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Maladie professionnelle et notion d’incapacité permanente : le cas d’une allergie ne se manifestant plus en cas d’écartement du milieu nocif

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 6 février 2023, R.G. 2022/AL/302

Mis en ligne le vendredi 14 juillet 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 6 février 2023, R.G. 2022/AL/302

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 février 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) précise la notion d’incapacité physiologique au sens de l’article 35 des lois coordonnées du 3 juin 1970 dans l’hypothèse d’une affection cutanée, les symptômes ne se manifestant qu’en présence de l’allergène.

Les faits

Une employée d’un établissement de vente d’habillement a commencé, après quatre ans de service (engagement en 2011), à développer des problèmes d’allergie avec des manifestations cutanées (réaction urticariforme au visage et aux membres inférieurs, ainsi que, ultérieurement, lésions exématiformes au visage).

Dans un premier temps, elle était affectée au réassortiment à partir des camions et manipulait des cartons épais. Elle fut déplacée vers un poste de rangement ainsi qu’à la caisse. Ces lésions ont persisté.

L’intéressée a été en incapacité de travail à plusieurs reprises depuis juillet 2017, les lésions régressant progressivement depuis.

Une demande de réparation a été introduite auprès de FEDRIS (code n° 1202). La maladie a été reconnue et une incapacité temporaire admise pour quelques périodes pendant l’année 2017. Aucune incapacité permanente n’a été retenue.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). Celui-ci a statué par jugement du 11 mars 2022, après avoir, dans une première décision du 7 mai 2019, désigné un expert. Le tribunal a conclu à l’existence d’une incapacité permanente de 15% (11% d’incapacité physique et 4% de facteurs socio-économiques).

FEDRIS a interjeté appel.

Position des parties devant la cour

FEDRIS, qui a admis l’existence de la maladie professionnelle, considère que l’indemnisation correspondante est intervenue. L’Agence plaide cependant que, la lésion ayant disparu, il n’est pas permis de considérer qu’il persisterait des séquelles au motif que celles-ci pourraient réapparaître plus tard. L’on ne peut reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle et, en conséquence, une incapacité permanente de travail lorsque la maladie n’existe plus. La reconnaissance de la maladie professionnelle suppose qu’elle existe effectivement et pas seulement pour le passé, ou qu’elle soit susceptible de revenir. Indemniser une incapacité permanente reviendrait à indemniser une incapacité de travail potentielle. Subsidiairement, sur les facteurs socio-économiques, ils sont inexistants, l’expert ayant déjà retenu du « pur économique », FEDRIS insistant également sur le jeune âge de l’intéressée.

Pour l’intimée, si les symptômes de la maladie (qui a été reconnue) ne sont pas permanents, ils se manifestent lors du contact avec des substances allergènes. La maladie a dès lors un caractère permanent. Sur les facteurs socio-économiques, elle considère que ceux-ci doivent s’apprécier sur la base du métier exercé et de ceux qui lui sont encore possibles. Elle renvoie à sa scolarité et à son expérience professionnelle (esthéticienne pendant deux ans en qualité de stagiaire et, ensuite, vendeuse dans l’établissement en cause, son contrat ayant été rompu pour force majeure). Ceci justifie l’ajout de 11% au titre de facteurs socio-économiques.

La décision de la cour

Pour la cour, la question posée est de savoir s’il y a une incapacité physique permanente en l’espèce, étant que la capacité concurrentielle serait atteinte, puisque l’intéressée ne peut plus travailler dans certains types de commerce, la cour soulignant qu’au moment où elle a été vue par l’expert, l’intéressée ne présentait pas de signes d’urticaire ni de démangeaisons du fait qu’elle n’était plus en contact avec les allergènes.

Il faut, pour la cour, se reporter à l’article 35 des lois coordonnées le 3 juin 1970 et rechercher la notion d’« incapacité permanente de travail » dans le cadre d’une maladie professionnelle : il s’agit de la perte ou de la diminution du potentiel économique de la victime sur le marché général du travail (la cour renvoyant ici à Cass., 11 septembre 2006, n° S.05.0037.F).

La notion d’« incapacité physiologique » n’est pas définie par la loi mais, pour la cour – qui renvoie au dictionnaire Larousse –, l’adjectif « physiologique » s’entend par « relatif à la physiologie » et « se dit des fonctions et des réactions normales de l’organisme ». La « physiologie » est la partie de la biologie qui étudie les fonctions et les propriétés des organes et des tissus des êtres vivants, la cour soulignant également que l’on oppose dans un certain sens l’adjectif « physiologique » à celui de « psychologique ». L’« incapacité physiologique » sera donc la réduction de la capacité physique. Si l’organisme réagit anormalement à toute une série de substances, il y a une incapacité physiologique ayant une incidence sur le potentiel du travailleur, dès lors qu’il est acquis que les symptômes vont se manifester chaque fois que celui-ci y sera exposé et qu’ils ont une incidence sur sa santé (9e feuillet).

Sur la question du risque potentiel, voire futur, la cour précise que l’allergie est un phénomène immunologique précis qui consiste en une réaction excessive du système immunitaire face à une substance étrangère à l’organisme, dénommée « antigène » (renvoyant ici au dictionnaire médical – lire « www.dictionnaire-medical.fr »). Deux conditions sont requises, étant (i) une prédisposition génétique et (ii) une exposition à la substance allergène. L’allergie est une maladie dès lors qu’elle consiste en un dérèglement du système immunitaire pouvant avoir des manifestations cutanées, respiratoires ou généralisées en présence de l’allergène. Elle rappelle également que le tableau des maladies professionnelles en reconnaît certaines (rhinite allergique, affection de caractère allergique provoquée par le latex). L’allergie ne peut dès lors être assimilée à une tendinite – comme le soutient FEDRIS – qui peut être guérie par la mise au repos du membre. Il y a au contraire un dérèglement de l’organisme ou du système immunitaire qui est susceptible de s’aggraver à chaque exposition à l’allergène. Le cas n’est pas comparable non plus à celui d’une aide-ménagère, pour qui existent des protections individuelles (gants et crèmes). La cour renvoie encore à une publication scientifique sur le site de FEDRIS relative aux dermatoses professionnelles. Elle conclut que le caractère de permanence est rencontré dès lors que l’on peut retenir qu’à chaque exposition, une réaction immunitaire s’ensuivra, les tests cutanés ou sanguins pouvant établir ceci (la cour renvoyant ici plus précisément à C. trav. Liège, div. Liège, 21 août 2018, R.G. 2017/AL/499).

Elle passe ensuite à l’examen des éléments de l’espèce, constatant qu’après l’exposition, certaines réactions existaient encore septante-deux heures plus tard et qu’il y a eu des récidives, quoique l’intéressée ait changé de fonction.

Elle confirme dès lors le jugement en ce qu’il a entériné le rapport d’expertise.

Enfin, la cour en vient à l’appréciation des facteurs socio-économiques, reprenant ici encore l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 11 septembre 2006, selon lequel le taux de l’incapacité physiologique n’est pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente, devant également être pris en compte pour l’étendue du dommage divers critères, dont l’âge. La cour souligne à cet égard que l’incapacité croît avec l’âge, dès lors que le travailleur voit, avec l’écoulement du temps, s’émousser ses capacités d’adaptation et se réduire ses possibilités de rééducation professionnelle (avec renvoi ici à C. trav. Liège, 27 juin 2004, J.L.M.B., 2005, p. 664).

Quant à la perte de rémunération elle-même, celle-ci ne représente pas le dommage indemnisable mais peut constituer un indice confirmant les éventuelles facultés d’adaptation et de concurrence sur le marché de l’emploi, de même que les professions exercées par la victime, la comparaison pouvant être faite pour la période avant et après la survenance de la maladie professionnelle.

En l’espèce, s’agissant d’une jeune travailleuse titulaire d’un diplôme d’esthéticienne et de gestion, la cour conclut que, si elle ne peut plus travailler comme vendeuse dans des magasins de vêtements de chaîne, elle peut encore le faire dans d’autres secteurs de la vente. Les divers emplois accessibles sont dès lors nombreux et le tribunal a pu fixer le taux des facteurs socio-économiques à 4%. Le jugement est confirmé sur ce point également.

Intérêt de la décision

La question essentielle faisant l’intérêt de cet arrêt de la Cour du travail de Liège du 6 février 2023 est celle posée par FEDRIS, qui considérait que la réparation doit porter sur une incapacité permanente existant effectivement et non sur une possible limitation des capacités concurrentielles de la victime lorsqu’elle serait en présence des matières allergisantes ayant été à l’origine de la maladie professionnelle. La question est de savoir si l’incapacité permanente est susceptible de couvrir un risque potentiel, voire futur, étant posée l’exigence d’un dommage certain.

La cour conclut à l’existence de ce dommage certain dès lors qu’en présence d’une allergie, il y a atteinte du système immunologique, qui replacera la travailleuse dans la situation où elle subira des lésions chaque fois qu’elle sera mise en présence des antigènes responsables. Le fait que les symptômes avaient disparu lors de l’écartement du milieu nocif ne permet pas de considérer l’intéressée comme guérie. La cour retient d’ailleurs que, dans diverses maladies de la liste, figurent des eczémas professionnels ainsi que des dermatites de contact.


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