offre ou promesse de conclure dans l’avenir et à son gré un contrat de travail dans un délai de six mois à compter de la reprise de la société par le fonds d’investissement, engagement non conditionné à un licenciement.
Pour la société, le courrier ne vaut ni offre ni promesse de conclure un contrat de travail, une offre devant être ferme, claire, précise et non équivoque (conditions non rencontrées en l’espèce). Il peut tout au plus s’agir d’une lettre d’intention, le contenu étant hypothétique et des conditions devant être remplies (concrétisation d’une cession ou vente et perte de l’emploi dans les six mois suivant celle-ci).
La décision du tribunal
Le tribunal entame l’instruction de la cause par le rappel des articles 5.18 et 5.19 du Code civil.
Le premier définit le contrat : celui-ci est formé par l’acceptation d’une offre.
Le second définit l’offre : c’est une proposition de conclure un contrat qui contient tous les éléments essentiels et substantiels du contrat visé et qui implique la volonté de l’offrant d’être lié par le contrat en cas d’acceptation (…).
Le tribunal rappelle la doctrine (C. DELFORGE, « L’offre de contracter et la formation du contrat », R.G.D.C., 2004, pages 552 – 553 et T. STAROSSELETS, « Offre et acceptation : principes et quelques questions spéciales », Le processus de formation du contrat, CUP, 2004, vol 72, page 18), qui souligne que pour pouvoir être qualifié d’offre la proposition de contrat doit notamment être précise en ce sens qu’elle doit contenir toutes les informations nécessaires relatives aux éléments essentiels du contrat projeté. En l’absence de précision suffisante il s’agit d’une simple invitation à entrer en pourparlers.
Le tribunal reprend également l’article 5.25 du même code, qui définit la promesse : la promesse unilatérale de contrat (contrat d’option) est un contrat par lequel une partie donne à son bénéficiaire le droit de décider de conclure avec elle un contrat dont les éléments essentiels et substantiels sont établis et pour la formation duquel il ne manque plus que le consentement du bénéficiaire.
Les éléments essentiels du contrat de travail étant la rémunération, le travail à fournir ainsi que le lien de subordination, le tribunal constate en l’espèce que si la rémunération est déterminable, il n’en va pas de même du travail à fournir, qui n’est nullement précisé. L’un des trois éléments essentiels requis faisant défaut, il n’y a pas offre ni promesse de contrat.
Il rejette dès lors la demande fondée sur la responsabilité contractuelle.
Il examine ensuite le fondement précontractuel, à partir de l’article 5.125 du Code civil, qui vise l’acte juridique unilatéral, à savoir la manifestation de volonté par laquelle une personne a l’intention de faire naître des effets de droit. L’auteur de cet acte peut notamment s’engager par sa seule volonté en faveur d’autrui.
Le code prévoit également en son article 5.17 que les parties peuvent engager leur responsabilité extracontractuelle l’une envers l’autre pendant les négociations précontractuelles et qu’en cas de rupture fautive des négociations cette responsabilité implique que la personne lésée soit remise dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée s’il n’y avait pas eu négociation.
Le tribunal reprend la position des parties sur ce fondement.
Pour le demandeur, l’engagement de la société était soumis à une seule condition, étant la reprise d’activité par un nouvel acquéreur, la société ayant commis une faute notamment en lui donnant la conviction certaine et indiscutable qu’en cas de cession effective il se verrait proposer à sa demande une offre de reclassement.
La société soutient quant à elle qu’une condition supplémentaire était requise, à savoir qu’il perde son emploi.
Le tribunal entreprend dès lors de rechercher l’intention de la société lorsqu’elle a rédigé le courrier litigieux et déduit que, quoique exprimée maladroitement, cette intention était d’assurer à l’intéressé une proposition de reclassement à la condition qu’il soit licencié. Cette interprétation est confortée par des déclarations au dossier.
Il conclut que la société n’a pas commis de faute et que, en sus, étant toujours en service plus de trois ans après la survenance de la cession, le demandeur n’établit nullement avoir subi un quelconque dommage en lien causal avec la perte d’une chance.
Intérêt de la décision
L’affaire tranchée par le tribunal rappelle la distinction entre une offre, une promesse et l’ouverture de simples négociations.
Le nouveau Code civil définit en son Livre 5 « Les obligations » les concepts de manière claire, en continuité avec les règles précédentes, étant que si une offre est acceptée, il y a contrat mais pour que la proposition faite vaille offre, elle doit contenir tous les éléments essentiels et substantiels du contrat visé.
C’est dès lors très logiquement que, à défaut de préciser les éléments essentiels d’un contrat de travail et en l’occurrence le travail convenu, que la proposition ne peut juridiquement valoir offre.
La même conclusion vaut pour le contrat à option ou promesse unilatérale de contrat, qui est un contrat par lequel une partie donne à son bénéficiaire le droit de décider de conclure un contrat avec elle, contrat dont les éléments essentiels et substantiels sont également établis et pour la formation duquel il ne manque plus que le consentement de l’autre.
Le tribunal a également rappelé la doctrine de DE PAGE (H. DE PAGE, Traité, tome II, 3e éd., 1964, page 494) qui écrit à propos de la promesse unilatérale de contrat qu’il s’agit d’une convention en vertu de laquelle l’une des parties s’engage définitivement envers l’autre à conclure avec elle dans l’avenir et au gré de celle-ci un contrat déterminé, dont la teneur, tout au moins essentielle, est dès à présent précisée.
Les caractéristiques de ces figures juridiques n’étaient pas rencontrées dans la présente espèce.