Terralaboris asbl

Droit à des arriérés d’aide sociale : un rappel de la Cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 14 octobre 2022, R.G. 2021/AL/552

Mis en ligne le lundi 7 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 14 octobre 2022, R.G. 2021/AL/552

Terra Laboris

Par arrêt du 14 octobre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale, avec l’incidence de ces règles sur le droit au paiement d’arriérés destinés à couvrir une période antérieure à la demande introduite.

Les faits

Une travailleuse sollicite l’aide du C.P.A.S. en septembre 2020 au motif que, suite à la fin de son contrat de travail survenu en juillet, elle n’aurait droit aux allocations de chômage qu’ultérieurement. Sa demande porte sur une période d’un mois et demi.

Ultérieurement, elle perçoit un revenu d’intégration sociale au taux isolé à partir de la date de la demande (celle-ci étant légèrement postérieure à la période pour laquelle l’aide a été sollicitée).

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, demandant le paiement du revenu d’intégration sociale pour cette période ou, subsidiairement, d’une aide sociale équivalente à celui-ci. Plus subsidiairement, l’intéressée poursuit la condamnation du C.P.A.S. à des dommages et intérêts fixés en équité à l’équivalent de la somme en cause.

La décision du tribunal

Le tribunal, statuant par jugement du 14 octobre 2021, a rejeté la requête, d’une part pour ce qui est de la demande de revenu d’intégration sociale, au motif que celle-ci ne peut porter sur une période antérieure, et d’autre part, pour une aide sociale, vu l’absence de preuve que la demanderesse se trouverait encore dans l’impossibilité de mener une vie conforme à la dignité humaine du fait du refus d’intervention pour une période antérieure (justification de l’effet rétroactif). Il conclut également qu’aucune faute n’était démontrée dans le chef du C.P.A.S.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelante fait valoir que, pour la période litigieuse, le refus d’intervention du C.P.A.S. l’a laissée sans ressources et l’a confrontée à d’importantes difficultés financières l’empêchant de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Pour le C.P.A.S., la confirmation du jugement est sollicitée, le Centre insistant sur le fait que l’intéressée ne prouve pas, pour une demande d’aide sociale, qu’elle se trouvait sans ressources, n’apportant par ailleurs pas la preuve qu’elle se trouverait toujours actuellement en état de besoin, ses dettes ayant pu être apurées par paiements échelonnés et elle-même percevant des allocations de chômage.

La décision de la cour

La cour rappelle les règles distinctes régissant, pour ce qui est de la période couverte par l’intervention du C.P.A.S., le revenu d’intégration sociale et l’aide sociale. L’article 21, § 5, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale dispose que la décision qui accorde ou majore un revenu d’intégration, intervenue à la suite d’une demande introduite, sort ses effets à la date de réception de cette demande. Il en découle qu’une demande de revenu d’intégration sociale ne peut être introduite pour le passé, une telle demande pouvant cependant faire l’objet d’une aide sociale si les conditions sont remplies. Le critère de l’aide sociale est en effet, en vertu de l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des C.P.A.S., le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, et ce au regard du paramètre légal, qui est l’état de besoin. Celui-ci est démontré en cas de dettes ou de difficultés relatives aux besoins de base, auxquels le demandeur ne peut faire face par ses propres moyens (la cour renvoyant ici à H. MORMONT, « La condition d’octroi de l’aide sociale : le critère de la dignité humaine », Aide sociale – Intégration sociale – Le droit en pratique, La Charte, 2011, pp. 58 et 59). La nature et l’étendue de l’aide vont dès lors varier selon la nature et l’étendue de l’état de besoin. Pour ce qui est des besoins de base, cette aide prend généralement la forme d’une aide financière équivalente au revenu d’intégration sociale. Celle-ci ayant un caractère fondamentalement résiduaire, le C.P.A.S. peut renvoyer le demandeur vers ses débiteurs d’aliments.

La cour précise, sur la question de la rétroactivité de l’aide sociale, qu’il y a eu des divergences d’appréciation. La Cour de cassation a cependant jugé dans plusieurs arrêts, et notamment dans une décision du 27 novembre 2017 (Cass., 27 novembre 2017, n° S.17.0015.F), que le droit à l’aide sociale naît dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de vivre conformément à la dignité humaine, ce droit n’étant pas affecté par la circonstance que celle-ci ne se trouve plus dans une telle situation au moment où le juge statue.

La cour du travail confirme en conséquence que, sur le plan des principes, rien ne s’oppose à ce qu’une demande d’aide sociale soit formulée pour une période antérieure à l’introduction de la demande et, ainsi, qu’elle porte sur la prise en charge de dettes du passé, ou encore à l’octroi d’une aide sociale financière pour le passé (renvoyant à la doctrine de F. LAMBRECHT, « Aide sociale : questions choisies », Actualités et innovations en droit social, Anthemis, C.U.P., Liège, mai 2018, pp. 254 et s.).

En l’espèce, cependant, les conditions de l’octroi d’arriérés ne sont pas remplies. Si l’intéressée n’a bénéficié d’aucun revenu professionnel ni de remplacement (ayant perdu son emploi le 21 juillet 2020 et n’ayant été admise au bénéfice des allocations de chômage qu’à partir du 12 septembre 2020 – date à laquelle elle a pu percevoir le revenu d’intégration sociale), elle a bénéficié de rentrées pendant la période litigieuse, étant, outre son dernier salaire, un virement de sa mère. Il est constaté qu’elle a pu s’acquitter de ses charges et que, si des factures restaient impayées, à l’époque, aucun élément n’est fourni permettant de conclure à l’existence ainsi qu’à la nature et au montant de dettes, qui restent invérifiables.

Aucun élément de preuve n’est par ailleurs apporté en ce qui concerne l’impossibilité pour l’appelante de faire face à tout ou partie de ses besoins de base.

La cour confirme dès lors le jugement, rappelant que, de même qu’une personne qui dispose de ressources peut se trouver en état de besoin au motif notamment que celles-ci ne suffisent pas à lui permettre de faire face à l’ensemble de ses besoins de base, à l’inverse il ne suffit pas d’être sans ressources pour être en état de besoin : encore faut-il que le demandeur prouve qu’il n’est effectivement pas en mesure de faire face à ceux-ci, preuve non rapportée en l’espèce. Enfin, que l’intervention d’un débiteur d’aliments ait dû être remboursée par la suite n’est pas de nature à influencer l’appréciation de l’état de besoin.

La cour clôture son examen en relevant que, si le caractère assurément éprouvant de la situation vécue ne peut être contesté, il ne s’assimile pas nécessairement à l’état de besoin requis.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la distinction sur le plan du droit aux arriérés entre les conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale et celles de l’aide sociale.

La Cour de cassation a tranché la controverse à cet égard dans plusieurs arrêts, le dernier datant du 27 novembre 2017, arrêt dans lequel elle a cassé un arrêt de fond ayant considéré que les dettes existantes vis-à-vis d’un bailleur ou d’un fournisseur d’énergie auraient pu être retenues comme faisant obstacle à une vie conforme à la dignité humaine si l’intéressé se trouvait encore dans les lieux pris en location, dans la mesure où de telles dettes mettaient en péril les conditions de son habitat mais que, dès lors qu’il ne s’y trouvait plus, même si c’était en conséquence suite à une expulsion par le bailleur, le privant d’accès à son habitat, l’existence de telles dettes ne mettait plus en péril les conditions d’une vie conforme à la dignité humaine.

L’arrêt de la cour du travail rappelle également à diverses reprises l’obligation et l’étendue de la preuve à charge du demandeur.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be