Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 25 novembre 2022, R.G. 20/455/A
Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023
Tribunal du travail de Liège (division Liège), 25 novembre 2022, R.G. 20/455/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 25 novembre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), amené à statuer sur l’indemnisation d’un accident du travail avant l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 26 juin 2019, admet que, dans le cadre des circulaires prises par l’Etat belge sur la question, l’indemnisation de l’accident du travail doit intervenir conformément aux critères retenus en matière d’accidents du travail au sens des lois des 10 avril 1971 et 3 juillet 1967, ne pouvant s’agir d’indemniser uniquement la perte de l’invalidité physiologique.
Les faits
Un détenu, purgeant une peine de prison, a été victime d’un accident alors qu’il effectuait un travail pénitentiaire. Il a été indemnisé par l’Etat belge suite à celui-ci et un arrêté ministériel a fixé l’indemnité annuelle pour incapacité permanente (156,91 euros – supprimée pendant la durée de la privation de liberté) sur la base d’un taux d’I.P.P. de 4% à partir de la date de consolidation fixée au 1er mai 2018.
Une procédure est introduite par ce dernier devant le Tribunal du travail de Liège, demandant paiement des « indemnités légales » ainsi que, avant dire droit, la désignation d’un expert.
Rétroactes de la procédure
L’Etat belge contestant la compétence des juridictions de l’Ordre judiciaire pour connaître de ce litige et soutenant – à titre subsidiaire – que le tribunal de première instance était compétent, le tribunal du travail a dit pour droit dans un jugement du 25 juin 2021 que les juridictions de l’Ordre judiciaire sont compétentes et il a renvoyé la cause au tribunal d’arrondissement pour déterminer, du tribunal de première instance ou du tribunal du travail, lequel l’était.
Par jugement du 28 octobre 2021, le tribunal d’arrondissement a conclu à la compétence du tribunal du travail, qui, par conséquent, examine la cause et rend le jugement commenté.
Le jugement du 25 novembre 2022
Le tribunal commence par rappeler la position des parties.
Le demandeur ne précise pas la loi dont il demande l’application, se bornant à solliciter la désignation d’un expert judiciaire et demandant l’assistance judiciaire pour les frais de défense d’un médecin de recours.
Par ailleurs, l’Etat belge rappelle qu’un détenu n’est pas lié par un contrat de travail ou par un quelconque régime statutaire. Il reprend la loi du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, dont l’article 84, § 4, précise que le travail mis à disposition ne fait pas l’objet d’un contrat de travail au sens de la loi du 3 juillet 1978.
Il constate également que l’intéressé ne demande pas l’application de la loi du 10 avril 1971 (secteur privé), non plus que celle du 3 juillet 1967 (secteur public).
Il précise que c’est l’arrêté royal du 26 juin 2019 qui règle désormais l’indemnisation des détenus victimes d’un accident du travail. Celui-ci n’est cependant pas applicable au litige, étant entré en vigueur après l’accident litigieux (1er janvier 2020).
C’est dès lors le « vieux » système repris dans les circulaires ministérielles qui trouve à s’appliquer. Celles-ci font référence à l’intervention sur base « volontaire » de l’Etat belge. L’Etat belge s’oppose à la désignation d’un expert au motif que la demande n’est pas autrement étayée.
Le tribunal constate, outre l’absence de règle de droit définissant la procédure, que seule est prévue la « reconnaissance » d’une indemnité annuelle déterminée sur la base d’un taux fixé par un médecin extérieur intervenant au titre d’expert. Un arrêté ministériel individuel est ensuite pris aux fins de fixer l’indemnisation elle-même.
Selon les documents remis par l’Etat belge (dont un courrier du SPF Justice du 12 février 2019 ayant pour objet l’indemnisation des dommages résultant des accidents du travail survenus en cours de détention), l’indemnisation est établie par analogie avec la législation en matière d’accidents du travail proportionnellement au pourcentage de l’invalidité reconnue à la victime, calculée sur la base d’un salaire annuel fictif. Celui-ci a été fixé forfaitairement depuis le 1er janvier 2009 à 3922,79 euros et est rattaché à l’indice-pivot. Ce salaire a été majoré en 2009 aux fins d’être réaligné sur le salaire garanti fixé par le C.N.T. Le montant de la rente est rattaché à l’indice 114.20, le salaire fictif étant quant à lui non indexé et multiplié par le taux d’invalidité permanente.
Le tribunal ne disposant que de ces éléments, il examine la pratique ainsi mise en place volontairement par l’Etat belge, constatant qu’elle a à tout le moins donné naissance à un usage, ceci pouvant également s’examiner comme un engagement par déclaration unilatérale de volonté.
Il en déduit que l’Etat belge est tenu par le système qu’il a mis en place, que ce soit sur l’un ou l’autre fondement, et que l’intéressé peut revendiquer l’application de ce système d’indemnisation. Celui-ci ne vise cependant que l’incapacité permanente et non l’incapacité temporaire.
Reste à déterminer si le demandeur peut contester le taux retenu. Le tribunal répond par l’affirmative. Du fait de la mise en place de ce système d’indemnisation, l’Etat a créé pour l’intéressé un droit à l’indemnisation de son incapacité, calculée par analogie avec la loi sur les accidents du travail et il y a lieu d’assurer l’effectivité de ce droit. Ceci passe notamment par la fixation du taux d’incapacité à l’issue d’une procédure contradictoire dans laquelle il doit être assisté d’un médecin-conseil. Il souligne encore que l’expert a été mandaté par l’Etat belge et que l’intéressé n’était quant à lui pas assisté d’un médecin-conseil.
La contestation est dès lors examinée par le tribunal, qui doit relever que l’intéressé ne produit pas le moindre rapport médical, se bornant à considérer que l’évaluation de l’incapacité permanente est insuffisante (amputation d’une phalange de l’index de la main droite, qui est sa main d’écriture). La méthode suivie par l’expert est le taux du B.O.B.I. (4% pour l’amputation d’une phalange de l’index – article 77). Cette évaluation est donc intervenue sur la base de l’invalidité physique uniquement et non en fonction de la répercussion de celle-ci sur la capacité concurrentielle sur le marché du travail. Or, il faut tenir compte des critères habituels, étant la formation, l’expérience et la carrière professionnelle de l’intéressé.
Des obstacles sont cependant présents dans le dossier quant à la faisabilité d’une expertise judiciaire, le tribunal en constatant le coût et relevant en outre que l’intéressé n’a pas de médecin de recours et n’a dès lors pas pu faire valoir son point de vue médical étayé. Prioritairement, doivent dès lors être examinées la demande d’assistance judiciaire ainsi que celle relative à la désignation d’un médecin-conseil.
Le tribunal fait droit à ces deux chefs de demande, appliquant un barème d’honoraires, étant celui en matière pénale. Il charge l’expert de faire valoir ses droits auprès de l’Etat belge.
Une réouverture des débats est ordonnée pour la poursuite de l’instruction du dossier, dont la question de l’indemnisation de l’incapacité temporaire.
Intérêt de la décision
Ce jugement rappelle les interrogations que suscite la situation des détenus occupés à du travail pénitentiaire et exposés au risque d’accident ou de maladie.
La question de la compétence des juridictions du travail se pose depuis longtemps. Relevons un jugement du 29 juin 2007 (Trib. trav. Bruxelles, 29 juin 2007, Chron.D.S., 2007, p. 650), où le Tribunal du travail de Bruxelles s’est déclaré matériellement compétent pour connaître du litige. Cette décision a été confirmée en appel (C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2010, R.G. 2008/AB/50.560 – précédemment commenté).
En ce qui concerne une demande d’indemnisation, il faut renvoyer à la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. Celle-ci prévoit en son article 83, § 1er, que la mise au travail du détenu dans la prison a lieu dans des conditions qui se rapprochent autant que possible de celles qui caractérisent des activités identiques dans la société libre et ce pour autant que la nature de la détention ne s’y oppose pas. Celle-ci ne détermine cependant pas la loi applicable.
Dans un arrêt du 26 mai 2021 (C. trav. Liège, div. Neufchâteau, 26 mai 2021, R.G. 2020/AU36 – également précédemment commenté), la Cour du travail de Liège a constaté que, n’étant ni statutaire ni contractuel engagé par l’Etat belge, un détenu ne peut invoquer l’application des lois coordonnées le 3 juillet 1967. N’étant pas lié par un contrat de travail, il ne peut par ailleurs pas se fonder sur la loi du 10 avril 1971.
Un arrêté royal du 26 juin 2019 est venu régler la question de l’indemnisation des détenus victimes d’un accident du travail pénitentiaire.
Sans entrer dans les détails de l’arrêté royal du 26 juin 2019, qui peut être aisément consulté, relevons qu’il prévoit des dispositions assez analogues à la législation relative aux accidents du travail eux-mêmes, avec des adaptations au niveau de la procédure de règlement et une référence, au titre de rémunération de base au revenu minimum mensuel moyen garanti catégorie « 21 ans et plus » tel qu’établi par le C.N.T. au moment de la consolidation. Si le détenu victime d’un accident du travail pénitentiaire meurt des suites de cet accident, une indemnisation forfaitaire est accordée à ses ayants droit (30.000 euros). C’est la Régie du travail pénitentiaire (dont les activités sont décrites par l’arrêté royal du 13 septembre 2004 déterminant les activités de la Régie du travail pénitentiaire) qui prendra en charge les dépenses générées par les accidents du travail pénitentiaire et leurs suites. Le Rapport au Roi précise que, aux termes de l’arrêté du 13 septembre 2004, c’est la Régie qui est chargée de l’offre et de l’organisation du travail des détenus et qu’il est logique qu’elle soit désignée comme financièrement responsable des accidents survenant lors du travail pénitentiaire organisé par ses soins.
Rappelons que, dans son arrêt du 26 mai 2021, la Cour du travail de Liège statuait en matière de maladie professionnelle et que, si la question est réglée actuellement pour l’accident du travail par l’arrêté royal du 26 juin 2019, il n’y aucun texte équivalent pour une maladie professionnelle.