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Incapacité de travail et droit aux allocations de chômage

Commentaire de Cass. (3e chambre), 12 juin 2023, n° S.21.0014.F

Mis en ligne le mardi 31 octobre 2023


Cass. (3e chambre), 12 juin 2023, n° S.21.0014.F

Par arrêt du 12 juin 2023, la Cour de cassation confirme qu’à défaut d’avis du médecin affecté au bureau de chômage (conformément à la procédure prévue à l’article 62 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991), un bénéficiaire d’allocations de chômage ne peut être exclu des allocations pour défaut d’aptitude au travail.

Faits de la cause

M. B., qui bénéficiait d’allocations de chômage, a, dans le cadre de la vérification de sa disponibilité sur le marché de l’emploi, communiqué au FOREm des certificats médicaux faisant état d’une incapacité de travail mais n’attestant pas d’une incapacité au sens de l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 et ne renseignant aucun taux d’incapacité.

Sur la base de ces certificats, l’ONEm a estimé que M. B. était, pour ces périodes, inapte au travail au sens de l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, l’a exclu du bénéfice des allocations, a décidé de récupérer les allocations payées pour les jours mentionnés dans lesdits certificats et l’a sanctionné pour n’avoir pas signalé son inaptitude sur sa carte de contrôle, comme l’exige l’article 71 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

M. B. a introduit contre cette décision un recours que le tribunal du travail a déclaré entièrement fondé, annulant la décision litigieuse.

L’ONEm a interjeté appel de ce jugement.

L’arrêt de la cour du travail

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 27 novembre 2020 rappelle le mécanisme des articles 60 à 62 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

L’article 60 précise que, pour bénéficier des allocations, le travailleur doit être apte au travail au sens de la législation relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.

L’article 61 exclut du bénéfice des allocations de chômage le travailleur qui perçoit une indemnité en vertu d’un régime belge d’assurance maladie-invalidité.

En vertu de l’article 62, § 1er, du même arrêté, le travailleur qui, sur avis du médecin affecté au bureau de chômage, conformément à la procédure prévue à l’article 141, est considéré comme inapte au travail au sens de la législation relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités ne peut bénéficier des allocations. Cette décision ne prend toutefois effet que le jour qui suit la remise à la poste du pli par lequel la décision est notifiée au chômeur.

En cas de contestation de la décision d’inaptitude et si le travailleur a perçu des indemnités à charge de l’organisme assureur – ce qui n’est pas le cas en l’espèce –, une procédure est prévue pour éviter un cumul d’indemnités.

L’arrêt attaqué se réfère notamment, pour la jurisprudence, aux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles des 27 février 2013 (R.G. 2011/AB/263) et 2 septembre 2015 (R.G. 2013/AB/79) et, pour la doctrine, à M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, ainsi qu’à L. MARKEY.

L’arrêt attaqué indique « faire siens les enseignements visés dans les extraits de doctrine et de jurisprudence précités » et conclut que les certificats médicaux que M. B. a communiqués au FOREm n’établissent pas l’existence d’une incapacité de travail telle que visée à l’article 100 de la loi coordonnée et que l’ONEm ne pouvait donc pas conclure qu’il était inapte au sens de l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 sur ce seul fondement.

A défaut d’avis médical préalable conformément à l’article 62 de cet arrêté royal, l’inaptitude de M. B. pour les périodes visées par la décision n’est pas démontrée. Il s’en déduit que la sanction prise pour défaut de mention de son inaptitude sur sa carte de contrôle au sens de l’article 71 de l’arrêté royal n’est pas fondée.

La décision litigieuse est donc intégralement annulée et la demande reconventionnelle de l’ONEm tendant à voir condamner le chômeur à rembourser les allocations perçues est déclarée non fondée.

La requête en cassation

L’ONEm propose un moyen divisé en deux branches.

La seconde branche seule présente un intérêt, puisque la Cour de cassation décide que les motifs qu’elle critique suffisent à justifier légalement la décision et n’examine donc pas la première branche.

L’ONEm y invoque la violation des articles 60, 62 et 141 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage.

La requête soutient en substance que ces dispositions n’empêchent pas l’ONEm d’exclure un chômeur du bénéfice des allocations s’il se déclare lui-même inapte au travail et que, dans ce cas, il n’y a pas lieu de procéder à l’examen médical prévu par les articles 62 et 141 de l’arrêté royal.

L’arrêt commenté en sa deuxième branche

La Cour relève que l’article 60 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose que, pour bénéficier des allocations, le travailleur doit être apte au travail au sens de la législation relative à l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité.

L’article 61, §§ 1er, 2 et 3, de cet arrêté énonce les indemnités d’incapacité qui ne peuvent être cumulées avec les allocations de chômage.

L’article 62 § 1er, alinéa 2, interdit au chômeur de bénéficier des allocations s’il est considéré par le directeur de l’ONEm comme inapte après avis du médecin affecté au bureau de chômage, conformément à l’article 141 du même arrêté, mais la décision ne peut prendre effet que le jour qui suit la remise à la poste du pli par lequel celle-ci est notifiée au chômeur.

L’article 71, 3°, de l’arrêté royal précise que, pour bénéficier des allocations, le travailleur doit compléter à l’encre indélébile sa carte de contrôle conformément aux directives de l’ONEm. Ces directives sont données dans le modèle de la carte de contrôle visée par cet article 71. Ce modèle, établi conformément à l’article 40 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage par le Comité de gestion de l’ONEm, mentionne que, en cas d’incapacité de travail, soit de maladie, d’accident ou de repos d’accouchement, le travailleur doit indiquer la lettre « M » dans la case correspondante du calendrier.

La Cour déduit de l’ensemble de ces dispositions que, en vue d’assurer la continuité du revenu de remplacement, le travailleur qui ne se trouve pas dans les cas prévus par l’article 61, §§1er, 2 et 3, et n’indique pas sur sa carte de contrôle la lettre « M » par laquelle il déclare ne pas demander d’allocation ne peut être exclu du droit aux allocations de chômage pour défaut d’aptitude au travail que conformément à l’article 62, § 1er, sur avis du médecin affecté au bureau du chômage, la décision sortissant ses effets pour l’avenir.

Elle conclut donc que la seconde branche du moyen, qui soutient le contraire, manque en droit et rejette le pourvoi.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation met l’accent sur la cohérence des dispositions de la réglementation du chômage qu’elle reprend et s’appuie également sur les directives données aux chômeurs sur la carte de contrôle pour en déterminer le but, étant d’assurer la continuité du revenu de remplacement.

Les conclusions de M. l’Avocat général MORMONT mettent également l’accent sur cette exigence de continuité, qui explique les garanties prévues dans les deux régimes d’indemnisation que sont le chômage et l’assurance maladie-invalidité.

Ainsi, la réglementation du chômage prévoit que le travailleur qui est apte dans ce régime l’est également dans l’autre, et il en est de même de l’inapte, ce qui permet que des assurés sociaux ne tombent pas dans un interstice entre les deux régimes. En note 6, l’Avocat général se réfère notamment à la problématique des jeunes sortant de l’école et qui ne sont pas admissibles au bénéfice des allocations d’assurance maladie-invalidité parce que leur inaptitude résulte d’un état antérieur à leur entrée sur le marché du travail et que l’article 100 de la loi coordonnée exige que la cessation d’activité soit la conséquence directe du début ou de l’aggravation de troubles fonctionnels. N’étant pas inaptes au sens de la législation AMI, ils sont pris en charge dans le régime du chômage.

Cette continuité est également assurée en termes de procédure de différentes manières par l’article 62, § 1er, alinéas 1er et 2.

Les conclusions de l’Avocat général soulignent que la thèse de l’ONEm, qui aboutit à priver le chômeur de la garantie de l’article 62, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal pourrait entraîner des exclusions rétroactives du bénéfice des allocations, ce qui paraît difficilement conciliable avec la volonté de continuité de protection sociale qui inspire ces textes.

Il précise que la doctrine est plutôt dans le sens de l’arrêt attaqué, les conclusions (note 8) donnant de nombreuses références (dont P. PALSTERMAN, « L’incapacité des travailleurs salariés. Approche transversale », in M. DAVAGLE (coord.), Le maintien au travail de travailleurs devenus partiellement inaptes, Limal, Anthemis, 2018, p. 27, J.-F. FUNCK et L. MARKEY, « Chômage », in Guide social permanent – Sécurité sociale : commentaires, Kluwer, partie I, livre IV, titre III, chap. V ; A. MORTIER, « Aptitude au travail », in M. SIMON (coord.), Chômage, Bruxelles, Larcier, 2021, coll. R.P.D.B., p. 308 et les références citées et M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, « La prise en compte de l’état de santé du chômeur dans la réglementation du chômage », in J.-F. NEVEN et S. GILSON (coord.), La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, pp. 242 et s.).


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