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Chômage temporaire et COVID-19 : le cas de la suspension d’un contrat de travail à durée déterminée

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 21 février 2023, R.G. 2022/AN/58

Mis en ligne le lundi 13 novembre 2023


C. trav. Liège (div. Namur), 21 février 2023, R.G. 2022/AN/58

Dans un arrêt du 21 février 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) annule une décision de l’ONEm ayant, pour la période du début de la crise du COVID-19, exigé le remboursement d’allocations de chômage temporaire vu la suspension d’un contrat de travail à durée déterminée suivant (mais non immédiatement) un précédent contrat de même nature.

Les faits

Un chauffeur de bus scolaire preste dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée, couvrant les périodes scolaires. Dans le courant du deuxième trimestre 2020, il signe un dernier contrat allant jusqu’au 30 juin. Il est alors décidé par le Conseil National de Sécurité de prolonger les mesures de confinement liées au COVID-19, en ce compris la fermeture des écoles, ce qui place l’intéressé en chômage temporaire à partir de la date de prise de cours de ce dernier contrat.

En septembre 2020, il est convoqué par l’ONEm, aux fins de donner des explications quant à la mise en chômage temporaire alors qu’il bénéficiait d’un nouveau contrat de travail. La récupération d’allocations de chômage lui est annoncée, l’intéressé devant, pour l’Office, se retourner vers son employeur pour obtenir la rémunération des journées concernées.

La décision est prise sur pied des articles 44 et 45 de l’arrêté royal organique, l’ONEm considérant que, quoique bénéficiant des allocations de chômage pour motif de force majeure pendant la période concernée, l’intéressé a exercé une activité salariée. La force majeure est refusée.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), l’intéressé demandant de mettre à néant la décision de l’ONEm et de condamner l’Office à le rétablir dans ses droits. Subsidiairement, il plaide une faute de l’ONEm en lien causal avec son dommage, ce qui doit entraîner la compensation des sommes réclamées et de la réparation de ce préjudice.

L’ONEm demande, à titre reconventionnel, outre la confirmation de la décision administrative, la condamnation de l’intéressé au remboursement.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 10 mars 2022, le tribunal du travail a débouté le demandeur, le condamnant à rembourser les allocations en cause. Celui-ci interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant développe les mêmes arguments qu’en première instance. Sur le fond, il fait essentiellement valoir, d’abord, l’absence de motivation formelle, qui doit entraîner l’annulation de la décision. Il estime avoir droit aux allocations de chômage temporaire, au motif d’abord que la charge de la preuve repose sur l’ONEm, celui-ci devant démontrer qu’il ne pouvait se prévaloir d’un cas de force majeure ou qu’il a eu recours de manière abusive au chômage temporaire. Ensuite, il considère que les textes applicables ne prévoyaient pas que, pour bénéficier du « chômage temporaire Corona », les contrats de travail à durée déterminée devaient se succéder sans interruption (quelques jours s’étant en l’espèce écoulés entre les contrats en cause). Il fait valoir la bonne foi de son employeur et de lui-même, la société, face à la possibilité de réouverture à tout le moins partielle des écoles, se devant d’être prête et en ordre de marche. Il expose également avoir travaillé jusqu’à la fin du mois de juin (la récupération n’étant demandée que jusqu’au 22 mai) et avoir encore poursuivi ses prestations durant l’année scolaire 2020-2021. Subsidiairement, il plaide la violation des principes généraux de bonne administration, vu l’absence de clarté et de précision de la norme appliquée, et demande la condamnation de l’ONEm à des dommages et intérêts à ce titre.

Quant à l’ONEm, il considère que la décision litigieuse est motivée comme de droit. Sur le fond, il renvoie à l’article 26 de la loi du 3 juillet 1978, qui suppose un cas de force majeure, c’est-à-dire un événement soudain, imprévisible et indépendant de la volonté des parties. Il expose que celle-ci était admise en cas de contrats de travail à durée déterminée successifs conclus sans interruption. Par ailleurs, il estime que la signature du dernier contrat ne pouvait intervenir dès lors que le début d’exécution ne serait manifestement plus possible en raison de la crise. Il retient encore que les conditions liées à la force majeure n’étaient pas réunies, étant procédé en l’espèce à un recours abusif au chômage temporaire dans le chef du travailleur et de l’employeur.

La décision de la cour

Dans son rappel des principes, qui débute par le renvoi au texte de l’article 26 de la loi du 3 juillet 1978, la cour cite la doctrine de A. MECHELYNCK et de J.-F. NEVEN (A. MECHELYNCK et J.-F. NEVEN, « Un renforcement du chômage temporaire pour tous les travailleurs ? Certains travailleurs atypiques privés à la fois de travail et de chômage temporaire », J.T.T., 2020, pp. 158 et 159). Celle-ci a rappelle que la pratique administrative envisageait différemment la suspension pour force majeure selon qu’elle résultait de l’inaptitude médicale du travailleur ou d’une autre cause (retrait d’agrément de l’employeur, travaux de voirie, mouvements sociaux, attentat terroriste, etc.) et déplore le manque d’encadrement de l’action administrative, s’agissant, pour décider si la force majeure serait admise, de se reporter uniquement aux instructions administratives de l’ONEm.

La cour constate que, dans le cadre de la crise du COVID-19, les conditions ont été assouplies, la procédure étant elle-même simplifiée. L’arrêt cite de larges extraits de cet article de doctrine, dont il souligne certains passages, confirmant la facilitation dans le cadre des mesures de confinement, de l’accès au chômage temporaire, tant en ce qui concerne le chômage économique que le chômage pour force majeure. Il reprend l’évolution des mesures prises, soulignant que l’ONEm a « largement ouvert » les portes du chômage pour force majeure dès le premier arrêté du ministre de l’intérieur du 30 mars 2020.

Dans les extraits repris, figure encore la précision que le chômage temporaire permet de soutenir l’économie en maintenant (partiellement) le revenu des travailleurs et donc leur capacité à consommer, tout en permettant aux entreprises de reprendre plus facilement leurs activités une fois la crise passée, dans la mesure où les contrats de travail lui auront « survécu ». Renvoi est également fait à la « FAQ » de l’ONEm, actualisée au fil du temps, celle-ci témoignant de la volonté de soutenir la relation de travail.

Poursuivant son rappel de la doctrine ci-dessus, la cour souligne une interrogation des auteurs, pour qui la situation est particulièrement problématique lorsque le contrat de travail à durée déterminée qui a pris fin pendant la crise constitue une composante d’une relation de travail destinée à être plus longue que la période couverte par le contrat en cours et que cette relation n’a pas pu se poursuivre à cause de la crise sanitaire. Quant aux mesures d’assouplissement, il est relevé que l’ONEm a accepté dans un premier temps que des contrats de travail soient conclus pour être suspendus immédiatement, mais qu’en date du 30 avril 2020, il a ajouté une condition à cet assouplissement, selon laquelle il ne serait pas accepté que des contrats de travail soient uniquement conclus pour une période entièrement couverte par du chômage temporaire.

Cette position administrative ne repose pas sur un texte spécifique adopté dans le contexte de la crise et la possibilité pour l’ONEm de réclamer le remboursement des allocations indues mènera inévitablement à des litiges relatifs à la récupération de ces allocations, ce qui est avéré en l’espèce. La cour relève que le travailleur démontre que les contrats de travail qui lui étaient soumis étaient des contrats à durée déterminée successifs conclus pour les périodes de cours, à l’exclusion des périodes de congés scolaires, et qu’il s’agit par ailleurs d’un métier en pénurie.

Pour la cour, l’intéressé devait pouvoir prétendre à des allocations durant la suspension du contrat de travail. Les parties entendaient, indépendamment de la crise sanitaire, conclure un nouveau contrat à durée déterminée allant jusqu’à la fin de l’année scolaire et l’interruption entre les deux contrats (interruption de quelques jours en avril) est objective. Il n’est pas déraisonnable par ailleurs que, s’agissant d’un métier en pénurie, les parties aient entendu conclure le nouveau contrat sans attendre l’issue de la décision du Conseil National de Sécurité. La cour relève encore que, si les écoles n’ont pas été rouvertes tout de suite, elles l’ont été en mai 2020 et que les fonctions ont pu être reprises à partir du 23 du mois.

Les plaideurs étant en désaccord sur la charge de la preuve, la cour fait cependant l’impasse sur les règles afférentes et conclut que travailleur et employeur entendaient manifestement poursuivre leur relation de travail au moment où la crise sanitaire a vu le jour et qu’il y a eu exécution effective du contrat quelques semaines plus tard, ce qui en démontre le caractère non fictif.

Enfin, la cour fait grief à l’ONEm de ne pas expliquer le sort différent fait à une demande de chômage temporaire telle que celle formulée par l’intéressé par comparaison à celle d’un autre chauffeur dont le contrat aurait été reconduit sans interruption par rapport au contrat précédent. Il devait être procédé à l’assimilation. La décision de l’ONEm n’est dès lors pas légalement justifiée au vu des circonstances particulières de la cause. Et la cour de conclure à l’absence de recours abusif au chômage temporaire.

Elle accueille dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) fait application d’une règle très particulière, prise dans le cadre des mesures adoptées en urgence lors de la crise du COVID-19. Un article de doctrine publié au J.T.T. de 2020, sous la plume de A. MECHELYNCK et de J.-F. NEVEN, est particulièrement bienvenu sur la question, puisqu’il a démontré la fragilité des règles mises sur pied dans la foulée de la survenance de la crise. A particulièrement été relevée l’évolution des conditions d’accès au chômage temporaire, et ce tant pour ce qui est du chômage économique que pour ce qui est du chômage « force majeure ».

Les mesures en cause ont – il est vrai – eu notamment pour objectif de lutter contre un recours abusif au chômage temporaire (facilité, vu la situation). Elles ont, plus fondamentalement, eu pour objet de soutenir l’économie en maintenant le revenu des travailleurs et en permettant aux entreprises de reprendre plus facilement leurs activités une fois la crise passée, permettant, par la suspension du contrat, de maintenir la relation de travail et de reprendre une exécution effective ultérieurement.

Les circonstances de fait de l’affaire jugée par la cour du travail dans l’arrêt commenté démontrent clairement la persistance des relations de travail entre les parties, et ce d’une part eu égard à la nature du travail et, d’autre part, à la continuité de la relation contractuelle à l’issue des mesures spéciales dues à la crise. Pour la cour, en l’absence de toute fraude, il y a lieu de conclure à l’assimilation avec l’admission du droit d’accès au chômage temporaire en cas de contrats de travail à durée déterminée successifs.


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