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Licenciement pour motifs étrangers à l’état de grossesse : exigences en matière de preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 janvier 2024, R.G. 2020/AB/468

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2024


C. trav. Bruxelles, 2 janvier 2024, R.G. 2020/AB/468

Dans un arrêt du 2 janvier 2024, la Cour du travail de Bruxelles confirme, dans le cadre de la protection contre le licenciement en cas de grossesse, que la preuve à apporter des motifs étrangers à cet état doit être formelle et que des allégations subjectives ne sont pas suffisantes.

Les faits

Une médecin généraliste postule en décembre 2017 pour un poste (salarié) dans une maison médicale gérée en autogestion. L’engagement intervient pour un temps partiel et selon un horaire fixe, un contrat à durée indéterminée étant signé fin décembre, pour une entrée en service le 2 janvier 2018.

Fin janvier, l’intéressée demande, lors d’une réunion d’équipe, d’envisager la possibilité de revoir l’horaire d’un jour de la semaine (mercredi). Ayant par ailleurs découvert qu’elle était enceinte, elle s’en ouvre auprès d’un autre médecin dont elle est proche. Elle évoque également sa grossesse auprès de deux autres collègues.

Fin février, elle annonce cette grossesse au médecin responsable. Une réunion intervient alors sans elle (précisément le jour de repos de l’intéressée - un lundi) et il est décidé de ne pas poursuivre la relation de travail. L’intéressée en est informée téléphoniquement le même jour par le gestionnaire, qui lui signale qu’elle ne doit pas se présenter le lendemain vu le licenciement.

La doctoresse, qui ne comprend pas la situation, se présente néanmoins et l’accès lui est refusé. Un document lui est remis, annonçant la rupture du contrat avec paiement d’une indemnité de deux semaines.

Le C4, qui sera envoyé par poste, mentionne comme motif précis du chômage qu’elle ne convient pas au poste qui a été proposé.

Celle-ci interpelle dès lors rapidement son ex-employeur via son conseil et réclame l’indemnité de protection prévue par l’article 40 de la loi du 16 mars 1971.

En réponse, l’ASBL fait valoir qu’existent des motifs étrangers à l’état de grossesse, motifs liés au comportement de l’intéressée, qu’elle énonce.

Une procédure est introduite en paiement de l’indemnité de protection.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 13 mai 2020, le tribunal du travail francophone de Bruxelles fait droit à la demande.

Sur les principes, il se penche essentiellement sur la question du motif étranger à l’état de grossesse. Il reprend quelques décisions rendues dans la jurisprudence récente.

En premier lieu, renvoi est ainsi fait à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 10 février 2016 (C. trav. Bruxelles, 10 février 2016, R.G. 2014/AB/169), qui a rappelé la règle selon laquelle c’est l’information de l’employeur sur l’état de grossesse qui met en œuvre la protection contre le licenciement : la travailleuse est ici tenue de prouver qu’elle a effectivement et régulièrement communiqué l’information, n’ayant aucune formalité à respecter, telle la production d’un certificat médical. Elle doit cependant établir que l’information a été réceptionnée par son destinataire.

La même cour avait jugé, précédemment, dans un arrêt du 7 septembre 2012 (C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2012, R.G. 2011/AB/675) que l’employeur est tenu par les motifs du licenciement qu’il a énoncés, la loi exécutant sur cette question la directive 92/85/CE du 19 octobre 1992. La charge de la preuve incombe à l’employeur en cas de contestation, la cour du travail ayant rappelé dans cet arrêt qu’il doit prouver (i) l’existence de faits objectifs qui montrent que le licenciement est intervenu pour des motifs étrangers à la situation, (ii) la réalité de ces motifs et (iii) le lien de causalité entre ces deux éléments.

La même cour avait également rappelé dans un arrêt précédent du 11 août 2010 (C. trav. Bruxelles, 11 août 2010, R.G. 2009/AB/51.960) que, si l’employeur répond à la demande de précision du motif, il n’est plus admissible à en invoquer d’autres ultérieurement, étant ainsi lié par ceux annoncés dans la phase préjudiciaire. La cour avait souligné l’exigence d’établir l’existence de faits objectifs démontrant que le licenciement est intervenu pour des motifs étrangers à l’état de grossesse ou d’accouchement, la sincérité de ceux-ci et le lien causal.

Le jugement renvoie encore à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 3 juin 2017 (C. trav. Liège, 3 juin 2017, R.G. 2015/AL/724), selon lequel si le licenciement est intervenu en raison de motifs pour partie liés à l’état de grossesse et pour partie étrangers à celui-ci, il est contraire à la loi.

Appliquant ces principes au cas de l’espèce, le tribunal avait retenu que l’employeur faisait grief à la demanderesse de ne pas avoir adhéré à l’esprit d’équipe en son sein, celle-ci n’ayant selon lui pas été satisfaite dès le départ du nombre d’heures à prester et n’ayant pas hésité à le faire savoir. Les griefs étaient ainsi principalement de deux types, à savoir des absences qualifiées d’incessantes et inopinées, qui auraient entraîné des complications d’organisation ainsi qu’une demande de modification d’horaire (celle formulée fin janvier 2018). Pour le tribunal, l’équipe avait été informée de l’état de grossesse et si des absences étaient intervenues, elles étaient liées à l’état de santé de la demanderesse, état lié à la grossesse elle-même, et à part l’annonce de la grossesse aucun autre élément n’était démontré qui puisse expliquer le licenciement.

L’ASBL a interjeté appel de ce jugement.

L’arrêt de la cour du travail

La cour du travail a statué par arrêt du 2 janvier 2024 sur l’appel de l’employeur.

Après avoir rappelé la procédure, elle a examiné la contestation en renvoyant en outre à une autre décision de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2014, J.T.T., 2015, page 388), qui a souligné que la preuve (qui est à charge de l’employeur) peut être apportée par toutes voies de droit.

En l’espèce, tout en confirmant l’existence de la protection légale, la cour a passé en revue les explications de l’ASBL, explications qui ont – comme en première instance - été considérées comme n’étant pas suffisantes pour constituer la preuve légale exigée.

L’appelante affirmant ainsi ne pas pratiquer de discrimination à l’égard des femmes enceintes et n’avoir jamais licencié une travailleuse pour un tel motif, la cour a relevé qu’il s’agit d’une allégation non établie et générale ne permettant pas de vérifier le motif du licenciement dans le cas considéré. De même pour les griefs faits à propos des absences, la cour relevant que, si l’employeur ignorait la cause des périodes d’incapacité de travail, ceci ne constitue pas une preuve ou un début de preuve d’un motif étranger à la grossesse.

De même encore pour le non-respect de l’horaire, manquement non établi, dans la mesure où seul est avéré le fait que l’intimée a sollicité un changement de ses heures de prestation.

La cour rejette également des reproches tels que « un manque de fiabilité » ou encore le fait de ne pas avoir « adhéré à l’esprit d’équipe ». Il s’agit d’allégations subjectives, la cour relevant encore que s’il y a eu des absences « inopinées », ceci ne traduit pas nécessairement un quelconque mépris pour les patients, dans la mesure où il s’agit de périodes d’incapacité de travail, pouvant elles-mêmes être imprévisibles dans le chef de l’intéressée.

L’ensemble de ces arguments ne constitue pas, pour la cour, l’existence de motifs étrangers à l’état de grossesse, de telle sorte qu’elle conclut à la confirmation du jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend plusieurs points importants de cette protection contre le licenciement.

Le premier est que les motifs de licenciement doivent être totalement étrangers à l’état de grossesse. En conséquence, le licenciement qui interviendrait pour des motifs pour partie liés à l’état de grossesse et pour partie étrangers à cet état est interdit par la loi.

Sur les motifs eux-mêmes, si la travailleuse conteste en justice la légalité du licenciement, l’employeur doit prouver, non seulement (i) l’existence de faits objectifs qui montrent que le licenciement intervient pour des motifs étrangers à la grossesse mais également (i) la sincérité des motifs ainsi que (iii) le lien de causalité entre les faits étrangers et le licenciement. Une fois que l’employeur a répondu à la demande de la travailleuse en lui précisant les motifs de licenciement, il n’est pas admissible à invoquer ensuite d’autres motifs.

Enfin, c’est au moment du congé qu’il faut se placer pour apprécier si le motif invoqué est ou non fondé.

Cet enseignement est constante et l’on peut encore renvoyer sur la question à un précédent arrêt de la cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 26 avril 2023, R.G. 2021/AB/730), qui a expressément repris ces exigences.


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