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Caractère contraignant des décisions du MEDEX en cas d’accident dans le secteur public

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 16 janvier 2023, R.G. 14/428.628/A

Mis en ligne le mardi 13 juin 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 16 janvier 2023, R.G. 14/428.628/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 janvier 2023, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut, avec le courant majoritaire sur la question, au caractère contraignant de la décision du MEDEX, rendue dans le cadre de l’article 8 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 tel que modifié par celui du 8 mai 2014, de l’ensemble des constatations du service médical.

Les faits

Un médecin salarié prestant pour un hôpital a été victime d’un accident sur le chemin du travail le 30 décembre 2011. L’accident a été reconnu. Le MEDEX a notifié ses conclusions par courrier du 13 février 2013, fixant la date de consolidation au 16 octobre 2012, avec un taux d’incapacité permanente partielle de 6%. Le 4 décembre 2012, l’assureur de l’hôpital, la S.A. Ethias, a chargé l’Institut Malvoz de fixer le taux d’I.P.P., exposant que, selon les informations médicales en sa possession, la guérison devait être acquise au 2 mai 2012. Aucune suite n’est apparemment intervenue et, le 8 juillet 2013, le même assureur adresse exactement le même courrier au service médical Experconsult (groupe Cohezio). Celui-ci conclut le 30 juillet 2013, décidant de consolider à partir du 2 mai 2012, et ce sans incapacité de travail, par retour à l’état antérieur. Ceci est communiqué à l’intéressée, qui conteste. L’assureur de l’hôpital transmet cette décision à l’employeur, qui, le 30 avril 2014, notifie cette conclusion à la travailleuse : aucune rente pour invalidité ne sera accordée. L’intéressée consulte un médecin-conseil, qui conclut à un taux d’incapacité de 12%.

Un recours est dès lors introduit devant le Tribunal du travail de Liège, qui désigne un expert. Celui-ci fixe les périodes d’incapacité (totale et partielle) et conclut, pour la consolidation, que celle-ci est acquise au 1er mai 2012 et qu’il n’y a pas d’incapacité permanente.

Ces conclusions sont écartées par le tribunal dans un jugement du 23 avril 2018 et un nouvel expert est désigné. Celui-ci reprend la même conclusion que le précédent.

La contestation persiste et l’intéressée demande la reconnaissance d’un taux d’incapacité de 12% et, subsidiairement, celui reconnu par le MEDEX, en-dessous duquel l’expert ne pouvait pas aller.

L’affaire revient dès lors devant le tribunal.

Position des parties après le second rapport d’expertise

Position de la demanderesse

Celle-ci conteste les séquelles retenues, argumentant sur le plan médical et donnant des précisions sur la limitation de ses possibilités de mouvement et les conséquences de celle-ci sur ses pratiques extra-professionnelles et sportives. Elle considère par ailleurs que, l’avis du MEDEX ayant un caractère contraignant, l’on ne peut aller en-deçà des 6% (thèse défendue à titre subsidiaire).

Position du défendeur

Pour le CHU, au contraire, sur le plan des séquelles, l’expert a correctement fait son travail, faisant d’ailleurs appel à un sapiteur. Il conteste le caractère contraignant de la décision du MEDEX, dès lors que le service médical compétent était à l’époque non celui-ci mais la société Experconsult. Il demande l’écartement des conclusions du MEDEX, signalant que l’intéressée a été orientée « par erreur » vers cet organisme et qu’il n’y a pas eu de lettre de mission lui adressée. A supposer encore, pour l’hôpital, que le MEDEX soit le service médical compétent, le taux n’est pas contraignant.

Il renvoie à l’article 8 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 (auquel renvoie l’article 3 de celui du 12 juin 1970), dont il faut appliquer l’ancienne mouture (vu l’époque des faits) et non celle issue de l’arrêté royal du 8 mai 2014. La disposition prévoyait à l’époque que le service de santé administratif fixe le pourcentage de l’invalidité permanente des lésions physiologiques occasionnées par l’accident, alors qu’actuellement, il est désigné également pour vérifier le lien de causalité entre l’accident et les lésions ainsi que pour établir ce lien entre l’accident du travail et les périodes d’incapacité de travail, ainsi encore que pour fixer la date de consolidation. Avant l’entrée en vigueur de cet arrêté royal, le service médical n’opérait donc pas de contrôle sur le lien de causalité, de sorte que sa décision ne peut lier la juridiction du travail sur cette question.

La décision du tribunal

Pour le tribunal, la question essentielle est de savoir quelle expertise doit être retenue : celle du MEDEX ou celle d’Experconsult.

Il relève que l’expert judiciaire a également abordé la question, celui-ci ayant relevé que le dossier était complexe sur le plan juridique. Déplorant n’avoir aucune compétence en la matière, l’expert judiciaire a constaté que les conseils des parties avaient des positions diamétralement opposées et qu’il y avait lieu prioritairement sur la question de déterminer quel était le service médical compétent. Il rappelle que le service externe chargé du contrôle médical est désigné dans la déclaration d’accident et que celui-ci a été chargé par l’assureur pour le compte de l’employeur de fixer le taux de l’invalidité permanente conservé par la victime. Il note encore que celle-ci n’a jamais été convoquée par ce service, l’ayant été un peu plus tard par un médecin attaché au MEDEX de Liège. L’expert judiciaire conclut à un « complet imbroglio », considérant qu’il appartiendra au juge de résoudre cette problématique, qui n’est pas de sa compétence.

Le tribunal confirme, à la suite des précisions données par l’expert, que l’intéressée n’avait jamais été convoquée par ce service externe et que, si celui-ci tenta ultérieurement de régulariser la chose, le MEDEX avait rendu le premier un rapport et qu’il est ainsi possible qu’il soit intervenu à l’initiative de ce service externe (ce qui n’est nullement démontré).

Il s’interroge sur la raison pour laquelle l’assureur de l’employeur a mandaté un autre service médical après les conclusions du MEDEX et souligne que, dans le secteur public, le MEDEX est le service médical qui intervient généralement. Cette intervention du service médical est prévue par l’article 3 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (personnel local – arrêté applicable en l’espèce).

Il pose la question ensuite de savoir si le taux d’incapacité retenu par le MEDEX a une force contraignante et donc si l’expert pouvait aller en-dessous de ce taux. Il faut en outre vérifier si c’est uniquement le taux d’incapacité qui a une valeur contraignante ou les différentes constatations du MEDEX (notamment quant au lien de causalité). Il s’agit de savoir ce qui lie l’autorité et les juridictions.

Dans son examen, le tribunal reprend les arrêts de la Cour de cassation sur la question (Cass., 19 décembre 1994, n° S.94.0002.N, Cass., 7 février 2000, n° S.99.0122.N, Cass., 7 mars 2016, n° S.15.0053.N et Cass., 18 novembre 2019, n° S.19.0009.F). La jurisprudence de la Cour suprême confirme que le service médical ne rend de décision obligatoire pour l’autorité que dans la mesure où il fixe le pourcentage minimum de l’invalidité permanente et, dans le dernier de ces arrêts, la Cour a accueilli le pourvoi introduit, cassant l’arrêt de fond, qui avait considéré que le caractère obligatoire de l’avis du MEDEX concernait également le lien de causalité entre l’accident et les lésions et, par conséquent, quant à l’existence de l’accident.

Le tribunal en vient ensuite à la modification intervenue par l’arrêté royal du 8 mai 2014 (entré en vigueur le 1er juillet), qui a étendu les compétences du service médical à la vérification du lien de causalité entre l’accident du travail et les lésions, du lien de causalité entre l’accident du travail et les périodes d’incapacité de travail et de la fixation de la date de consolidation, le texte prévoyant que le service médical est désigné en ce qui concerne les séquelles permanentes pour fixer la date de consolidation, le pourcentage d’incapacité permanente et celui de l’aide de tiers. Il rappelle encore les éléments de la procédure administrative fixés à l’article 9 de l’arrêté royal.

Il souligne que la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les dispositions nouvelles et sur les éventuelles nouvelles interprétations susceptibles d’en découler quant au caractère contraignant ou non des décisions du MEDEX. Il renvoie cependant à la doctrine (F. LAMBRECHT, « La déclaration, la procédure administrative et la procédure en révision », Les accidents du travail dans le secteur public, 2015, Limal, Anthémis, p. 130 et S. REMOUCHAMPS, « Le rôle du MEDEX », Les accidents du travail dans le secteur public, 2015, Limal, Anthémis, p. 271), qui conclut, sur la nouvelle formulation de l’article 8, que le service médical est chargé de se prononcer sur les lésions donnant lieu à réparation, l’imputabilité de l’incapacité temporaire, la date de consolidation, le pourcentage de l’incapacité permanente et celui de l’aide de tiers. Il est précisé que, sur l’ensemble de ces aspects, sa décision est contraignante.

Le tribunal suit cette doctrine, rappelant encore qu’en jurisprudence, la Cour du travail de Mons a confirmé la compétence du MEDEX dans un arrêt du 12 février 2019 (C. trav. Mons, 12 février 2019, R.G. 2017/AM/197), celle-ci précisant qu’il est difficilement envisageable que ce service médical fixe le pourcentage de l’incapacité permanente sans déterminer au préalable les lésions imputables à l’accident. Il précise qu’il a encore été jugé de même par le Tribunal du travail du Hainaut le 8 février 2022 (Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 8 février 2022, R.G. 21/1.004/A).

Il répond ensuite à l’argument du CHU, selon lequel la modification est postérieure à la date de l’accident et à la décision du MEDEX. A ce moment, le service médical n’avait pas de contrôle sur le lien de causalité. Pour le tribunal, il faut retenir que, lorsque le jugement a été prononcé le 28 avril 2018, il y avait lieu de faire application de l’article 8 de l’arrêté royal dans sa nouvelle version et que, dans le cadre de l’expertise, c’était effectivement celui-ci qu’il fallait suivre.

Il conclut dès lors à l’existence d’une incapacité permanente de travail. Il rejette cependant le taux de 12% proposé par le médecin-conseil, essentiellement au motif du caractère subjectif de plaintes.

Intérêt de la décision

Ce jugement rappelle l’importante modification intervenue en la matière par l’arrêté royal du 8 mai 2014, qui a considérablement élargi les compétences du MEDEX. Il ne peut plus, à notre sens, être sérieusement contesté que ce service médical prend une décision qui a un caractère contraignant, tant pour le juge que pour l’autorité employeur, et ce dans le cadre de l’ancien texte.

Aux arrêts cités dans le jugement commenté, l’on peut joindre celui de la Cour de cassation du 11 mai 2020 (Cass., 11 mai 2020, n° S.19.0045.N – précédemment commenté), rendu à propos de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, ainsi qu’un précédent, du 13 octobre 2014 (Cass., 13 octobre 2014, n° S.13.0121.N).

L’étendue des pouvoirs du service médical dans le cadre de la nouvelle mouture de l’article 8 est cependant contestée, une partie de la jurisprudence considérant qu’il y a lieu d’étendre le caractère contraignant des décisions aux nouvelles compétences (position rejointe par la doctrine ci-dessus).

La jurisprudence n’est cependant pas unanime. L’on peut renvoyer ici à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 22 mars 2022, R.G. 2019/AL/338 – également précédemment commenté), rendu dans le cadre de l’arrêté royal du 13 juillet 1970. Pour la cour, seule est visée dans la disposition l’incapacité permanente (dont le pourcentage fixé par le MEDEX ne peut qu’être augmenté par l’employeur public). Si le MEDEX peut actuellement prendre des décisions dans d’autres aspects médicaux (lien de causalité entre l’accident et les lésions, entre l’accident et les périodes d’incapacité de travail, ainsi que date de consolidation et pourcentage de l’aide de tiers), il n’y a de décision contraignante qu’en matière de pourcentage d’incapacité permanente. L’appréciation du MEDEX ne lie pas le juge en ce qui concerne les périodes d’incapacité temporaire, d’autant que – comme le souligne l’arrêt – il a visé des absences « mises en rapport médical causal avec l’accident du travail ».


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