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Licenciement pour motif de santé d’un contractuel du secteur public

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 6 décembre 2022, R.G. 21/1.808/A

Mis en ligne le mardi 13 juin 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 6 décembre 2022, R.G. 21/1.808/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 6 décembre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut à la condamnation d’un employeur public (Commune) suite à un licenciement expressément motivé par l’état de santé du travailleur, étant également allouée une indemnité pour perte de chance de conserver l’emploi vu l’absence d’audition ayant permis au travailleur de faire valoir utilement ses droits de défense.

Les faits

Un ouvrier communal engagé depuis 2013 connaît régulièrement des périodes d’incapacité de travail. Dans un courrier du 5 février 2021, le Collège lui notifie que la procédure d’un licenciement éventuel va être mise en route, eu égard à de nombreuses absences. Celles-ci sont énumérées et sont en général liées à des effets de la prestation de travail (s’agissant en général d’accidents de travail légers – auxquels d’autres absences, toujours pour raisons médicales, sont jointes). L’employeur public confirme par ailleurs les « qualités humaines » de l’intéressé mais pose la question de son aptitude à la fonction. Il est décidé de l’auditionner. L’ouvrier demande une copie de son dossier, ce qui lui aurait été refusé, ainsi que le confirment ses conseils. Une audition intervient et, suite à celle-ci, l’ouvrier est licencié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Une procédure est introduite, l’ouvrier estimant le licenciement discriminatoire au motif de son état de santé. A ce chef de demande en sont joints d’autres, étant soit une indemnité pour licenciement abusif, en application de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, soit une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, en application de la C.C.T. n° 109, soit encore une indemnité pour abus de droit, ces différentes réclamations étant présentées à titre subsidiaire l’une de l’autre.

La décision du tribunal

Le tribunal examine la demande d’indemnité pour licenciement discriminatoire, question à laquelle il réserve de longs développements en droit, soulignant, parmi les principes développés, que la chronologie d’un dossier et la manière de communiquer peuvent être de nature à créer une présomption de discrimination, ainsi lorsque l’employeur a licencié un travailleur après lui avoir refusé une demande de temps partiel formulée après une période de travail (laissant ainsi entendre qu’une telle demande suppose que le travailleur n’est pas entièrement rétabli) ou le fait de l’avoir licencié alors qu’il est en incapacité de travail lorsqu’il ressort du C4 et d’un courrier que c’est son état de santé qui est au cœur de la décision de rupture, encore que celle-ci puisse être assortie d’un objectif de réorganisation (le tribunal renvoyant, pour ces deux hypothèses, à C. trav. Bruxelles, 12 avril 2021, R.G. 2018/AB/443 pour la première et à Trib. trav. Liège, div. Liège, 13 mars 2018, R.G. 16/784/A pour la seconde).

N’étant en l’espèce pas contesté que le licenciement est intervenu en raison des absences pour incapacité – et ce eu égard au courrier et au document C4, qui reprend comme motif précis du chômage la désorganisation du service due à « de nombreux accidents de travail et absences du travailleur » –, le tribunal constate que, lors de son licenciement, l’intéressé n’était plus en incapacité, et ce depuis un mois et demi. La circonstance que l’employeur craint de nouvelles absences confirme qu’est en cause le critère de l’état de santé actuel ou futur. Les faits permettant de présumer la discrimination fondée sur l’état de santé sont dès lors établis et l’employeur a la charge de la preuve de l’absence de discrimination.

Pour le tribunal, le traitement différencié doit être vérifié d’une part quant à son but légitime, étant que celui-ci était objectivement justifié, et d’autre part quant aux moyens utilisés, à savoir que ceux-ci permettaient d’atteindre ce but, étant approprié et nécessaire.

Si la bonne organisation du service et la continuité du service public invoquées par la Commune constituent des justifications légitimes, il constate que celle-ci ne prouve pas que la situation du travailleur en cause a effectivement désorganisé le service de manière substantielle ou entravé la continuité du service public. Les explications données sont trop sommaires et, si la Commune produit des descriptifs de fonction, ceux-ci ne sont pas clairs.

Eu égard aux divers accidents du travail subis par l’ouvrier, le tribunal retient que celui-ci faisait toute une série de choses différentes (ponçage de bennes de camionnettes, élagage d’arbres, ramassage de dépôts, nettoyage de rigoles, etc., tous travaux en sus de ses fonctions d’électricien). La désorganisation du service n’est pas avérée. A supposer même que les buts vantés aient été poursuivis, les moyens mis en œuvre semblent disproportionnés, l’intéressé n’ayant jamais fait l’objet du moindre avertissement avant le licenciement.

L’indemnité est dès lors due.

Le tribunal passe ensuite à l’examen du motif (article 63 / C.C.T. n° 109), où il ne peut que constater l’absence de protection dans le secteur public contre le licenciement de travailleurs contractuels analogue à la C.C.T. n° 109. Il conclut qu’il faut renvoyer sur ce au droit commun et que, pour ce qui est de la réparation, l’on ne peut d’office suivre le mode forfaitaire.

Pour ce qui est de l’article 63 en tant que fondement de la demande, le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 juin 2016 (C. const., 30 juin 2016, n° 101/2016), qui a conclu à l’inconstitutionnalité de la disposition en tant qu’elle s’applique au travailleur du secteur public licencié après le 31 mars 2014.

Il passe à la demande formée sur pied de la C.C.T. n° 109 et conclut ici au non-cumul entre l’indemnité pour licenciement discriminatoire et celle pour licenciement manifestement déraisonnable. La motivation est l’application du « droit commun » et du principe non bis in idem, ainsi qu’un arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012, qui aurait conclu à l’absence de cumul. Pour le tribunal, il y a une cause et un objet identiques.

Pour ce qui est de l’abus de droit, renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 février 2018 (C. const., 22 février 2018, n° 22/2018), il constate que la Commune n’a pas procédé à l’audition du travailleur en lui permettant de préparer correctement sa défense, alors que le licenciement était décidé pour des motifs liés à sa personne. Il y a eu perte d’une chance de conserver l’emploi, le tribunal considérant en l’espèce que la chance était sérieuse, si l’ouvrier avait pu s’expliquer à propos de l’inaptitude invoquée. Un montant forfaitaire de 3.000 euros est alloué à ce titre.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par le Tribunal du travail de Liège (division Liège) dans ce jugement du 6 décembre 2022 concerne un licenciement intervenu début de l’année 2021, soit alors que la doctrine et la jurisprudence ont, depuis de très longues années, développé les principes en matière de discrimination. Force est cependant de constater que les ruptures de contrat pour motifs liés à l’état de santé restent fréquentes (ainsi d’ailleurs que pour handicap).

En l’occurrence, la maladresse de l’employeur public est frappante, celui-ci visant de manière expresse, dans le courrier préalable au licenciement « éventuel », l’état de santé, alors qu’il s’agit d’un critère protégé.

Toujours est-il que ceci facilite la position du demandeur, qui dispose, pour la défense de sa thèse, d’une déclaration expresse de l’employeur identifiant une présomption de licenciement discriminatoire. La charge de la preuve est ainsi reportée sur cet employeur, qui pourrait, bien évidemment, en théorie, renverser la présomption actionnée par le travailleur.

Le contrôle judiciaire à cet égard est généralement très fouillé, s’agissant pour l’employeur d’apporter une preuve certaine des motifs qu’il invoque (et qui pourraient être retenus pour justifier la mesure prise). A défaut d’établir le motif lui-même ainsi que le lien de causalité direct entre ce motif et la rupture de contrat, la présomption ne se trouvera pas renversée. L’on notera en l’espèce l’examen fait par le tribunal des fonctions, des tâches, des équipes, etc.

Pour le surplus, ce jugement confirme le courant de jurisprudence selon lequel il y a interdiction de cumul entre l’indemnité pour licenciement discriminatoire et celle pour licenciement manifestement déraisonnable. Nous renvoyons à cet égard au commentaire fait d’un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Verviers) du 25 janvier 2023 (R.G. 22/138/A), dans lequel nous avons relevé que ce courant n’est nullement majoritaire (la référence à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 semblant par ailleurs inadéquate).

Rappelons ici la position de la Cour du travail de Mons, qui, dans un arrêt du 23 septembre 2022 (C. trav. Mons, 23 septembre 2022, R.G. 2021/AM/102 – précédemment commenté) a admis ce cumul, comme elle le fera un peu plus tard dans un arrêt du 21 octobre 2022 (C. trav. Mons, 21 octobre 2022, R.G. 2022/AM/91) pour un cumul de l’indemnité pour licenciement discriminatoire et celle due en application de la C.C.T. n° 103.


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