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Attestation d’immatriculation et droit aux prestations familiales garanties dans le cadre du décret wallon du 8 février 2018

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 juillet 2022, R.G. 2021/AL/478 et 2021/AL/492

Mis en ligne le mardi 25 juillet 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 26 juillet 2022, R.G. 2021/AL/478 et 2021/AL/492

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 juillet 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) conclut que le décret wallon du 8 février 2018 ne heurte pas le principe du standstill en ce qu’il exclut qu’une attestation d’immatriculation constitue un titre de séjour permettant l’octroi des prestations familiales garanties.

Les faits

Une famille, dont tous les membres ont été reconnus réfugiés politiques en Pologne, est arrivée en Belgique le 8 décembre 2009. Ils sont en séjour illégal. Ils ont introduit diverses procédures afin de régulariser celui-ci. Ayant trois enfants, qui ont chacun introduit une demande de protection internationale et se sont vu désigner un lieu obligatoire d’inscription, ils sont titulaires d’attestations d’immatriculation depuis mai 2018. Fin décembre 2019, une demande a été introduite après de FAMIWAL aux fins d’obtenir les allocations familiales. Celles-ci leur ont été refusées. Des requêtes ont dès lors été déposées devant le Tribunal du travail de Liège.

Entre-temps, le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides a déclaré les demandes de protection internationale irrecevables au motif que les enfants en bénéficiaient déjà dans un autre Etat membre de l’Union européenne, décision confirmée par le Conseil du Contentieux des Etrangers.

FAMIWAL a ainsi motivé sa décision de refus sur la base du décret wallon du 8 février 2018, qui dispose notamment que, pour ouvrir le droit aux prestations familiales, l’enfant doit être de nationalité belge ou bénéficiaire d’un titre de séjour en Belgique, ou encore avoir des parents apatrides. Ne constitue pas un titre de séjour l’attestation d’immatriculation.Les allocations familiales garanties sur la base de la loi du 20 juillet 1971 ont également été refusées.

Par jugement du 17 septembre 2021, les recours ont été déclarés non fondés.

Appel est interjeté, les appelants demandant les prestations familiales garanties et/ou des allocations familiales, à partir du 18 janvier 2016.

La décision de la cour

La cour rappelle que, depuis la sixième réforme de l’Etat, la compétence en matière d’allocations familiales a été transférée aux Communautés et à la COCOM. Pour la Région de langue française, la compétence appartient à la Région wallonne, qui, le 8 février 2018, a adopté un décret (entré en vigueur le 1er janvier 2019) relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales.

Celui-ci contient des dispositions transitoires, s’appliquant – sauf disposition expresse – à tous les enfants nés à partir du 1er janvier 2019. Pour ceux nés avant cette date, certaines dispositions de la loi générale ainsi que de celle du 20 juillet 1971 continuent à s’appliquer (à la condition qu’ils ouvrent un droit aux prestations familiales sur la base de l’article 4 du nouveau décret). Les droits ouverts sous l’empire des anciens textes sont maintenus jusqu’à la survenance d’un élément nouveau qui entraînerait le réexamen du dossier et, pour ce qui est des demandes nouvelles introduites à partir du 1er janvier 2019 concernant des enfants nés au plus tard le 31 décembre 2018, les conditions d’ouverture du droit sont à examiner sur la base du décret uniquement (les montants de base et suppléments étant ceux fixés dans la loi générale).

En l’espèce, les enfants sont nés avant le 1er janvier 2019 et ils n’ouvraient pas de droit aux prestations familiales avant cette date. La demande a été introduite après l’entrée en vigueur du nouveau décret et c’est dès lors celui-ci uniquement qui s’applique.

La cour examine, en conséquence, les conditions de son article 4, qui exclut de la notion de « titre de séjour » l’attestation d’immatriculation. N’ayant bénéficié que de ce document, les parents ne remplissent pas les conditions du texte. Aussi, la cour en vient-elle à l’examen du respect du principe du standstill.

Elle rappelle que l’obligation de standstill porte non seulement sur les prestations de sécurité sociale à proprement parler, étant celles issues de cotisations sociales ou de périodes de travail, mais également sur celles à caractère non contributif, étant l’aide sociale (allocations aux personnes handicapées, intégration sociale, prestations familiales garanties et revenu garanti aux personnes âgées).

Elle reprend les règles de contrôle du recul de la protection sociale, rappelant que, si celui-ci doit être significatif, encore doit-il également être justifié par des motifs d’intérêt général et être approprié et nécessaire à la réalisation de ceux-ci (la cour citant comme motifs classiques le fait de prévenir les abus dans un régime de sécurité sociale, d’atteindre des objectifs économiques, d’assainir les finances publiques, etc.), devant également être vérifié si le recul lui-même est proportionné à ces motifs. Le contrôle doit s’opérer sur un plan abstrait et non individuel (renvoyant à un arrêt de la même cour – C. trav. Liège (div. Liège), 4 août 2020, R.G. 2019/AL/532 – ainsi qu’à la doctrine de D. DUMONT, « Le principe de standstill comme instrument de rationalisation du processus législatif en matière sociale – Un plaidoyer illustré (seconde partie) », J.T., 2019/31, pp. 621-628). L’intensité du contrôle judiciaire variera selon que l’auteur de la norme démontre ou non avoir vérifié le respect de ce principe, renvoyant ici encore à la doctrine de D. DUMONT (D. DUMONT, « Le droit à la sécurité sociale consacré par l’article 23 de la Constitution : quelle signification et quelle justiciabilité ? », Questions transversales en matière de sécurité sociale, Larcier, 2017, p. 86, notamment).

La cour passe dès lors à la vérification de la condition posée par le décret du 8 février 2018, étant que le fait de disposer d’une attestation d’immatriculation dans l’attente d’une décision au sujet d’une demande de protection internationale ne permet pas de satisfaire à la condition de bénéficier d’un titre de séjour tel qu’exigée par le texte.

Avant celui-ci, la loi du 20 juillet 1971 instituant les prestations familiales garanties prévoyait une condition de résidence effective en Belgique (résidence non interrompue) pendant au moins les cinq dernières années précédant l’introduction de la demande, une condition de régularité du séjour étant également posée, celui-ci devant être autorisé, conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

La cour rappelle la controverse en jurisprudence à propos de l’attestation d’immatriculation, condition posée par l’article 1er, alinéa 8, de la loi du 20 juillet 1971, controverse tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 avril 2019 (Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F), en faveur de la thèse de la reconnaissance du droit au séjour. La Cour y a considéré que l’étranger en possession d’une attestation d’immatriculation de modèle A est – fût-ce de manière temporaire et précaire – autorisé à séjourner dans le Royaume au sens de la loi du 15 décembre 1980. Elle renvoie également aux conclusions du Ministère public avant cet arrêt, conclusions qui rappellent l’exigence d’un certain lien, d’une certaine effectivité relationnelle entre l’étranger et la Belgique, lien traduit par l’exigence d’un séjour non interrompu de cinq ans.

Elle relève cependant que la Cour de cassation s’est prononcée dans le cadre de l’article 1er de la loi, qui régit les conditions à remplir par la personne physique ayant un enfant à charge, et non au sujet de l’article 2, qui régit les conditions à remplir par l’enfant lui-même. Elle procède dès lors à l’examen du respect du standstill, précisant qu’elle limite son analyse à l’hypothèse d’un régime de sécurité sociale non contributif.

Pour la cour, le législateur wallon était bien conscient de son obligation de se conformer au principe de standstill, ainsi qu’il ressort du projet de décret (Exposé des motifs, Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 989/001, pp. 8 et 9). Une large concertation est intervenue auprès de nombreux acteurs du secteur et le législateur wallon s’est interrogé sur le caractère légitime, approprié, nécessaire et proportionné de sa réforme (18e feuillet), amenant la cour à limiter son contrôle à un contrôle marginal.

Elle rappelle, avec le Ministère public dans son avis précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019, l’exigence d’un certain lien, d’une certaine effectivité relationnelle avec la Belgique, l’objectif ainsi poursuivi par le législateur wallon ayant été de réserver l’octroi des prestations familiales garanties à des enfants installés en Belgique de manière définitive ou pour une durée significative. C’est un objectif légitime. Il faut dès lors, dans la mesure où le nouveau modèle prévoit que toutes les conditions d’octroi reposent sur la situation de l’enfant, rechercher le lien de rattachement entre celui-ci et la Belgique. La condition de résidence d’une certaine durée a, actuellement, disparu et c’est à bon droit que le législateur wallon a pu considérer que le fait d’être titulaire d’une attestation d’immatriculation ne démontre pas un lien de rattachement suffisant avec la Belgique. La condition litigieuse est dès lors justifiée par un motif d’intérêt général, la cour retenant qu’elle est adéquate, nécessaire et proportionnée. Il y a non-violation de l’article 23 de la Constitution, l’amenant également à rejeter une demande de question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.

Intérêt de la décision

La question posée à la cour du travail en cette affaire découle des conditions de l’article 4 du décret wallon du 8 février 2018 (Titre II relatif à l’enfant bénéficiaire). Celui-ci ouvre le droit aux prestations familiales s’il remplit des conditions cumulatives, étant d’avoir son domicile légal sur le territoire de la Région de langue française ou, s’il n’a pas de domicile légal, s’il réside effectivement dans celle-ci et s’il est de nationalité belge ou bénéficiaire d’un titre de séjour en Belgique, ou encore s’il a des parents apatrides.

L’article 4, alinéa 2, dispose expressément que l’attestation d’immatriculation ne constitue pas un titre de séjour au sens du décret. Le texte ne prévoit dès lors plus la condition de résidence ininterrompue en Belgique pendant une certaine durée (quatre ou cinq ans), telle que reprise dans la loi du 20 juillet 1971, aucune autre condition spécifique n’étant posée quant à la personne qui a la charge de l’enfant.

Dès lors que cette condition de durée n’existe plus, reste en discussion l’exigence d’un lien suffisant avec la Belgique, le législateur wallon ayant concrétisé celle-ci par l’exclusion, en tant que titre de séjour, d’une attestation d’immatriculation.

L’avenir dira si la jurisprudence de la cour du travail dans cet arrêt du 26 juillet 2022 se confirme, cette décision étant à notre connaissance la première rendue par une cour sur ce texte.


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