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Indemnité compensatoire de préavis en cas de crédit-temps (CCT 103) : rémunération de référence

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 10 octobre 2022, R.G., 21/2.608/A

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 10 octobre 2022, R.G., 21/2.608/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 octobre 2022, le Tribunal du travail de Liège fait application de la jurisprudence de la Cour de cassation en son arrêt du 20 juin 2020 sur la question de la rémunération de référence : le temps plein.

Les faits

Une employée d’un secrétariat social est licenciée moyennant paiement d’une indemnité de rupture au motif, selon le C4, qu’elle ne répond pas aux exigences de la fonction.

Celle-ci ayant demandé à connaître les motifs du licenciement (CCT 109), l’employeur ne donne pas suite.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Liège, dans laquelle est notamment demandée une indemnité complémentaire de préavis, au motif que l’employée était en crédit-temps au moment du licenciement et que l’indemnité compensatoire ne peut pas être calculée sur la rémunération réduite. L’employée sollicite dès lors le paiement d’un complément, calculé sur le salaire à temps plein. Elle se fonde sur la jurisprudence européenne ainsi que sur un arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2020.

L’employeur s’appuie pour sa part sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de préavis en cas de crédit-temps, selon laquelle l’indemnité doit être calculée sur une rémunération correspondant à des prestations réduites.

La décision du tribunal

Le tribunal fait un examen approfondi de la question de l’assiette de l’indemnité (les autres chefs de demande n’étant pas repris dans le présent commentaire).

Il prend comme point de départ l’article 39, par. 1er de la loi du 3 juillet 1978, qui, pour le calcul de l’indemnité compensatoire de préavis, renvoie à la rémunération en cours. La Cour de justice a rendu un arrêt le 22 octobre 2009 (C.J.U.E., 22 octobre 2009, C-116/08, MEERTS c/ PROOST NV, EU:C:2009:645), qui a abouti à l’adoption de la modification de la loi du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales. L’article 105, par 3 de celle-ci définit la rémunération en cours comme étant celle à laquelle le travailleur aurait eu droit s’il n’avait pas réduit ses prestations de travail. Ceci vaut en matière de congé parental.

Le tribunal note qu’une controverse a existé pendant plusieurs années sur la question du crédit-temps et que, notamment, la Cour constitutionnelle a été saisie à diverses reprises (les nombreux arrêts étant cités, dont C. Const., 12 juillet 2012, n° 90/2012), le tribunal mettant en exergue l’arrêt du 7 novembre 2019 (C. Const, 7 novembre 2019, n° 172/2019), où celle-ci était interrogée sur le crédit-temps pour s’occuper d’un enfant de moins de 8 ans. Ses décisions antérieures ont été confirmées au motif que la différence de traitement est raisonnablement justifiée compte tenu de l’existence d’une protection contre le licenciement au bénéfice des travailleurs en crédit-temps.

Cependant, par arrêt du 22 juin 2020 (Cass., 22 juin 2020, S.19.0031.F), la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour du travail de Mons du 23 novembre 2018 (C. trav. Mons, 23 novembre 2018, R.G. 2017/AM/379 et 2017/AM/364), qui avait admis dans le cadre de ce type de crédit-temps la rémunération réduite come ‘rémunération en cours’.

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation a renvoyé à l’article 157 TFUE ainsi qu’à l’arrêt PRAXAIR MRC (C.J.U.E., 8 mai 2019, Aff. 486/18, RE c/ PRAXAIR MRC SAS, EU:C:2019:379), rendu en matière de congé parental.

Le tribunal rappelle qu’avant cette décision de la Cour de cassation la Cour du travail de Gand avait conclu également dans l’hypothèse d’un tel crédit-temps que si la rémunération devait être calculée sur la base de prestations réduites, il y aurait discrimination indirecte, à l’égard des femmes vu qu’au moment du licenciement 78 à 84 % du groupe ‘défavorisé’ était constitué de femmes alors que le groupe ‘favorisé’ ne comptait tout au plus que 50 % de femmes (C. trav. Gand, 14 janvier 2013, N.J.W., 2013, p. 218, note S. DE GROOF, cité par le tribunal).

Plus récemment, la Cour du travail de Liège a conclu de même, la discrimination indirecte ainsi créée n’étant pas adéquatement justifiée (C. trav. Liège (div. Liège), 11 décembre 2020, J.L.M.B., 2021, p. 660, cité par le tribunal).

Il rappelle ensuite le principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes édictée par l’article 157 TFUE, dont il souligne que celui-ci revêt un caractère impératif quant aux critères de ‘même travail’ et de ‘travail de même valeur’, pour lesquels vaut la règle de l’égalité des rémunérations. Il s’agit d’une disposition qui a un effet direct et crée des droits pour les particuliers, que les juridictions nationales ont pour mission de sauvegarder. Ce principe peut dès lors être invoqué devant elles.

Le tribunal reprend, enfin, des éléments chiffrés, se fondant sur les statistiques publiées par l’ONEm pour les années 2013 à 2019.

Il conclut que le calcul de la rémunération servant de base à l’indemnité compensatoire de préavis sur la base de la rémunération réduite désavantage actuellement encore davantage de femmes, la différence n’étant justifiée par aucun élément objectif étranger à toute discrimination fondée sur le sexe.

Il renvoie encore à l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus, qui a relevé que ne constitue pas une telle justification le fait que solliciter un crédit-temps pour ce motif relève d’un choix personnel ni celui que juger discriminatoire la prise d’un crédit-temps majoritairement par les femmes crée une possible discrimination à l’égard des hommes.

Constatant ainsi l’existence d’une discrimination prohibée, le tribunal applique le principe de l’article 157, par 1er TFUE, étant que la rémunération en cours est la rémunération correspondant à un temps plein.

Intérêt de la décision

Ce jugement du tribunal du travail de Liège vient renforcer le courant de jurisprudence en la matière, courant confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2020.

Dans ses conclusions, avant cet arrêt de principe, M. l’Avocat Général GENICOT avait renvoyé également à l’article 157 TFUE ainsi qu’à la Directive 2006/54/CE et à la loi du 10 mai 2007. Il relevait, pour l’année 2014, que 94,77 % de femmes s’avéraient être quasi les seules utilisatrices du crédit-temps en cause (CCT n° 103), ce qui démontrait que celles-ci étaient de facto nettement plus impactées que les hommes.

Il avait fait grief à la cour du travail (qui avait fait application de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle) de ne pas avoir vérifié, comme le sollicitait la partie demanderesse, l’incidence du nombre considérable de femmes touchées par la mesure en raison de leur sexe. Il avait conclu à la cassation de l’arrêt de fond. Dans sa décision, la Cour de cassation motive très longuement sa conclusion, reprenant également les dispositions invoquées par M. l’Avocat Général ainsi que l’arrêt PRAXAIR, où la Cour de Justice avait retenu que la notion de rémunération devait être interprétée dans un sens large. S’agissant des indemnités octroyées par l’employeur au travailleur à l’occasion de son licenciement, celles-ci constituent une forme de rémunération différée à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi mais qui est versée au moment de la cessation de la relation de travail dans le but de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de celle-ci (avec renvoi aux arrêts BARBER, ainsi que LYRECO BELGIUM, notamment).


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