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Accident du travail dans le secteur public : étendue du caractère contraignant des décisions du Medex

Co mmentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 19 juin 2023, R.G. 2023/AL/127

Mis en ligne le samedi 13 janvier 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 19 juin 2023, R.G. 2023/AL/127

Par arrêt du 19 juin 2023, la Cour du travail de Liège, division Liège (Ch. 3-J) conclut, dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, au caractère contraignant de la décision du Medex sur l’ensemble des aspects médicaux qui lui sont déférés, dont la date de consolidation des lésions.

Les faits

Une convoyeuse de bus scolaire fut victime d’un accident du travail le 10 juin 2015.

Le Medex rendit ses conclusions le 26 mars 2018, retenant un taux d’incapacité permanente de 8 % avec une date de consolidation au 1er janvier 2018.

L’intéressée ne marqua pas accord avec ces conclusions et introduisit une procédure devant le tribunal du travail de Liège (division Liège).

Celui-ci désigna un expert.

Suite au dépôt du rapport de l’expert judiciaire, qui conclut à une incapacité permanente de 10 %, le tribunal statua par jugement du 2 novembre 2021, entérinant ses conclusions. Le taux retenu par l’expert fut donc admis par le premier juge.

La consolidation des lésions fut cependant fixée au 1er janvier 2017, soit un an plus tôt que la date retenue par le Medex.

Appel est interjeté par l’employeur.

Position des parties devant la cour

L’employeur ne conteste pas le pourcentage d’incapacité de travail mais uniquement la date de consolidation, faisant valoir que le rapport du Medex a sur ce point une ‘valeur impérative négative’ à l’égard de l’employeur et des juridictions du travail et que, en anticipant la date de consolidation d’un an, le premier juge a en outre privé l’intéressée d’une année complète d’indemnités d’incapacité de travail en lien avec l’accident.

La partie intimée ne développe pas d’autres moyens que ceux soumis précédemment au tribunal.

La décision de la cour

La cour reprend la procédure administrative de règlement de l’accident du travail dans le secteur public, rappelant que celle-ci n’est pas prévue dans le corps de la loi du 3 juillet 1967 elle-même mais dans les arrêtés royaux pris en exécution de cette dernière.

Il faut en l’espèce appliquer celui du 24 janvier 1969, qui contient les modalités de cette procédure en ses articles 6 et suivants.

L’examen médical par le Medex est visé à l’article 8. La cour rappelle qu’en vertu de ce texte le Medex a une triple mission étant (i) de vérifier le lien de causalité entre l’accident du travail et les lésions, (ii) d’établir le lien de causalité entre l’accident du travail et les périodes d’incapacité de travail et (iii) de fixer la date de consolidation et le pourcentage d’incapacité permanente (ainsi que celui de l’aide de tiers).

Renvoyant à la doctrine de R. JANVIER et de S. AERTS (R. JANVIER et S. AERTS, « Les circuits d’incapacité dans le secteur public : labyrinthe sans issue ? », in R. JANVIER (éd.), Le droit social de la fonction publique, La Charte, 2015, page 137), la cour rappelle le caractère impératif des décisions médicales du Medex vis-à-vis de l’employeur et des juridictions du travail, la victime étant la seule à pouvoir remettre ses appréciations en cause, et ce par une action en justice.

Elle souligne également, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2000 Cass., 7 février 2010, S.99.0122.F), que cette procédure ne peut entraîner de révision à la baisse. La victime ne peut ainsi que voir son sort s’améliorer.

La cour renvoie également à un arrêt de sa jurisprudence (C. trav. Liège, 25 juin 2003, Chron. Dr. Soc., 2004, page 589), où elle a jugé que l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 7 février 2000, rendu à propos de l’arrêté royal du 12 juin 1970 (personnel des organismes d’intérêt public, des personnes morales de droit public et des entreprises publiques autonomes) doit être transposé aux accidents du travail relevant de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 (personnel des ministères fédéraux et fédérés ainsi que de l’enseignement).

La cour en conclut que la date de consolidation du Medex lie l’autorité et les juridictions du travail (avec renvoi ici à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 21 janvier 2013, R.G. 2012/AB/11 et à un jugement du Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi), du 8 février 2022, R.G. 21/1.004/A) ainsi qu’à la doctrine de S. REMOUCHAMPS, « Le rôle du Medex », in Les accidents du travail dans le secteur public, Actes du colloque du 10 novembre 2015, Anthémis, Limal, 2015, page 271).

La cour accueille dès lors l’appel, concluant que l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 février 2000 s’applique à l’ensemble des aspects médicaux déférés au service médical.

Intérêt de la décision

La question de la force contraignante des décisions du Medex donne lieu à une jurisprudence fournie et non unanime.

Le débat a dans le passé porté essentiellement sur le taux d’incapacité permanente. C’est cette question qui a été tranchée dans l’arrêt de la Cour de cassation du 7 février 2000 dont question ci-dessus : la décision du service médical lie l’autorité dans la mesure où ce service reconnaît une invalidité permanente. En sus, le tribunal du travail qui statue sur une contestation concernant le taux d’incapacité permanente ne peut accorder un pourcentage inférieur à celui qui a été reconnu par le service médical. Sur la question l’on peut également renvoyer à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 13 mai 2020 (C. trav. Bruxelles, 13 mai 2020, R.G. 2017/AB/766 – précédemment commenté).

Outre la question du taux d’incapacité permanente, sont également en débat les autres éléments de la réparation (incapacité temporaire, date de consolidation, aide de tiers notamment), ceci vu les dispositions des arrêtés royaux applicables aux diverses catégories de travailleurs.

On peut, à titre d’exemple, dans la jurisprudence récente, citer plusieurs décisions de la cour du travail de Liège, qui font apparaître les divergences d’appréciation sur la question.

Il a ainsi été jugé dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 qu’une décision du Medex est contraignante vis-à-vis de l’employeur public et du juge pour le taux minimum de l’incapacité permanente mais qu’elle ne l’est pas pour les autres aspects médicaux (lien de causalité, incapacité temporaire et date de consolidation) (C. trav. Liège (div. Liège), Ch. 3-D, 8 décembre 2022, R.G. 2021/AL/460).

Dans le cadre de l’arrêté royal du 12 juin 1970, il a été admis qu’avant l’arrêté royal du 8 mai 2014, le Medex était compétent pour fixer le pourcentage d’incapacité permanente de travail résultant des lésions physiologiques occasionnées par l’accident mais qu’il ne n’était pas pour statuer sur le lien de causalité entre l’événement soudain et les lésions. Le texte renvoie actuellement à celui du 24 janvier 1969 et donne depuis cette modification légale attribution au Medex pour se prononcer sur ce lien notamment (C. trav. Liège (div. Liège), 17 mai 2022, R.G. 2017/AL/285). Il a été jugé sur la question que si le Medex peut actuellement prendre des décisions dans d’autres aspects médicaux que l’incapacité permanente (lien de causalité entre l’accident et les lésions, entre l’accident et les périodes d’incapacité de travail, ainsi que date de consolidation et pourcentage de l’aide de tiers), il n’y a de décision contraignante qu’en matière de pourcentage d’incapacité permanente. L’appréciation du Medex ne lie pas le juge en ce qui concerne les périodes d’incapacité temporaire (C. trav. Liège (div. Liège), Ch 3-B, 22 mars 2022, R.G. 2019/AL/338).

Les débats sur la question ne sont dès lors pas clos.


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