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Effets d’une décision de désassujettissement de l’ONSS

Commentaire de C. trav. Mons, 1er février 2023, R.G. 2021/AM/324

Mis en ligne le mardi 3 octobre 2023


C. trav. Mons, 1er février 2023, R.G. 2021/AM/324

Dans un arrêt du 1er février 2023, la Cour du travail de Mons annule une décision de désassujettissement de l’ONSS prise au motif du caractère fictif de prestations de travail, décision ayant amené le Fonds de Fermeture à se retourner contre une travailleuse en remboursement d’indu.

Les faits

Une employée, engagée en mai 2010 et licenciée en février 2011 moyennant prestation d’un préavis de trois mois, dépose plainte auprès de l’Inspection du contrôle des lois sociales pour non-paiement de rémunération. L’employeur est entendu à deux reprises et se déclare dans l’impossibilité de payer les arriérés, vu des difficultés financières. Le préavis est suspendu à plusieurs reprises pour cause d’incapacité de travail et, en fin de compte, l’employée constate la rupture du contrat aux torts de l’employeur.

Elle dépose une requête auprès du Tribunal du travail de Charleroi, qui rend un jugement par défaut le 5 décembre 2011, faisant droit à la demande. Des mesures d’exécution sont entreprises et l’huissier signale que le siège social est fictif, la société n’ayant plus ni activité ni actifs. Il conclut à l’irrécouvrabilité de la créance.

Une demande d’indemnisation est introduite auprès du Fonds de Fermeture, qui paie, en juin 2012, le montant réclamé, le paiement intervenant en termes nets.

Cinq ans plus tard, en octobre 2017, l’ONSS informe l’ONEm de sa décision de procéder à l’annulation des rémunérations et prestations déclarées, ainsi qu’à l’annulation des déclarations Dimona depuis le quatrième trimestre 2010 (article 42, alinéa 4, de la loi du 27 juin 1969). Le Fonds de Fermeture informe dès lors l’employée par courrier du 7 novembre 2018 de la décision de l’ONSS selon laquelle elle n’avait pas la qualité de travailleur, au motif que les éléments constitutifs d’un contrat de travail n’étaient pas présents. Le montant alloué est réclamé, étant indu. Il précise encore que, vu l’annalité de l’impôt (l’année fiscale 2012 étant clôturée), il ne pouvait plus récupérer le montant professionnel indûment versé auprès du SPF Finances et que ce montant devait également être remboursé par l’intéressée.

Vu l’inertie de celle-ci, il introduit une demande auprès du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), sollicitant sa condamnation au remboursement d’un montant de l’ordre de 8.400 euros.

Les décisions du tribunal

Le tribunal a rendu deux jugements.

Le premier, du 15 janvier 2021, ordonne une réouverture des débats. Se pose en effet la question de savoir si la décision a effectivement été notifiée à l’intéressée, l’ONSS n’ayant pas retrouvé la preuve de l’envoi par pli recommandé.

Dans son jugement du 17 septembre 2021, rendu suite à la réouverture des débats, le tribunal a dit la demande prescrite et a débouté le Fonds de Fermeture.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour constate que se pose également un problème de prescription.

Pour le bon ordre de l’examen de la demande, elle précise vérifier en premier lieu si les prestations de travail étaient fictives ou non. Elle aborde, dès lors, la question du droit à l’intervention du Fonds de Fermeture et relève ici qu’il est paradoxal de conditionner son intervention au respect par l’employeur de ses obligations, alors que la mission légale du Fonds est précisément de pallier les défaillances des employeurs qui, comme en l’espèce, sont contraints de procéder à une fermeture d’entreprise (renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 22 novembre 2017, R.G. 2015/AB/978).

La cour estime ne pas pouvoir suivre le Fonds lorsqu’il plaide que, dans la mesure où il y a eu désassujettissement par l’ONSS, entraînant l’absence de lien de subordination, ses conditions d’intervention ne seraient pas remplies. Pour la cour du travail, le juge est tenu de procéder à un contrôle de légalité externe et interne de la décision administrative sur lequel est fondée une demande en justice, étant en l’espèce la décision de l’ONSS. Elle rappelle ne pas être liée par celle-ci même si l’intéressée n’a pas formé de recours contre cette décision.

Elle reprend les éléments qui ont permis à l’ONSS de retenir qu’il n’y avait pas contrat de travail (pour trois personnes), étant l’absence de déclaration à l’impôt des sociétés pendant trois ans ainsi que de déclaration TVA pour deux ans, l’absence de dépôt des comptes, l’absence de tout actif et la clôture de la faillite pour insuffisance d’actif, notamment.

La travailleuse renvoyant aux documents sociaux et aux déclarations Dimona, la cour répond que, dans la mesure où les prestations auraient été déclarées fictivement, ces pièces ne constituent pas une preuve de l’existence d’un contrat de travail.

Avec l’Auditorat général, elle relève cependant que tout ce qui a été relevé par l’ONSS résulte des carences et négligences du gérant (sur le plan comptable, fiscal et social), mais que ceci ne peut en soi exclure toute activité de l’entreprise et mener à la conclusion qu’il s’agit d’un employeur fictif.

D’autres éléments existent, par contre, permettant de constater que l’adresse n’était pas fictive (audition au siège de la société du gérant par l’Inspection, ainsi que des attestations de témoins qui auraient été clients du magasin où l’intéressée prestait). La cour retient également les nombreuses démarches accomplies par celle-ci pour obtenir le paiement de sa rémunération, tous éléments qui ne figurent pas dans l’enquête de l’ONSS.

La cour précise encore, à propos de la preuve apportée, que les attestations déposées par l’employée ne satisfont certes pas à l’article 961/2 du Code judiciaire, mais que ceci ne constitue pas un obstacle à ce qu’elles soient prises en compte, dès lors qu’elles sont convergentes.

Enfin, elle relève que, la décision de l’ONSS datant de plus de six ans après la rupture du contrat de travail, l’intéressée, informée seulement à ce moment, ne pouvait produire davantage d’éléments que ce qu’elle a fait.

La cour confirme dès lors le jugement, n’abordant pas la question de la prescription, vu la conclusion à laquelle elle a abouti sur le premier point.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par la Cour du travail de Mons dans cet arrêt du 1er février 2023 fait suite à la décision de désassujettissement prise par l’ONSS, ce qui amène celle-ci à rappeler l’obligation pour les cours et tribunaux de contrôler la légalité des décisions administratives, le contrôle étant tant externe (incompétence de l’auteur, violation d’une forme prescrite à peine de nullité) qu’interne (illégalité de l’objet, du motif et du but).

Les prestations de sécurité sociale ayant un caractère d’ordre public, le Tribunal du travail de Liège a rappelé, dans un jugement du 2 mars 2017 (Trib. trav. Liège, div. Namur, 2 mars 2017, R.G. 13/183/A – précédemment commenté), qu’une décision d’assujettissement (ou de désassujettissement) prise par l’ONSS ne lie pas un autre organisme de sécurité sociale, les éléments du dossier ONSS pouvant cependant constituer des éléments de preuve. Les institutions de sécurité sociale ont non seulement la possibilité, mais également l’obligation, de remettre en cause l’assujettissement d’un assuré social, et ce indépendamment de l’intervention de l’ONSS, vu le caractère d’ordre public des dispositions de sécurité sociale en cause.

Par ailleurs, dans un arrêt du 13 janvier 2016 (C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2016, R.G. 2014/AB/396 – également précédemment commenté) cité par la Cour du travail de Mons, la Cour du travail de Bruxelles a examiné les conséquences d’une décision de désassujettissement sur les conditions de récupération d’un indu dans le secteur AMI. Elle a également rappelé que la décision de l’ONSS ne s’impose pas aux autres institutions de sécurité sociale, non plus qu’aux juges, mais que le dossier administratif peut permettre de confirmer l’indu.


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