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Prestations aux personnes handicapées : point de départ pour les jeunes majeurs

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 17 août 2022, R.G. 20/1.066/A

Mis en ligne le mardi 25 juillet 2023


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 17 août 2022, R.G. 20/1.066/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 17 août 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) revient sur la date de prise de cours du droit pour les jeunes majeurs (entre dix-huit et vingt-et-un ans) aux prestations pour personnes handicapées, fixée dans le texte actuel au 1er août 2020.

Les faits

La demanderesse a introduit un recours contre deux décisions du SPF Sécurité sociale, la première refusant les allocations au motif qu’elle n’avait pas atteint l’âge de vingt-et-un ans à la date du 1er octobre 2019 et la seconde octroyant une allocation d’intégration de catégorie 1 ainsi qu’une allocation de remplacement de revenus de catégorie A à partir du 1er septembre 2020.

Le tribunal a ordonné une expertise et les conclusions de celle-ci peuvent être entérinées, la demanderesse sollicitant cet entérinement, l’Etat belge se référant à justice et le tribunal concluant également que le rapport d’expertise est complet et bien motivé.

Reste cependant un débat relatif la date de l’ouverture du droit aux allocations au regard de la condition d’âge. Le tribunal a prononcé deux jugements sur la question.

Le jugement du 23 mars 2021

Le tribunal a renvoyé à l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 103/2020 du 9 juillet 2020, qui a jugé que le critère de l’âge de vingt-et-un ans n’était plus justifié notamment eu égard à l’abaissement de l’âge de la majorité à dix-huit ans, la loi du 27 février 1987 n’étant plus à cet égard compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution (article 2, §§ 1er et 2). Pour la Cour constitutionnelle, une personne handicapée majeure peut bénéficier, à partir de l’âge de dix-huit ans, d’une allocation d’intégration en vue de favoriser son autonomie, et ce indépendamment de l’existence de projets d’études après cet âge.

Le tribunal a souligné que la Cour constitutionnelle n’a pas dit que le constat d’inconstitutionnalité ainsi posé ne valait que pour l’avenir et que, si l’article 2 de la loi a été modifié, ceci est intervenu par une loi du 20 décembre 2020 entrée en vigueur le 1er août 2020 (article 3). Une autre modification est intervenue dans la réglementation, étant la modification de l’article 14 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière d’allocations aux personnes handicapées, modification issue d’un arrêté royal du 1er février 2021 entré en vigueur à la même date.

Cet article 14 se lit actuellement comme suit (§ 1er, alinéa 2) : « Le droit à l’allocation prend toutefois cours le premier jour du mois suivant celui durant lequel le demandeur atteint l’âge de 18 ans, pour autant qu’il ait bénéficié jusqu’à cet âge des prestations familiales supplémentaires pour enfants handicapés, qu’il remplisse les conditions fixées par la loi et que la demande soit introduite au plus tard 6 mois après la date à laquelle il a atteint l’âge de 18 ans ». Son paragraphe 2 contient une dérogation, selon laquelle, pour les personnes qui ont entre dix-huit et vingt-et-un ans au 1er août 2020, le droit à l’allocation prend cours au plus tôt ce 1er août 2020 si le demandeur remplit les conditions fixées par la loi et que la demande a été introduite au plus tard trois mois après la publication de l’arrêté royal du 1er février 2021 portant adaptation du critère d’âge de vingt-et-un à dix-huit ans au Moniteur belge.

Constatant que le SPF Sécurité sociale avait décidé de l’ouverture du droit à l’âge de dix-huit ans, mais à partir du 1er août 2020 seulement, le tribunal a ordonné la réouverture des débats.

Le jugement du 17 août 2022

Après avoir constaté l’absence (ou la maigreur) de développements juridiques sur la question dans les conclusions des parties, ainsi que le dépôt par l’auditorat du travail d’un avis pro forma, le tribunal donne sa position quant à l’incidence de l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

Il renvoie à l’avis écrit déposé par l’auditorat général dans une affaire tranchée par la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 6 octobre 2021, R.G. 2018/AM/329, inédit), qui a rappelé que les arrêts de la Cour constitutionnelle par voie d’arrêts préjudiciels ont une autorité relative renforcée de chose jugée et que l’incidence de celle-ci est différente selon que l’on se place du point de vue de la juridiction qui a posé la question ou de toute autre juridiction appelée à statuer dans une affaire similaire. Celle-ci peut se dispenser – sauf lorsqu’elle statue en dernier ressort – de poser une nouvelle question à la Cour, à la condition toutefois de statuer conformément à l’arrêt rendu (la Cour du travail de Mons renvoyant à Cass., 22 février 2005, n° P.04.1345.N, ainsi qu’à C. trav. Liège, sect. Liège, 27 avril 2012, R.G. 2011/AL/225).

Il reprend également la distinction entre la lacune intrinsèque et la lacune extrinsèque (ou simple) ainsi que les pouvoirs du juge, étant que celui-ci est tenu de remédier à toute lacune de la loi dont la Cour constitutionnelle a constaté l’inconstitutionnalité lorsqu’il peut suppléer à cette insuffisance dans le cadre des dispositions légales existantes pour rendre la loi conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution (renvoi à Cass., 5 février 2016, n° C.15.0011.F).

En la matière, l’arrêt du 9 juillet 2020 (n° 103/2020) concerne l’article 2, §§ 1er et 2, de la loi du 27 février 1987 et, suite à celui-ci, le législateur a mis fin à l’inconstitutionnalité constatée en étendant le champ d’application de la mesure, remplaçant, dans divers articles de la loi, le nombre « 21 » (ou le mot « vingt-et-un ») par « 18 » (ou « dix-huit »).

L’avocat général note que la date du 1er août 2020 (étant la date à partir de laquelle les personnes qui auront atteint l’âge de dix-huit ans pourront prétendre au bénéfice des allocations) correspond au premier jour du mois suivant la réponse de la Cour constitutionnelle (date de l’arrêt 9 juillet 2020) et comprend celle-ci comme répondant à la préoccupation de maintenir un juste équilibre entre la nécessité de remédier au plus tôt à une situation jugée contraire à la Constitution et le souci de veiller à assurer la sécurité juridique des situations existantes et de tenir compte des attentes créées auprès des personnes concernées (extrait de l’avis que le tribunal souligne – 8e feuillet).

Le tribunal constate ensuite que la partie demanderesse ne plaide pas l’existence d’une discrimination mais que, à supposer même que la rétroactivité limitée ait un tel caractère discriminatoire, le juge ne peut y remédier en étendant l’application de cet acte à la catégorie discriminée, fût-ce en écartant de la définition de son champ d’application les termes où gît la discrimination (Cass., 5 novembre 2020, n° C.18.0541.F). Le contrôle du juge dans le cadre de l’article 159 de la Constitution ne lui permet en effet pas de combler la lacune législative. La date retenue, le 1er août 2020, l’a été pour des raisons budgétaires et le tribunal conclut qu’il ne peut la modifier, sous peine de violer le principe de la séparation des pouvoirs.

En conséquence, il retient cette date pour les allocations et confirme celle du 1er octobre 2019 pour d’autres avantages (allocation forfaitaire pour maladie chronique et carte de stationnement).

Intérêt de la décision

L’abaissement de l’âge permettant de bénéficier des prestations aux personnes handicapées, de vingt-et-un à dix-huit ans, a enfin été réalisé suite à l’arrêt de la Constitutionnelle du 9 juillet 2020, alors que la majorité civile est fixée à dix-huit ans depuis le 1er mai 1990.

L’inconstitutionnalité de la situation a été constatée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 9 juillet 2020. La mesure bénéficie d’un effet rétroactif, mais celui-ci est limité, la date retenue étant le 1er août 2020, soit le premier jour suivant la date à laquelle l’arrêt a été rendu.

L’avis de l’avocat général, longuement repris par le tribunal dans son jugement du 17 août 2022, expose que cette rétroactivité limitée a été décidée pour des motifs budgétaires. Pour le tribunal, placé devant la situation d’une possible discrimination entre bénéficiaires, il n’est pas permis au juge de suppléer d’office et d’étendre à d’autres catégories le bénéfice des dispositions nouvelles.

Il confirme dès lors la justesse de la date fixée et n’alloue les allocations qu’à partir de celle-ci, même si l’intéressée avait atteint l’âge de dix-huit ans auparavant.


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