Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 16 octobre 2018, R.G. 2016/AN/210
Mis en ligne le lundi 29 avril 2019
Cour du travail de Liège (division Namur), 16 octobre 2018, R.G. 2016/AN/210
Terra Laboris
Par arrêt du 16 octobre 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend les éléments du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de dispense de cotisations au statut social des travailleurs indépendants, instituée auprès du SPF Sécurité sociale, rappelant à la fois les règles de preuve, l’étendue du contrôle judiciaire et les éléments d’ordre financier à prendre en compte.
Les faits
Un travailleur indépendant demande une dispense des cotisations au statut social auprès de la Commission de dispense instituée auprès du Service public fédéral Sécurité sociale. La demande, formée en novembre 2009, porte sur les cotisations entre le deuxième trimestre 2009 et le troisième trimestre 2010.
La Commission refuse, au motif de l’existence de ressources suffisantes pour faire face au paiement de celles-ci.
L’intéressé est débouté du recours qu’il a introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) et interjette appel.
La décision de la cour
La cour commence par rappeler, sur le plan de la procédure, qu’une première décision avait été prise le 11 octobre 2010 et que celle-ci avait été annulée par le Conseil d’Etat (C.E., 11 octobre 2011, n° 215.685). Une deuxième décision était intervenue et le Conseil d’Etat a alors considéré qu’il était sans pouvoir de juridiction (C.E., 22 janvier 2014, n° 226.159 – rectification C.E., 28 mars 2014, n° 226.956) et que cette décision a, ensuite, été annulée par le tribunal du travail. Ceci a donné lieu à la décision querellée.
En ce qui concerne le fondement de l’appel, la cour reprend, de manière très didactique, le cadre réglementaire. La possibilité de solliciter une dispense totale ou partielle des cotisations au statut social, dans le chef de travailleurs indépendants qui estiment se trouver dans le besoin ou dans une situation voisine, figure à l’article 13bis, § 1er (possibilité ne couvrant pas les assujettis qui exercent une activité accessoire).
L’état de besoin ou la situation voisine de celui-ci doit être établi(e) par le demandeur.
Quant à la Commission, elle doit notamment tenir compte des ressources et charges des membres du ménage (sauf ceux qui sont étrangers à l’activité exercée et qui n’ont pas d’obligation légale de secours et d’aliments envers l’indépendant).
En cas de refus et de contestation par le travailleur indépendant, celle-ci rentre dans le champ d’application de l’article 581, 1°, du Code judiciaire, étant qu’elle implique la compétence matérielle des tribunaux du travail (la cour rappelant ici l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013, n° C.12.0408.N).
La cour précise encore d’une part qu’il y a un délai (deux mois à partir de la notification) pour introduire la requête judiciaire et que, d’autre part, les décisions de la Commission sont rendues dans le cadre d’une compétence discrétionnaire, ce qui limite le contrôle judiciaire à un examen de légalité, qui ne peut mener qu’à l’annulation de la décision. Il n’y a dès lors pas de pouvoir de substitution.
Dans le cadre du contrôle de légalité, c’est à la Commission qu’il incombe d’apporter la preuve de la légalité de la décision prise. Elle doit, dans ce cadre, conserver pendant un temps raisonnable les documents qui sont le résultat naturel de ses recherches et constatations. Cette obligation fait partie intégrante de l’obligation générale – issue du principe de l’état de droit – dans le chef de l’autorité de prouver la régularité des décisions qu’elle prend. C’est la jurisprudence du Conseil d’Etat (C.E., 27 janvier 1967, n° 12.187) que la cour cite. La Commission doit également déposer un dossier administratif.
S’ajoutent à ces obligations celles de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs et la cour reprend ici les exigences habituelles pour que la motivation formelle puisse être retenue, dans le respect de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991.
Elle en vient, ensuite, à l’application de ces règles au cas de l’espèce, constatant que l’ensemble des éléments de fait et de droit sont exposés de manière claire et précise, ce qui implique que la condition de motivation formelle adéquate est remplie.
Pour ce qui est par ailleurs des éléments de fond, la cour rencontre les arguments de l’appelant. Celui-ci fait grief à la Commission de ne pas avoir déduit de ses revenus les impôts qu’il a dû payer. Examinant les chiffres, la cour conclut que ce reproche est non fondé, les revenus retenus étant les revenus nets du couple avant impôt. De même, la cour rejette que ne puissent être pris en compte les revenus de l’épouse et du fils, et ce dans la mesure où ceux-ci font partie du ménage et ont une obligation légale de secours et d’aliments. D’autres griefs plus factuels sont encore écartés.
La cour conclut à la confirmation du jugement, l’appelant n’établissant pas que la décision rendue est entachée d’illégalité.
Intérêt de la décision
Cet arrêt est intéressant, au moins à trois titres.
En premier lieu, il rappelle que, suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2013 (n° C.12.0408.N), les règles de compétence ont été modifiées, les juridictions sociales étant devenues compétentes sur pied de l’article 581, § 1°. Ceci explique d’ailleurs les rétroactes judiciaires de l’affaire en cause (le Conseil d’Etat se considérant compétent pour la première décision, mais non pour la deuxième, intervenue après l’arrêt de la Cour de cassation).
Ensuite, la cour reprend de manière explicite l’étendue du contrôle judiciaire sur les décisions de la Commission des dispenses, étant qu’il s’agit d’un contrôle de légalité et que, afin de permettre celui-ci, la Commission a des obligations de preuve et est tenue de conserver et de produire des éléments.
Enfin, sur le plan des revenus pris en compte, deux questions sont abordées, qui peuvent être utiles pour le praticien, étant que les revenus à retenir sont les revenus nets. Il s’agit des revenus du ménage. Par ailleurs, peuvent intervenir les revenus des personnes membres de ce ménage ayant une obligation légale de secours et d’aliments envers le travailleur indépendant.