Terralaboris asbl

Vérification de la minime importance d’une activité accessoire dans l’HORECA et devoir d’information de l’ONEm

Commentaire de C. trav. Liège (division Neufchâteau, chambre 8-A), 13 septembre 2023, R.G. 2020/AU/46

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2024


C. trav. Liège (division Neufchâteau, chambre 8-A), 13 septembre 2023, R.G. 2020/AU/46

Dans arrêt du 13 septembre 2023, la cour du travail de Liège (division Neufchâteau) se penche sur la notion d’activité accessoire ‘de minime importance’, notion non précisée dans la réglementation.

Faits de la cause

Le 14 juillet 2017, Mme B. introduit une demande de ruling auprès de l’ONEm ayant deux objets. Elle souhaite savoir si elle pourrait bénéficier des allocations de chômage si elle quitte son emploi (étant en désaccord avec son employeur) et s’interroge également sur la possibilité de continuer à exercer son activité commerciale indépendante si elle rompt le contrat.

Par courrier du 27 juillet 2017, l’ONEm l’informe sur les principes applicables en cas d’abandon d’un emploi convenable mais n’aborde pas la question relative à l’activité indépendante complémentaire.

Mme B. met fin au contrat de travail et sollicite le bénéfice des allocations de chômage avec effet au 1er septembre 2017.

Elle est convoquée par l’ONEm à propos de cette activité accessoire et, lors de son audition, expose qu’elle a, avec son mari, une maison d’hôtes à Bruxelles mais que tout se règle par internet, une société bruxelloise s’occupant des prestations sur place.

Son mari s’occupe de la comptabilité et des réponses aux e-mails des clients tandis qu’elle se charge des contacts avec la société et de la facturation aux clients, après journée et à raison de 2,5 heures maximum par semaine ; il lui arrive également de se rendre à Bruxelles le week-end pour voir si tout est en ordre.

Par courrier du 22 novembre 2017, l’ONEm informe Mme B. qu’elle est admise au bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er septembre 2017 et qu’elle percevra les allocations complètes, sous réserve d’une éventuelle révision lorsque le montant de ses revenus sera définitivement connu.

Par un autre courrier du même jour, l’ONEm lui adresse un avertissement pour abandon d’emploi convenable.

Par un courrier du 07 février 2018, Mme B. est invitée à fournir un bilan détaillé de l’activité complémentaire, ce qu’elle fait le 18 février.

L’ONEm, ayant constaté que cette activité relevait du secteur Horeca et générait des revenus bruts relativement importants, convoque Mme B. pour un entretien au cours duquel celle-ci précise que l’activité est toujours en négatif.

La décision prise le 23 mai l’exclut du bénéfice des allocations de chômage à partir du 28 mai 2018, l’absence de rétroactivité s’expliquant par l’autorisation initialement accordée.

Mme B. introduit un recours recevable contre cette décision devant le Tribunal du travail d’Arlon demandant à titre principal la réformation de la décision de l’ONEm et, à titre subsidiaire, la condamnation de cet organisme à lui payer des dommages et intérêts pour un défaut d’information.

Ce tribunal, par un jugement du 11 juin 2019, dit que l’activité exercée par Mme B. relève du secteur Horeca et ordonne la réouverture des débats pour permettre à la chômeuse et à l’ONEm d’apporter des précisions.

Par jugement du 23 juin 2020, le tribunal réforme la décision de l’ONEm.

L’ONEm a introduit contre cette décision un appel recevable.

L’arrêt commenté

Sur l’exclusion du droit aux allocations de chômage, la cour du travail rappelle le régime particulier qui s’applique à certaines activités dont celles exercées dans le secteur Horeca : l’activité accessoire n’est pas compatible avec le bénéfice des allocations de chômage sauf si elle est de minime importance.

Citant L. MARKEY (Le chômage : conditions d’admission, condition d’octroi et indemnisation, Wolters Kluwer, pp 226 -227), l’arrêt souligne que la réglementation ne comporte aucun critère objectif permettant de se prononcer sur la détermination de l’importance du travail.

La cour écarte le soutènement de Mme B. que la notion de minime importance pourrait être rapprochée de celle définie à l’article 48, § 3, de l‘arrêté royal du 25 novembre 1991 pour décrire une des caractéristiques de l’activité accessoire. La notion d’activité de minime importance est plus restrictive.

L’arrêt épingle également un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 14 février 2018 (R.G. 2016/AB/1011, consultable sur www.terralaboris.be), ayant retenu que le caractère de minime importance d’une activité ne se déduisait pas seulement des revenus produits mais aussi du nombre d’heures de travail qui y est consacré et que ce ne sont pas les revenus après déduction des charges qui sont indicateurs du temps de travail consacré à cette activité mais les revenus bruts.

Contrairement à ce que soutient Mme B., ce bénéfice brut ne peut être divisé par deux compte tenu de l’implication dans l’affaire de son mari.

L’arrêt souligne que Mme B. ne peut contester que son activité de location de chambre d’hôtes avec possibilité de petit-déjeuner relève du secteur Horeca, relevant notamment que son époux et elle sont inscrits à la B.C.E. sous le code générique ‘Hotels et Restaurants’ et que leur site internet vante « un charmant petit hôtel familial ».

En conséquence, cette activité ne pouvait être exercée qu’à la condition qu’elle soit de minime importance, l’arrêt renvoyant à la définition de ‘minime’ donnée par le dictionnaire Larousse, étant ‘ce qui est très petit’.

En se fondant sur les pièces du dossier de Mme B. et ses déclarations, la cour du travail relève que :
• même si une partie des tâches est sous-traitée, Mme B. reconnait être en contact avec la société sous-traitante. Or, les séjours en chambre d’hôtes ont vocation à être de courte durée, ce qui est confirmé en l’espèce. Cela implique nécessairement un travail régulier en termes de communication d’instructions à cette société ;
• le même raisonnement est applicable à la facturation, dont Mme B. reconnait s’occuper ;
• Mme B. affirme que c’est son mari qui s’occupe de la compatibilité et de la gestion des e-mails mais ne dépose aucune pièce permettant de l’établir ; au contraire, le site internet dédié à leur activité de chambres d’hôte mentionne deux numéros de GSM ; l’e-mail adressé aux clients les invite à contacter leurs hôtes soit par e-mail, soit par téléphone, pour tout problème durant leur séjour ; la courte durée de ceux-ci multiplie le nombre de coups de fil reçus, dont une partie vraisemblablement après 18h00 ;
• l’activité implique d’autres tâches qui « peuvent également être chronophages », dont le dossier de la chômeuse donne des exemples, telles les petites courses pour remplacer l’un ou l’autre objet ou ustensiles ou les interventions auprès du chauffagiste.

Les prestations restant à charge de Mme B. ne peuvent donc être qualifiées de minimes.

L’arrêt ajoute que les bénéfices bruts imputés à Mme B. et son mari ne sont pas non plus minimes : ils n’ont sans doute pas procuré des revenus immédiats, mais certaines charges de l’immeuble sont déduites des revenus du couple et l’activité est susceptible de produire des bénéfices différés, étant la constitution progressive d’un patrimoine immobilier.

L’arrêt réforme donc le jugement dont appel et rétablit la décision de l’ONEm en toutes ses dispositions.

Sur l’action de Mme B. contre l’ONEm en dommages et intérêts pour défaut d’information, l’arrêt analysé rappelle le contenu des articles 3 et 4 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte de l’assuré social », qui régissent les obligations d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale envers l’assuré social.

L’arrêt cite M. SIMON (« Activités du chômeur, récupération des allocations de chômage et responsabilité [ONEm et organismes de paiement] : jurisprudence 2013-2018 », dans C.U.P.- Actualités et innovations en droit social, vol.182,2018, Anthemis p.373), qui relève que si, en vertu des articles 24 et 26bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, l’obligation d’information est à charge des organismes de paiement, l’ONEm n’assumant cette obligation qu’à titre subsidiaire, par contre, « lorsque l’ONEm communique directement avec le chômeur, il doit veiller à transmettre des informations suffisantes ».

La cour du travail retient que l’ONEm a commis une faute en ne répondant pas à la seconde question posée par Mme B. dans sa demande de ruling, étant la possibilité de continuer son activité accessoire si son contrat était rompu et en n’examinant pas si cette activité était de minime importance et donc compatible avec les allocations de chômage qui lui ont été octroyées.

Mais l’ONEm n’a pas revu sa décision avec effet rétroactif et la chômeuse ne démontre pas qu’elle aurait mis un terme à son activité de gestion de chambres d’hôtes si elle avait été directement informée de l’incompatibilité entre son activité et la perception d’allocations de chômage, se déclarant au contraire bloquée par le prêt consenti.

En outre, elle ne démontre pas un dommage autre que celui de se voir retirer le bénéfice des allocations de chômage, qui n’est pas un dommage réparable dès lors que Mme B. ne remplissait pas les conditions pour y prétendre. L’arrêt se réfère à cet égard à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 2019 (R.G. S.18.0075.F., sur Juportal) et à l’arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 22 avril 2015 (R.G. 2013/AB/858 consultable sur le site www.terralaboris.be).

Mme B. est donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Intérêt de la décision commentée

Ainsi que le souligne l’arrêt commenté, l’exigence que, pour certaines professions, l’activité accessoire soit de minime importance pour être compatible avec le bénéfice des allocations de chômage n’est, dans le texte de l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, assortie d’aucun critère objectif.

L’introduction auprès de l’ONEm d’une demande de ruling devrait permettre à cet organisme d’interroger le chômeur de la manière la plus précise possible sur les modalités d’exercice de cette activité et d’attirer son attention sur la nécessité de s’en procurer des preuves.

L’organisme de paiement peut certes aider le chômeur dans sa réflexion sur ce sujet mais il nous parait que seul l’ONEm peut prendre la responsabilité de définir le plus précisément possible ce qu’il considérera comme une activité de minime importance compte tenu des caractéristiques concrètes de l’activité exercée.

Le cas d’espèce révèle qu’il est particulièrement difficile de démontrer la minime importance de l’activité lorsque celle-ci est exercée par deux conjoints ou partenaires.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be